L’ouvrage, issu de la thèse soutenue par Michèle Villetard (M. V.) en 2017, est le fruit d’une recherche sur les « lieux architecturés de la paideia et de l’otium intellectuel » dans l’ensemble de l’Empire entre le Ier siècle av. J.-C. et le VIIe siècle ap. J.-C. Dans le monde romain les activités d’enseignement ont longtemps trouvé place à l’intérieur du cadre domestique : dans la maison familiale sous la République et dans celle des enseignants par la suite. Sous l’Empire, quelques rares édifices ont été édifiés à cette fin et bien d’autres lieux dont ce n’était pas la destination première ont aussi été utilisés pour des cours ou des recitationes : odéons, bouleutérions, curies, théâtres, bibliothèques, temples, thermes et même locaux commerciaux. Ni le grec ni le latin n’ont de terme spécifique et unique pour désigner un local destiné à recevoir des cours ou des conférences, ce que M. V. appelle un auditorium pédagogique et culturel. L’usage de l’italique pour ce substantif attesté en français depuis la fin du XIXe siècle ne doit pas induire en erreur. Il s’agit dans l’ouvrage d’un terme de nomenclature moderne et non de vocabulaire antique. Le grec αὐδειτώριον n’est attesté que dans une inscription d’Éphèse des environs de 140 (IK 17.1 Eph. 3009) qui commémore la pose d’un dallage devant la bibliothèque de Celsus et de cet audeitôrion, dont les vestiges n’ont pu être identifiés avec certitude. Auditorium en latin n’est pas le seul terme qui ait été utilisé pour désigner une école ou un lieu d’auditions ou de discussions intellectuelles. Il est même rarement attesté dans le sens de salle de classe. La recherche des lieux d’enseignement ne peut donc être guidée ni par un mot grec ou latin, ni par une forme architecturale : elle ne peut se fonder que sur le rassemblement d’indices de l’usage pédagogique et intellectuel d’un espace architecturé et tenter d’évaluer si ce lieu a reçu habituellement ou occasionnellement des cours ou des conférences en recourant à un aménagement provisoire ou permanent. Il est heureux que ces indices aient été présentés et analysés par M. V. dans le cours de son ouvrage et non pas dans un catalogue.
La recherche de lieux d’enseignement dans les maisons romaines (chapitre 1), où ils ont dû être nombreux, se fonde principalement sur la présence de graffiti scolaires : abécédaires, citations, injures à l’encontre du maître. Elle se révèle décevante à l’exception notable de l’exèdre donnant sur le péristyle de la Maison des noces d’argent à Pompéi. Un certain Iulius Helenus, esclave ou affranchi, y enseignait Virgile et Cicéron à des élèves qui le traitaient de fellator et cinaedus. Dans d’autres maisons, des graffiti attestent la présence d’écoliers sans assurer celle d’un enseignement.
Les écoles des maîtres (chapitre 2) ne sont pas beaucoup plus nombreuses, surtout si on se limite à celles dont des vestiges ont été mis au jour. Depuis longtemps un lieu d’enseignement privé a été reconnu à Pompéi (région IX, îlot 8) dans un local à deux niveaux de type taberna. Des inscriptions peintes sur la façade et des graffiti scolaires gravés à l’intérieur constituent pour l’identification des indices plus forts que les peintures qui ornent ses murs dans lesquelles M. Della Corte a voulu reconnaître Athènes et le Jardin d’Épicure. Plus récemment l’école d’un rhéteur grec du second quart du IVe siècle a été identifiée à Amheida en Égypte, l’antique Thrimitis, grâce à des inscriptions peintes sur ses murs, qui servirent de support, entre autres, pour des sujets de composition. Une autre école aurait été reconnue en Égypte, dans le sanctuaire de Tutu, Neith et Tapsay à Kellis, où ont été découverts des calames, des tablettes et des ostraca inscrits en grec. M. V. exprime à son sujet des doutes justifiés. Elle est plus affirmative pour la Bibliothèque de Pantainos située à l’angle sud-est de l’Agora d’Athènes. Son hypothèse selon laquelle le père de Pantainos, Flavius Menandros, y aurait enseigné est séduisante, même si la restitution du premier état de l’édifice proposée fig. 20 avec une cour sans colonnade péristyle ne l’est pas entièrement. Pantainos « prêtre des Muses philosophiques » aurait poursuivi les activités d’enseignement de son père, dans un cadre désormais municipal, à l’intérieur d’un édifice agrandi et doté d’une bibliothèque vers 100. Ce sont aussi à des écoles municipales que se réfèrent les inscriptions latines mentionnant des auditoria chauffés par hypocauste à Martigny dans les dernières décennies du IIe ou au début du IIIe siècle et un auditorium dans le vicus d’Histria en Mésie Inférieure vers 165.
