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Cet ouvrage collectif pourvu d’une bibliographie d’ensemble, dont la préface et la conclusion sont rédigées par Athanase Rizakis comprend treize interventions centrées, à l’exception de l’exposé liminaire de Mireille Cébeillac‑Gervasoni, sur les élites poliades et supra poliades (c’est‑à‑dire d’envergure provinciale) de la partie
hellénophone de l’Empire romain. M. Cébeillac‑Gervasoni met en évidence les problématiques majeures qui réunissent, dans le cadre du programme E.M.I.R.E (« Élites municipales italiennes de la République et de l’Empire ») une cinquantaine de chercheurs français et étrangers (définition des élites locales, modalités de leur renouvellement, rapports entre pouvoir central et pouvoir local, fondements de la prééminence des magistrats locaux et mise en scène de cette prééminence, patrimoines des élites politiques, possibilités d’autocélébration de ces dernières). L’équipe dispose de données disponibles sur deux CDRom. Au-delà du thème fédérateur qui donne son unité à l’ouvrage (identité des élites et émergence de ces dernières à l’échelon supra poliade), il est possible de distinguer deux sous-ensembles d’importance égale : une moitié du volume s’intéresse en définitive au rôle religieux endossé par ces dignitaires dans le cadre du culte impérial, tandis que des interventions dont l’intérêt est tout aussi grand entrent dans un cadre moins homogène (art, concours, évergétisme, titres honorifiques).
1) Les notables et le culte impérial. Maria Kantiréa (Université de Chypre) étudie, notamment à partir de deux inscriptions (Syll3 846 et IG IV 339), une famille sacerdotale du culte impérial de Sicyone du IIe siècle comprenant Tiberia Claudia Polycrateia Nausica grande‑prêtresse du koinon des Achéens, fille de Tiberius Claudius Polycrates, grand-prêtre et helladarque à vie des Achéens et de Tiberia Claudia Diogeneia, grande‑prêtresse du koinon des Achéens. Cette généalogie, intéressante en elle-même prend un relief supplémentaire lorsque l’on sait que Tib. Claudius Polycrates, ami de Plutarque, s’est proclamé (à juste titre semble-t-il) descendant du célèbre Aratos de Sicyone (IIIe s. a. C.), ce qui pose l’intéressante question des prétentions généalogiques des grands notables de l’époque impériale. Un autre point attire l’attention : certains éléments du culte « héroïque » d’Aratos peuvent être reliés au culte de Néron. Aratos avait libéré sa cité du tyran Nicoclès comme Néron avait libéré la Grèce. Nous avons ici un témoignage de plus de l’extraordinaire popularité de Néron. Cet aspect est fort bien mis en évidence par Annalisa Lo Monaco dans sa riche contribution intitulée « Il culto di Nerone in Grecia. Immagini e ceremoniale della festa ». L’A. analyse de façon détaillée les représentations iconographiques de l’empereur philhellène dans le cadre de son culte. Marco Galli (Rome, La Sapienza), dans son article « Theos Hadrianos : le Elite delle città greche e il culto dell’imperatore filelleno », montre de façon convaincante, en se fondant essentiellement sur des sources archéologiques, comment la présence réelle de l’empereur, ainsi que sa présence visuelle (par la statuaire) imprégnait en profondeur la mémoire collective des Grecs, d’autant que le discours encomiastique centré sur l’empereur faisait désormais allusion à sa déification. De façon plus classique, en prenant toutefois des exemples précis (Athènes, la ligue achéenne), Francesco Camia (« Imperial Priest in Second Century Greece : a Socio-Political Analysis ») montre combien la grande-prêtrise du culte des empereurs, détenue par des familles de grands notables, constituait un sacerdoce prestigieux qui pouvait constituer une étape de l’intégration dans l’ordre équestre ou dans l’ordre sénatorial. Fr. Kirbihler (« Les grands-prêtres d’Éphèse : aspects institutionnels et sociaux de l’asiarchie ») reprend à partir de la documentation épigraphique éphésienne, de façon documentée et avec rigueur la question des grands-prêtres et des asiarques. La force de son étude réside dans l’aspect sinon exhaustif du moins statistiquement significatif des témoignages épigraphiques qui mentionnent ces notables, mais aussi dans leur valeur qualitative (d’utiles tableaux sobrement mais clairement commentés). De la sorte, les conclusions tranchées de l’auteur ont davantage de poids qu’un témoignage isolé ou que de longues séries statistiques parfois déconnectées du réel. Il prouve de façon convaincante l’identité entre l’asiarque et le grand-prêtre d’Asie, s’attaque à la difficile question du mode de désignation de l’asiarque ; après avoir cerné l’origine géographique et sociale des asiarques éphésiens, Fr. K. définit les fonctions dévolues aux grands‑prêtres.
