Traduire le titre de cette synthèse relève presque de la gageure, tant la polysémie appelle ici le jeu de mots. Toutefois, si l’idée première semblait annoncer une certaine révolution historiographique, il n’en est rien. Adam Schwartz rétablit un certain nombre de vérités et, dans l’ensemble, ne bouleverse pas la vision du chercheur au fait des dernières publications, ni sur le rôle, ni sur le développement de l’armement de l’hoplite, que ce dernier soit considéré individuellement ou qu’il soit compris comme la pièce essentielle de l’armée grecque des époques archaïque et classique. Pour autant, l’auteur nous offre une remarquable synthèse de l’avancée des recherches actuelles sur la réforme hoplitique autant que sur la phalange dans le cadre de la guerre en Grèce.
A. Schwartz nous livre avec cet ouvrage une grande partie des recherches effectuées dans le cadre de sa thèse. Cette dernière s’inscrit en droite ligne des travaux d’analyse des vingt dernières années sur la réforme hoplitique, l’équipement et les représentations grecques du fait guerrier. Le présent ouvrage constitue à la fois une synthèse exhaustive de la « question hoplitique » et le fruit d’une méthodologie patiemment appliquée. Le lecteur des oeuvres les plus récentes sur le fait guerrier en Grèce ancienne – en particulier celles de V. D. Hanson – ne s’étonnera ainsi pas de voir ce livre partagé en trois parties qui s’intéressent respectivement à l’équipement de l’hoplite (p. 25-101), au fonctionnement de la phalange et au rôle de l’othismos (p. 102-200) puis à la durée des batailles (p. 201-225).
La méthode d’investigation revendiquée par l’auteur tend à compulser et à prendre en compte les données tant historiques qu’archéologiques et iconographiques. Les sources historiques sont pour une écrasante majorité de nature littéraire. Les inscriptions, comme les papyri, ne sont ni oubliées ni même négligées par l’auteur mais elles ne représentent qu’une infime partie de la documentation écrite, ce qui est dû à la fois à l’aspect lacunaire du corpus conservé et à la nature même des écrits disponibles sur ces types de support. L’archéologie fournit nombre d’exemples de pièces de l’armement dont l’auteur éprouve judicieusement les capacités d’utilisation et surtout critique avec justesse leurs limites théoriques apparentes. Il utilise aussi de façon régulière les résultats des expériences menées depuis un quart de siècle, en particulier dans les universités américaines, à titre d’archéologie expérimentale. Les sources iconographiques sont quant à elles utilisées avec toute la prudence de rigueur pour une telle documentation. En effet, comme le justifie A. Schwartz, nombre des représentations visibles sur céramique sont faussées par la volonté du peintre de mettre en avant le duel héroïque, déviant par essence de l’affrontement de phalanges hoplitiques. C’est en partie pour cette raison que les sources iconographiques d’époque classique ont été écartées de la documentation utilisée. Soulignons à ce propos qu’une vingtaine d’illustrations concernant la panoplie vient judicieusement mettre en lumière des descriptions parfois fastidieuses.
Les avancées principales de l’étude d’A.Schwartz consistent à montrer l’interdépendance évidente entre l’armement de l’hoplite et le mode de combat phalangique. Par ses conclusions, l’auteur avance l’idée selon laquelle le combat d’hoplite tel qu’on le connaît à l’époque classique se met en place relativement tôt, dès le VIIIe s. a.C. Il rejette donc de fait l’association phalanges/tyrannies, et par contre met en relation l’apparition du mode de combat hoplitique avec celle du modèle de la polis. Plus encore, l’auteur insiste à montrer combien le modèle hoplitique du VIIIe siècle, pour tant qu’il ait eu une déclinaison archaïque dans un premier temps, fut persistant. Selon lui, les différences entre l’hoplite du VIIIe et celui de la fin du IVe s. a.C. sont vraiment infimes, autant dans l’équipement, dans le rôle de la phalange que dans la conception et les représentations des combattants d’une bataille terrestre.
L’auteur a, de façon très intelligente, constitué un catalogue des principales batailles terrestres qui ont émaillé la période classique (p.235-292), de Marathon (490) à Chéronée (338). Cet inventaire des batailles durant lesquelles l’hoplite a joué un rôle majeur est constitué de fiches traitant chaque affrontement en 29 points, allant de la date et du moment de l’année à une petite bibliographie particulièrement utile en passant par des indications sur la topographie ou encore sur les conditions météorologiques. Les troupes en présence sont détaillées autant que faire se peut, les commandants sont listés et les rites et autres exhortations prononcées avant la bataille y sont relevés. On ne peut que se féliciter que ce catalogue, manifestement document de travail de l’auteur, ait pu être publié tant il facilite l’accès aux informations afférentes à chaque bataille terrestre importante de l’époque classique.
La bibliographie envisagée (p.293-304) rassemble peu ou prou tout ce qui a compté dans ce domaine de la recherche depuis le début du siècle dernier et constitue une excellente base pour le chercheur en quête de quelque information sur la question hoplitique. On regrettera, accordons-le par un excès certain de chauvinisme, que l’auteur ne se soit servi que des ouvrages traduits en anglais de MM. Ducrey et Garland, se privant ainsi d’une partie de la bibliographie française sur le sujet.
La présence en fin d’ouvrage de deux
indices, l’un généraliste (p.307-320), l’autre spécifique aux sources littéraires, épigraphiques et papyrologiques (p.321-337), fournis par N. Gr. Sørensen, sont particulièrement appréciables.
En bref, si cet ouvrage et les thèses qu’il porte ne constituent pas une révolution historiographique, il offre par contre une remarquable synthèse sur la question envisagée. Au fait des plus récentes avancées de la recherche internationale et s’inscrivant parfaitement dans ce cadre, A. Schwartz nous livre ici un véritable ouvrage de référence qui fait le point sur ce que fut l’hoplite sur les champs de bataille grecs des époques archaïque et classique.
Grégory Bonnin