La recherche d’auditoria dans les gymnases et les thermes-gymnases de la partie orientale de l’empire (chapitre 3) s’est révélée plus fructueuse. Il ne fait pas de doute qu’il convient d’en reconnaître dans la salle à gradins semi-circulaires de la palestre de Philippes construite sous Marc Aurèle et dans celle qui fut ajoutée au IIe siècle au grand gymnase de Pergame. Dans les deux cas les gradins sont associés à une orchestra bordée par un mur percé de portes donnant directement sur l’une des galeries de la cour péristyle. M. V. reconnaît aussi à Éphèse deux salles d’enseignement qu’elle préfère appeler acroateria qu’auditoria, ce qui conduit à s’interroger sur l’intérêt d’avoir retenu le terme d’auditorium dans l’introduction. L’une se situe dans les Thermes de l’Est ; l’autre dans ceux du port. Les deux sont associées à une galerie de la palestre et font face à un « aedicular hall ». La même disposition se trouve dans les Thermes du Sud de Hiérapolis. L’absence de sièges maçonnés rend plus hypothétique la reconnaissance d’un lieu d’enseignement dans la salle à abside formant l’extrémité nord de l’apodyterion des Thermes de Faustine à Milet et dans la salle M des Thermes du Sud de Pergé.
Le lien avec un édifice gymnique ou des thermes est plus lâche pour d’autres salles ou lieux publics dotés de gradins arqués que V. M. étudie dans son troisième chapitre. Elle en analyse huit : l’odéon construit à l’est des grands thermes de Dion dans les dernières décennies du iie siècle ; celui d’Aphrodisias édifié vers 200 et associé à une grande cour portiquée qui aurait reçu un jardin et constituait pour l’édifice de spectacle une sorte de porticus post scaenam démesurée ; le petit théâtre associé au IIe siècle av. J.-C. au stade de Rhodes ; l’odéon de Termessos, probablement construit au Ier s. av. J.-C. et dépourvu d’estrade et de bâtiment de scène ; les gradins repérés dans cette ville par Lanckoroński entre cet odéon et le théâtre ; l’odéon sans bâtiment de scène associé à l’héroon de Diodoros Pasparos à Pergame ; celui de Cnide, lui aussi dépourvu d’édifice scénique et dont la date de construction et l’environnement demeurent mal connus ; et enfin les gradins construits devant les thermes d’Augusta Traiana dans l’actuelle Bulgarie. L’usage de tous ces édifices pour des conférences, des déclamations ou des enseignements est probable et n’a sans doute pas été exclusif.
Au regard de ce choix de monuments situés dans la partie orientale de l’Empire, la recherche de lieux d’enseignement régulier dans les complexes qui ont été reconnus de manière plus ou moins assurée en Italie et dans les provinces occidentales comme des campi ou des scholae d’organisation de Jeunesse s’avère beaucoup plus décevante. Elle l’est à ce point que l’on s’interroge sur l’intérêt d’avoir retenu dans le chapitre 4 qui leur est consacré la Palestre d’Herculanum, dans laquelle il convient plutôt de reconnaître un sanctuaire ; la prétendue schola d’Alba Fucens qui serait un héroon, tout comme celle d’Herdonia dans les Pouilles ; le complexe du Boulevard Frédéric Latouche à Autun dont aucune inscription n’atteste qu’il ait été le siège d’une organisation de Jeunesse ; la grande salle occidentale de la schola des Iuvenes de Mactar, dont il n’est pas possible d’assurer qu’elle ait servi d’ « espace pédagogico‑culturel » ; et les exèdres des jardins de la Maison d’Hippolyte à Complutum en Espagne, qui « ne semble pas pouvoir être retenue comme un cas de siège de collège d’une organisation de Jeunesse abritant des activités didactiques » (p. 234). Il n’est même pas assuré que les « graffiti scolaires » relevés dans la Grande palestre de Pompéi, qui a servi de campus, y attestent des activités pédagogiques régulières. Comme le reconnaît M. V. p. 209 : « Le bilan est donc bien mince ».
