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La recherche concernant les associations a bénéficié récemment de l’apport de plusieurs travaux marquants {{1}}. St. Sommer examine dans cette publication de son doctorat les associations d’une quinzaine de cités d’Asie Mineure ou d’îles relevant de l’Asie Proconsulaire. Son objectif est de rassembler toutes les sources, d’examiner la situation juridique des associations à l’intérieur des cités, enfin de mesurer l’impact de Rome sur leur fonctionnement et leurs valeurs. La démarche est donc plus juridique et culturelle que socio-économique. Plusieurs chapitres commencent par la citation et le commentaire d’un exemple particulièrement significatif, puis c’est l’ensemble de la documentation qui est examiné, ce qui permet de déboucher sur un certain nombre de conclusions partielles. Il s’agit d’un ouvrage sérieux qui rendra assurément bien des services {{2}}.
La partie rédigée du livre comporte une introduction, cinq chapitres, une conclusion. L’introduction part de l’émeute de l’association des argyrokopoi à Éphèse contre Saint Paul et contient un bilan historiographique. Elle définit aussi le cadre spatial, chronologique et documentaire d’une recherche conceptualisée et problématisée (p. 9-28) : il importe d’étudier les associations dans leur contexte urbain précis et dans leurs relations avec Rome, en Carie, en Phrygie du Sud-Ouest, en Lycie et Pamphylie, ainsi qu’à Rhodes et Cos, entre 133/129 av. J.‑C. et 284 ap. J.-C. Le deuxième point examine l’éventuel conflit résultant pour les associations de l’interaction des pratiques juridiques grecques et des normes romaines, variable selon le statut de la cité, libre ou non, d’où l’examen du statut de chaque polis
fournissant des documents (p. 29‑70) ; le chap. III traite de l’utilité publique des associations (p. 71‑112), alors que le chap. IV examine leur fonctionnement interne et leurs activités dans la sphère publique de la cité (p. 113-151) ; le chap. V correspond à une étude des activités religieuses des associations (p. 153-201) ; suit une conclusion (p. 203-208). Enfin trois annexes, consacrées respectivement aux listes de membres d’associations, aux relations entre les femmes et les associations, à divers graphiques et cartes (p. 209-236), une bibliographie considérable largement utilisée (p. 237-275), un index enfin (p. 277-300), terminent l’ouvrage.
Il résulte de ce travail qu’il n’existait pas de loi générale d’Empire réglementant les associations à partir d’Auguste ; l’autonomie en la matière était la norme pour les cités libres ; l’autorisation des associations jugées d’utilité publique était donnée par la cité libre, le Sénat, les gouverneurs et/ou le Prince, mais on note une montée en puissance de ce dernier au 2e s. (dès Trajan et Hadrien) ; l’usage indifférencié des divers termes désignant les associations ne permet guère de préciser des modalités d’usage précises du vocabulaire associatif.
L’inventaire des associations de métiers permet de rappeler que celles-ci sont à mettre en rapport avec la vie économique ; plusieurs d’entre elles étaient considérées officiellement d’utilité publique et citées par les juristes. Elles disposaient par conséquent de privilèges et d’exemptions de la plupart des munera, parfois en échange de la prise en charge d’autres charges en faveur des cités. Une autorisation des organes décisionnels de la cité était souvent nécessaire pour que les associations puissent rendre hommage à leurs bienfaiteurs dans des lieux publics mis à disposition. Les associations des citoyens romains et italiens, celles des gymnases, sans oublier d’autres regroupements, professionnels par exemple, sont dans le cadre de la cité grecque à l’origine des hommages publics envers divers bienfaiteurs, souvent patrons de l’association dédicante, ainsi qu’envers l’empereur.
Les associations témoignent de la diffusion de valeurs sociales spécifiques d’époque impériale au sein de groupes de population de rang moyen ou modeste ; certains groupes, comme celui des negotiatores, étaient d’ailleurs des vecteurs de romanisation. Les dirigeants romains sont partagés entre la méfiance envers des groupes potentiellement sources d’agitation et la nécessaire intégration, politique et économique, de ces derniers dans le système civique et impérial romain. Les associations avaient des places réservées dans les édifices de spectacle et leurs membres bénéficiaient de la consommation des victimes de sacrifices ; elles obtenaient diverses exemptions en échange de la réalisation d’autres charges également d’utilité publique. Des femmes ont par ailleurs agi comme bienfaitrices et sont parfois même devenues membres d’une association, lorsque ses statuts ne s’y opposaient pas, quand elles n’en créaient pas… Les associations cultuelles ont moins que les autres subi l’influence romaine, les cultes grecs s’avérant d’une réelle continuité par rapport à l’époque précédente ; font exception les associations de technites dionysiaques, les hymnodes et les associations du gymnase, en raison de leurs liens avec les manifestations du culte impérial. En revanche les associations ont pris avec le temps de plus en plus de responsabilités funéraires en matière d’inhumation de leurs membres et ont protégé leurs tombes.

Elles ont au total apporté leur pierre à la prospérité d’ensemble de l’époque et à la socialisation de personnes de diverses origines ; elles ont facilité la concorde et le maintien d’une certaine conscience de soi des cités grecques d’époque impériale, tout en véhiculant des valeurs typiques du Principat. En conclusion doit être mis en exergue qu’il n’y eut pas de droit unifié d’empire à l’égard des associations : leur statut dépendait avant tout de la constitution poliade locale.

François Kirbihler

[[1]]1. En dernier lieu N. Tran, Les membres des associations romaines. Le rang social des collegiati en Italie et en Gaule sous le Haut‑Empire, Rome 2006. Le travail de St. Sommer s’inscrit dans une série d’enquêtes de l’université de Münster portant sur le monde du Nouveau Testament, sous le nom de « Funktionen von Religionen in Gesellschaften des Vorderen Orients ».[[1]]
[[2]]2. Les coquilles sont par ailleurs très rares. Une erreur à corriger cependant p. 142‑143 : l’auteur évoque le conflit entre P. Vedius Antoninus et les Ephésiens sous Antonin le Pieux ; or on sait depuis l’article de Chr. Kokkinia, « Letters of Roman Authorities on local Dignitaries. The Case of Vedius Antoninus », ZPE, 142, 2003, p. 197-213, et la correction d’une restitution fautive, qu’il n’y a jamais eu de conflit et que la lettre impériale félicite simplement l’action de l’évergète.[[2]]