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La Serbie comprend deux parties. La première s’ouvre en Voïvodine au nord de la Save sur la grande plaine centrale européenne de Pannonie. Le Danube qui traverse le pays d’ouest en est sur 580 km y reçoit en rive droite les apports de cette rivière et ceux de la Drave et en rive gauche ceux de la Tisa. Au sud de ce fleuve, l’essentiel de son territoire est une zone montagneuse constituée par l’extrémité orientale des Alpes dinariques et par la terminaison occidentale de la chaîne du Grand Balkan (Haemus). Elle est drainée vers le Danube à l’ouest par les affluents de rive droite de la Drina qui marque la frontière avec la Bosnie-Herzégovine, au centre par la Morava (Margus) dont le bassin occupe l’essentiel du territoire serbe et à l’est par le Timok (Timacus).

Le livre que V. Petrović consacre au réseau routier et aux agglomérations des provinces romaines du limes danubien dont la Serbie occupe le territoire, comporte douze chapitres de longueur inégale et non numérotés. Dans les deux premiers, il présente la partie serbe des deux provinces romaines qui précédèrent la réorganisation provinciale survenue sous Dioclétien : la partie orientale de la Pannonie inférieure à l’ouest de Singidunum (Belgrade) traversée par la Drave et la Save, avant leur confluence avec le Danube et les deux tiers de la Mésie supérieure qui appartiennent au bassin hydrographique de la Morava, une rivière qui se jette dans le Danube à Margum. Dans ses frontières actuelles, la Serbie inclut des parties de la Dacie au nord du Danube, de la Dalmatie à l’ouest de la Drina et une étroite bande de la Thrace à l’est en limite de la Bulgarie. Tenant compte d’une absence de coïncidence entre les frontières modernes et les limites des provinces romaines, V. Petrović a inclus le Kosssovo dont la Serbie ne reconnaît pas l’indépendance, la région de Scupi (Skoplié) et le haut bassin du Vardar (Axius) au sud en Macédoine du Nord ainsi qu’à l’est le territoire compris entre le Timoc et Ratiaria qui fut la première colonie déduite sur cette partie du limes sous le nom de Colonia Ulpia Traiana Ratiaria et, après 279, le siège des gouverneurs de la Dacia Ripensis.

De longueur inégale, les chapitres suivants traitent des différentes voies et sections de voies qu’illustre chaque fois la carte du tronçon concerné. On peut les répartir en deux parties. L’une réunit les voies du limes danubien et l’autre celles qui le relient plus ou moins directement à la Via Egnatia dont deux branches partant d’Apollonia et de Dyrrhachium traversaient d’ouest en est le Pinde et la péninsule balkanique au sud des Alpes Dinariques et des Rhodopes. Trois chapitres décrivent les voies du limes de Pannonie inférieure, d’abord celles qui, venant l’une de Poetovio (Putj) par Mursa (Osijek) en suivant le cours de la Drave et l’autre d’Emona (Ljubljana) en suivant celui de la Save convergent à Sirmium (Sremska Mitrovica), puis celle qui va de cette ville à Singidunum (Belgrade) où elle rejoint la voie qui longeait le Danube. De là en Mésie supérieure, la voie suit la rive droite du fleuve en reliant les camps et les fortifications. Elle passe à Viminiacium (Kostolac), un municipe de Trajan, implanté à proximité d’un camp où stationnèrent deux légions, au carrefour de la voie qui vient du sud en suivant la vallée de la Morava avec celle de Dacie. À l’aval des Portes de Fer, en Bulgarie, elle est rejointe à Ratiaria (Artchar) par une branche des voies qui viennent du sud et entre en Mésie inférieure. Le long chapitre qui traite des agglomérations qu’elle relie est complété par un chapitre annexe où, sous le titre «Les Romains sur le Danube», V. Petrović rappelle l’histoire de cette partie du limes danubien et décrit les célèbres aménagements des Portes de Fer, la voie, le canal de navigation et le pont de Trajan.

Viennent ensuite les chapitres consacrés aux voies qui assuraient la circulation dans la partie montagneuse de la Mésie supérieure. La première est la voie qualifiée de «raccourci transbalkanique» qui relie Lissus (Lezhë) en Albanie sur le littoral adriatique à Ratiaria. Elle passe par Vicianum à proximité de Pristina au Kossovo et par Naissus (Niš), puis franchit les Carpates serbes en passant à Timacum Minus dans la vallée du Timok. La seconde est la voie qualifiée de via Militaris que l’auteur présente dans un avant‑dernier chapitre. Elle reliait Viminiacum sur le Danube à Serdica, Sofia l’actuelle capitale de la Bulgarie. Enfin un dernier chapitre nous conduit de Naissus à Scupi, Skoplié la capitale de la Macédoine du Nord. Des miliaires y restituent une voie absente des Itinéraires qui reliait la vallée de la Morava à Stobi dans la vallée du Vardar (Axios) et de là à Thessalonique où elle rejoignait la via Egnatia.