Il l’est moins pour les « maisons d’enseignants », appartenant à des professeurs de rhétorique ou de philosophie, ou ayant été mises à leur disposition comme cela a probablement été le cas pour la Maison des philosophes d’Aphrodisias. Au ve siècle elle aurait appartenu à Asclépiodotos d’Aphrodisias dont la fille, Damiane, avait épousé le philosophe Asclépiodotos d’Alexandrie, connu par Damascius pour avoir suivi les cours de Proclus à Athènes et avoir enseigné à Aphrodisias. Son plan avec une vaste cour péristyle et une salle à abside dans sa partie publique, tout autant que sa décoration sculptée comprenant plusieurs portraits de philosophes invitent à porter crédit à cette identification, mais ne sauraient faire oublier que salles à absides et représentations d’intellectuels en sculpture, en peinture ou en mosaïque sont aussi des traits d’époque. Rien n’est assuré en revanche dans les identifications qui ont été proposées pour plusieurs maisons d’Athènes datées entre le IVe et le VIe siècle : ni pour la maison située au sud de l’Acropole qui serait celle de Proclus, troisième scholarque de l’école néoplatonicienne, ni pour les maisons A, B, C et D qui se trouvaient entre l’Agora et l’Aréopage. Les ἰδιωτικὰ θέατρα, ces locaux privés mentionnés par Eunape de Sardes (Eun. 9.1.6), utilisés par les sophistes pour l’enseignement dans l’Athènes du IVe siècle, restent à découvrir. Il serait de même imprudent de retenir comme des lieux d’enseignement la domus des auteurs grecs à Autun et celle d’où provient la mosaïque des rhéteurs trouvée sous la basilique de Trèves en se fondant sur la seule thématique de leurs mosaïques. À Athènes, comme à Autun et à Trèves, l’absence de textes ou d’équipement destiné à recevoir des élèves assis interdit toute certitude.
Le seul complexe académique connu dans le monde antique demeure à ce jour celui de Kôm el-Dikka dans le centre d’Alexandrie (chapitre 6). Une mission polonaise y a mis au jour un ensemble extraordinaire d’une vingtaine de salles de cours construites entre la fin du Ve et la fin du VIe siècle et toutes abandonnées avant la fin du VIIe siècle. Elles composent une série où règne une certaine diversité. D’une salle à l’autre les variations sont nombreuses dans les surfaces, le nombre de degrés, dont l’étroitesse laisse supposer une disposition alternée des auditeurs, leur plan en pi ou en demi-cercles prolongés, la présence ou non de la base d’un pupitre, d’une abside parfois dotée d’une plateforme, d’un trône professoral et même de petits bassins, dont la fonction demeure énigmatique. À ces salles de cours s’ajoute un édifice théâtral qui a connu deux phases. Il a été conçu au ive siècle comme une dépendance de l’édifice thermal voisin et avait alors la forme d’un petit théâtre à l’air libre avec un bâtiment de scène dont, à dire vrai, ni la présentation ni l’illustration (fig. 174) ne permettent de connaître la disposition. À la fin du Ve ou au début du VIe siècle, il fut remplacé par un grand auditorium couvert d’une coupole et dénué de bâtiment de scène. Au sein du complexe académique, il jouait le rôle de la salle qui, dans plusieurs de nos universités, a reçu la dénomination de « grand amphithéâtre ». D’autres complexes de ce type ont existé dans d’autres villes, mais aucun vestige n’en a été identifié. À Constantinople, au Ve et au VIe siècle, l’auditorium Capitolii devait comporter trente-et-une salles de cours et des exèdres pouvant recevoir des conférences. À Béryte sont attestés des auditoria legum qui furent détruits par un tremblement de terre en 551.
Les chapitres qui suivent l’analyse des salles de cours de Kôm el-Dikka s’éloignent des lieux d’enseignement régulier pour évoquer des espaces qui ont pu recevoir des recitationes ou des conférences. Quelques textes littéraires et une inscription attestent l’existence d’auditoria à Rome (chapitre 7). L’édifice situé sur l’Esquilin et jadis identifié comme l’auditorium de Mécène en est-il un ? M. V. tente de le prouver en le comparant avec les salles de cours d’Alexandrie. La comparaison serait plus convaincante si le prétendu auditorium de Mécène ne possédait pas seulement des degrés maçonnés dans son abside mais aussi le long de ses murs latéraux. Quant aux auditoria d’Hadrien récemment découverts au nord-ouest du Forum de Trajan, la disposition de leurs gradins rectilignes, affrontés de part et d’autre d’un espace médian allongé, est inattendue pour une salle d’enseignement, même pour les « conférences d’apparat » et les « cours de haut niveau » qu’y restitue M. V., tentée de reconnaître dans ces trois salles l’Athenaeum de Rome. Le dispositif fait plutôt songer à celui de salles de délibération, à commencer par la Curia Iulia.
