Plus d’une décennie après la publication du premier tome de L’Affrica de Pétrarque traduit en français par Pierre Laurens (PL), est enfin paru le tome II, traduit et annoté par les soins du même chercheur. Il comprend les livres VI à IX de l’épopée consacrée à la deuxième guerre punique et à son héros romain Scipion. Les livres VI à IX s’attachent à la fin de cet épisode de l’histoire romaine : arrivée de Sophonisbe aux Enfers, mort de Magon, bataille de Zama, fuite d’Hannibal, accords de paix entre Romains et Carthaginois.
Le lecteur lira avec bonheur cette belle édition. Elle est composée d’un avertissement (p. IX à XIX) où PL commente brièvement l’œuvre et explique son choix du manuscrit Laurentianus Acquisti e doni 441 qu’il complète de quelques emprunts à l’édition nationale, de la traduction des quatre livres, de notes mêlant explications et sources (p. 237-309) et enfin d’un triple index concernant les deux tomes.
Comme dans le tome I, PL a choisi de traduire l’épopée de Pétrarque en alexandrins, vers le plus adapté pour rendre l’hexamètre dactylique antique. Le défi est relevé avec succès. On pourra certes déplorer la légèreté frivole de certains choix de traduction, comme le sic (p. 66) ou le vallum (p. 134) transcrits tels quels (ou bien s’en amuser comme de passages écrits cum grano salis). Mais on conviendra que l’ensemble est fort réussi : l’alexandrin souvent désarticulé rend au plus près les tensions animant les deux camps hostiles ou peint en un rythme solennel l’Italie ravagée par les coups d’Hannibal (p. 98).
L’épopée de Pétrarque valait bien tous ces soins. Dans un récit haut en couleur, riche d’effets épiques et de passages attendus (Magon se transportant d’Italie en Afrique (p. 54), bataille de Zama (p. 106 sqq), collatio ducum (p. 144 sqq)), le poète italien fait contempler à son lecteur une Rome « éternelle » (p. 104), titulaire d’une « mission […] providenti[elle] » (Pétrarque, Affrica, éd. citée, tome I, p. lxviii). Car, d’après Pétrarque, si Rome doit remporter cette guerre et devenir « le gendarme du monde » (choix de traduction fort bien adapté, p. 198), c’est pour accueillir plus tard le dieu des Chrétiens, symbole de justice, ce que clame Jupiter à la page 88 et ce que revendique, plus loin, Rome elle-même, donnant à voir, dans un charmant tableau, l’image prophétique de la Vierge allaitante (p. 106). Cette interprétation providentialiste de l’Histoire a aussi des conséquences sur le traitement du poète et de la poésie : tous deux sont mis en scène à travers la figure d’Ennius, proche de Scipion, qui se charge de chanter ses exploits après la bataille de Zama (p. 204 sqq) ; cette familiarité, si elle n’est pas attestée par l’histoire littéraire (voir les notes des pages 293-294), tend à mettre en exergue le rôle fondamental de la poésie épique dans la célébration de la geste romaine, d’autant plus qu’Ennius est adoubé par Homère lui-même (p. 214 sqq). Mais Pétrarque ne se contente pas d’évoquer le premier poète épique latin : Ennius passe le relais à Virgile (allusion à Didon, p. 16 ; évocation d’Evandre et de Pallantée, p. 188) ou encore à Horace (p. 126), puis en arrive ‒ à tout seigneur tout honneur‒ à lui-même, formant ainsi une longue chaîne de chantres épiques chargés de célébrer la gloire de l’Italie.
Nul doute que cette édition française de cette épopée italienne fera référence.
Catherine Langlois-Pézeret, chercheur associée au CESR de Tours, lycée Lakanal (CPGE)
Publié en ligne le 11 juillet 2019