Le secteur du limes du Danube qui est traité dans ce livre eut une importance particulière au IIIe siècle pour une raison qui relève de l’histoire militaire de Rome. Près de la moitié des légions (12 sur 30) et un tiers des auxiliaires y stationnaient à la fin de l’époque antonine. Par la suite, les chefs des armées stationnées dans ces régions jouèrent dans le redressement militaire de l’Empire au IIIe s. un rôle qui culmina quand les Illyricani de Sirmium s’emparèrent du pouvoir impérial central en 268. Cela explique, comme V. Petrović le souligne, les entreprises extraordinaires qu’ont été les aménagements des Portes de Fer et la construction des routes dans des secteurs de montagnes difficiles. La région eut un rôle important dans l’Antiquité tardive et à l’époque byzantine. Mais ce n’est pas le seul intérêt d’un livre qui fait découvrir au lecteur le réseau des routes qui reliaient les agglomérations de l’intérieur de la Serbie.

V. Petrović montre en effet que la Mésie inférieure n’est pas seulement une province arrière du limes danubien. Dans un chapitre intitulé «Le réseau routier autour de Timacum Minus» qui forme un excursus entre ceux qui portent sur la voie transbalkanique et sur la Via Militaris, il traite de deux secteurs montagneux qui appartiennent l’un au nord-est de la province et l’autre à sa partie centrale et occidentale. Timacum Minus, le premier des deux, un site qui connut une occupation militaire, était le centre d’un vaste domaine impérial dont l’économie reposait sur les res metallicae. Le second correspond à la partie du réseau routier et au territoire de deux villes importantes qui doivent également leur existence à l’exploitation de districts miniers : Ulpiana (Gračanica) à proximité de Pristina la capitale du Kossovo et Municipium Dardanorum (Sočanica). Elles reçurent le statut de municipe au IIe siècle, mais ne figurent pas sur les itinéraires, car elles ont été créées à une date postérieure à la mise en place de l’infrastructure routière de la province. La famille sénatoriale des Furii y avait de grandes propriétés. Dioclétien détacha cette partie de la Mésie pour en faire une province de Dardanie dont Naissus fut la capitale. V. Petrović consacre une longue notice à cette ville où se croisent les deux grandes voies qui relient le limes danubien à l’Adriatique et à Constantinople. Cette ville qui se développa autour du camp d’une cohorte et accéda également au statut de municipe mais à une date qui n’est pas connue, fut un «centre militaire, économique et politique majeur au sein de la vaste région qui l’entourait». Plusieurs évènements importants de l’histoire romaine de ces régions s’y déroulèrent. Constantin le Grand y naquit et plus tard Constance III, l’époux de Galla Placida et le père de Valentinien III. Des empereurs y séjournèrent dans un palais qui se trouvait peut-être dans la ville ou plutôt à 3 milles dans le faubourg résidentiel de Mediana.

L’objectif de V. Petrović était de faire connaître, écrit-il, «la richesse du patrimoine historique, culturel, archéologique et épigraphique de la Serbie romaine, la genèse, le caractère des agglomérations et le développement des voies de communication entre le Ier et le VIe siècle». Il est parfaitement rempli par une série de notices qui donnent l’état le plus récent des connaissances en intégrant 12 pages d’une riche bibliographie nourrie par de nombreuses publications en langue serbe. On peut cependant formuler deux regrets. Le premier est l’absence d’un index thématique qui aurait complété l’index géographique et facilité l’exploitation des notices de présentation des agglomérations. Le second porte sur l’absence d’une présentation géographique qui en restituerait les grandes unités physiques, les vallées, les cols à franchir et d’une manière générale les contraintes qui ont pesé sur le réseau routier. V. Petrović décrit bien dans l’introduction les outils cartographiques dont il a disposé pour décrire la géographie historique de la partie serbe des Balkans. Mais la carte générale des voies et des agglomérations romaines qu’il donne aurait dû intégrer le relief dont il écrit précisément qu’il impose sa logique à la circulation.

 

Philippe Leveau, Aix Université Centre Camille Jullian

Publié dans le fascicule 1 tome 123, 2021, p. 347-349