Des auditoria ont aussi été identifiés avec plus ou moins de vraisemblance dans ce que V. M., « faute de mieux », désigne comme des « complexes culturels » (chapitre 8). L’existence de salles à gradins légèrement arqués dans les angles nord‑est et sud-est de la Bibliothèque d’Hadrien à Athènes ne fait pas de doute et il est vraisemblable qu’elles ont appartenu à la première phase de la construction. Elles ont pu recevoir diverses prestations oratoires. V. M. songe aussi à des enseignements, ce qui est difficile à prouver. Des concerts de chant et de musique instrumentale ne sont peut-être pas à écarter. Les salles situées en position équivalentes à celle de la Bibliothèque d’Hadrien dans le templum Pacis de Rome, qui a servi de modèle planimétrique au bâtiment d’Athènes, n’avaient pas de gradins maçonnés. Après d’autres, M. V. serait tentée d’en restituer en bois dans la salle sud-ouest, durant la phase flavienne du monument, et d’en faire un « auditorium culturel ». Les indices paraissent ténus et il en va de même pour la restitution d’activités didactiques dans les exèdres de ce complexe et dans celles du Forum de Trajan.
Avec le dernier chapitre consacré aux auditoria des sanctuaires, on s’éloigne plus encore des lieux que leur forme, leur situation urbaine ou des textes conduisent à reconnaître comme des lieux d’enseignement régulier. Cinq édifices ont été retenus qui tous, sauf le premier, ont été édifiés entre le Ier et le début du IIIe siècle. Quatre sont compris dans des sanctuaires d’Asclépios à Messène, Pergame, Balagrae de Cyrénaïque et Épidaure. Le dernier est l’odéon de l’Artémision d’Éphèse. S’il est plus que probable que ces édifices n’ont pas seulement reçu des épreuves données dans le cadre de concours, les témoignages antiques font cependant défaut pour y restituer des activités d’enseignement, des performances pour le « divertissement des dévots » voire pour la « cure thérapeutique ». Parmi les odéons qui, dans la partie orientale de l’Empire, ont très probablement été des lieux d’enseignement, il aurait été préférable d’évoquer celui d’Agrippa sur l’Agora d’Athènes, mentionné à la dernière page de la conclusion, et d’explorer ses liens avec la chaire de rhétorique impériale, que Pollux de Naucratis occupa à la fin du IIe siècle.
Ce dernier chapitre, tout comme l’introduction et la conclusion insiste sur la diversité des lieux dédiés à la paideia. Ils illustrent clairement le principal problème que pose la démarche suivie dans cette riche synthèse : le choix dans l’introduction du terme d’auditorium comme fil directeur. Il fait référence à certains types d’aménagements architecturaux, alors même que l’objectif que laisse attendre le titre retenu n’est pas la recherche d’édifices de formes apparentées mais de lieux qui ont reçu des activités comparables, ce qui oriente vers une archéologie qui part des usages et non des ouvrages. Les salles de cours ne semblent s’être multipliées et avoir acquis des caractéristiques architecturales propres que lorsque les théâtres, les odéons et les gymnases ne furent plus pris en charge par les communautés dont ils dépendaient et que se développèrent des chaires d’enseignement municipales et, dans certaines villes comme Rome, Carthage, Alexandrie, Constantinople ou Béryte, des centres de formation spécialisés qui attiraient des étudiants d’origines diverses.
L’ouvrage est bien présenté et vendu à un prix modique (36 €). Le travail d’édition n’est malheureusement pas irréprochable. Plusieurs plans ont été trop réduits pour rester lisibles et quelques termes de nomenclature architecturale issus du grec ou du latin sont mal employés : parodos est souvent pris pour un masculin ; scaena frons se lit là où l’on attendrait scaenae frons ; balteus est utilisé pour désigner un mur de podium (p. 176-177). Le nom de l’archéologue et historien autrichien J. Keil est parfois orthographié Kheil avec un h, qui aurait mieux trouvé place dans le « marbre tasien (sic) » (p. 392). C’est d’autant plus regrettable que par l’importance de son sujet et l’ampleur de son approche cette remarquable synthèse est sans doute destinée à devenir et à rester longtemps un ouvrage de référence.
Jean-Charles Moretti, CNRS, Institut de recherche sur l’architecture antique, MOM, Lyon 2, AMU, UPPA
Publié dans le fascicule 1 tome 126, 2024, p. 336-341.