2) La contribution de Cr. Hoët‑van Cauwenberghe (Université de Lille 3 ; UMR 8585) aborde la question du culte impérial sous un angle différent, celui de la divinisation ou de la damnatio memoriae des empereurs ou des impératrices à travers l’étude des sources épigraphiques (« ‘Bons’ et ‘mauvais’ empereurs en Achaïe au premier siècle de notre ère »). La partie de son étude centrée sur l’application de la damnatio memoriae est la plus riche car elle témoigne de la grande diversité de réaction des cités. La belle formule qui clôt l’article selon laquelle les élites veulent avant tout montrer que l’on pouvait être « à la fois philopatris et philocaesar » résume fort bien la tension qui pouvait en cas de d. m. d’un empereur philhellène s’exercer sur les notables. La question de l’évergétisme ne pouvait être absente d’un tel colloque. Anne-Valérie Pont dans sa contribution intitulée « Évergètes bâtisseurs à Aphrodisias au Haut-Empire » a rassemblé l’ensemble de la documentation épigraphique traitant de cette question. Le choix diachronique choisi par l’auteur permet au lecteur de suivre au plus près l’évolution des modalités et de la nature des actes évergétiques, ce qui permet d’embrasser en quelques pages un dossier de première importance. Les tableaux de synthèse (date, commanditaire, monument ou espace public concerné, nature de l’intervention, référence épigraphique) complètent l’étude avec bonheur. Anette Hupfloher (« A Small Copy of Rome ? Religious Organization in Roman Corinth ») étudie la vie religieuse dans la colonie romaine de Corinthe, la plus importante d’Achaïe, à deux niveaux : celui de la composition du Panthéon romain et celui de l’administration des cultes tels qu’ils apparaissent dans la documentation épigraphique. Ainsi Corinthe n’est pas exactement pour paraphraser Aulu‑Gelle, tout au moins dans le domaine religieux, une copie de Rome en miniature. En effet, le Panthéon de la colonie fait montre d’une grande diversité incluant des dieux locaux anciennement enracinés tandis que les noms des officiants montrent un mélange d’influences grecques et occidentales. Emmanuel Voutiras (« Representing the “Intellectual” or the Active Politician ? The Portrait of Herodes Atticus ») pose une intéressante question à propos de l’un des plus connus parmi les orateurs grecs du IIe siècle, seul Athénien de l’époque impériale qui bénéficia de plusieurs modèles de portraits. Selon l’A., les portraits d’Hérode Atticus ne dessinent pas l’image d’un philosophe méditatif, mais plutôt celle d’un orateur impliqué dans la vie publique. La communication de Andrew Farrington (Democritus University of Thrace, Komotini), « Qçemidej and the Local Elites of Lycia, Pamphylia and Pisidia », analyse les themides, concours dotés de prix en argent que l’A. oppose aux « concours sacrés » (&ieroài éag)wnej). Ces concours sont encore attestés à Selge, Ariassus et Baris, après l’invasion sassanide de 260, dans la mesure où la Pamphylie fut protégée par la chaîne du Taurus. Un apport intéressant de l’article est de proposer une explication à l’émergence tardive de ces concours en Cilicie et en Pisidie. À la différence de la Lycie, profondément hellénisée, ces deux régions moins hellénisées durent attendre la fin du Ier s., voire le début IIe s. de n. è. pour intégrer ce type de concours. L’A. propose une autre hypothèse, l’acquisition tardive par les cités de leur parure monumentale complète : une fois celle-ci acquise, les élites auraient pu se consacrer à la fondation de ces concours et y participer. La question des titres honorifiques accordés aux élites poliades est abordée par deux chercheurs. Sophia Zoumbaki (National Hellenic Research Foundation, Resarch Centre for Greek and Roman Antiquity) a étudié le vocabulaire de la suprématie, notamment à l’époque du Bas‑Empire, à propos des proteuontes (« On the Vocabulary of Supremacy : the Question of Proteuontes Revisited »). Il ressort, selon l’A., que l’utilisation du terme proteuon résulte du déclin du self-government des cités à la fin du IIIe s et au début du IVe s, et que l’on peut lier l’émergence de ce terme avec les réformes de Dioclétien. Jusqu’au IIIe s., le terme proteuontes n’est qu’un titre honorifique soulignant une supériorité sociale : après les réformes de Dioclétien, il serait lié à des fonctions précises. L’A. examine des termes aussi variés mais à bien des égards synonymes tels que protopolitai, primores, principes, priores civitatis, primates ordinis, priores ordinis. On peut se demander si le déclin de l’auto-gouvernement des cités est aussi prononcé que l’auteur le suggère. En effet, ces termes indiquent en filigrane la permanence d’un ordo hiérarchisé dont il importait de figurer en tête, certes moins libre de ses initiatives qu’à l’époque du Haut-Empire, mais qui existait toujours et qui bénéficiait d’un certain degré d’autonomie. Nikos Giannakopoulos (« Remarks on the Honorary Titles u&iàoj Boulçhj u&iàoj dçhmou and u&iàoj pçolewj ») à partir de témoignages en provenance de Pergé, Sagalassos, Stratonicée et d’autres cités d’Asie Mineure, démontre que les titres de fils de la cité, du peuple ou de la boulè, sont accordés aux membres du sommet des élites poliades et tendent à adopter une forme héréditaire, par la transmission du titre d’une génération à une autre. En définitive, ce colloque d’une grande richesse apporte beaucoup à ceux qui s’intéressent aux « élites » (voir les intéressantes remarques conclusives d’Athanase Rizakis à ce propos), et plus généralement au monde des cités grecques à l’époque impériale.

Eric Guerber