« Let us go, dear Reader, on a voyage to discover, you and I, how the Roman poet Quintus Horatius Flaccus presents himself in his person as a Lover in the Odes of the first three books ». Telles sont les premières lignes de ce livre. D’emblée le ton est donné. Tout au long de l’ouvrage, Y. Nadeau ne cessera pas de s’adresser ainsi à son lecteur d’une manière complice et souvent humoristique. Ce voyage est constitué par l’étude de trente-huit odes et terminé par un résumé des acquis éclairé de tableaux (suivi d’une copieuse bibliographie de vingt-quatre pages). Il est ponctué par des réflexions en fin de chapitre du type : « Nous avons vu déjà x poèmes, il nous en reste y. Faisons une petite pause pour reprendre souffle, d’autant que nous allons maintenant entreprendre l’ascension du mont Soracte ! » Par une sorte de coquetterie malicieuse, les titres des trente-huit premiers chapitres sont en français (« Prélude à l’après‑midi d’un faune », « Hallali », « Petite musique de nuit », etc.), et ici et là dans le volume surgit une expression dans la langue de Molière.
Chaque analyse de poème suit à peu près le même plan. L’auteur a dès le début posé ses principes pour l’examen qu’il fait de ces oeuvres de Quintus Horatius Flaccus. Il distingue trois personnages qu’il appelle respectivement Quintus, Flaccus et Horatius. Horatius désigne celui qui compose. Quintus est la personne qui dit « je » dans les vers. Quintus est une création d’Horatius, il en est conceptuellement indépendant, mais en même temps partage son identité. Le critique distingue un troisième personnage qu’il appelle Flaccus. Flaccus est également une création d’Horatius ; c’est celui qui parle au lecteur. Mais ce personnage ne prononce aucune parole ; il utilise des procédés métatextuels ; « it is a metatextual voice » (p. 10). Selon Y. Nadeau, il faut être très attentif pour percevoir cette troisième voix et beaucoup de ses prédécesseurs l’ont ignorée. Autre prémisse : l’importance du comptage des vers. D’après l’auteur, la symétrie est un principe créatif pour le Vénousan dans ses odes ; aussi tous les poèmes pris en compte sont présentés typographiquement d’une façon qui met cette symétrie en valeur et qui, au besoin, isole le centre dans un cadre. À partir de ces bases, sont scrutés pour le livre I les carmina 5, 6, 8, 9, 11, 13, 16, 17, 19, 22, 23, 24, 25, 27, 29, 30, 32, 33, 38, pour le livre II, les carmina 4, 5, 8, 9, 11, 12, pour le livre III, les carmina 7, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 19, 20, 26, 27 et 28.
Plusieurs points ressortent de ces développements. En premier lieu, Y. Nadeau affirme que Horatius peint Quintus comme « an older lover ». D’après lui, ce dernier cherche à séduire en utilisant le fait qu’il appartient au cercle des dirigeants romains et en se servant de l’argument qu’il est physiquement moins exigeant et moins brutal qu’un amant jeune. Le critique anglais décèle en effet des manoeuvres amoureuses de Quintus là où à première vue on n’en soupçonnerait pas. Il excelle à mettre au jour des sous-entendus égrillards dans les phrases en apparence les plus innocentes. Ainsi, lorsque c. I I, 8, 8-10 (cur oliuum/ sanguine uiperino/ cautius uitat [… ]?) reproche à Lydia de détourner Sybaris des exercices athlétiques évoqués ici par l’huile dont les lutteurs s’enduisent le corps, Y. Nadeau commente (p. 35) : « while Quintus and Lydia are not using olive oil for athletic purposes, we understand that they may be using it for sexual lubrication. There is therefore a hint that anal stimulation or penetration may be involved, olive oil being used as butter, notoriously and scandalously, was in the film “Last tango in Paris” » et l’auteur pour confirmer ses dires ajoute un renvoi de bas de page (p. 35, note 6) : « Consult, if interested, e.g. http://www.mypleasure.com ». En second lieu, l’auteur relève la présence d’Auguste dans tous les poèmes qui font l’objet de ce livre. Il est vrai que là aussi il décrypte le sens littéral : ainsi, l’allusion à la tempête dans l’ode à Pyrrha (c. I, 5) est selon lui une référence aux guerres civiles qui renvoie à Auguste (p. 453). Très souvent, d’ailleurs, à l’en croire, Auguste prend la forme de Jupiter quand il apparaît dans ces vers. Le cosmos, thème qui revient fréquemment, proclame sa puissance. Le critique note également que l’épopée, et particulièrement l’épopée virgilienne, est utilisée par Horace pour faire allusion au princeps. Il est de notoriété publique qu’Auguste voulait imiter Alexandre : dans quatre des poèmes retenus (c. 1, 22 ; 27 ; 38 et II, 9), l’auteur découvre des références au roi de Macédoine qui vont dans ce sens. Au fil des pages il met en évidence les ressemblances entre le monde érotique de Quintus et celui de l’élégie. Il scrute également ce qu’il appelle les « paidika ». Pour lui, ce sont les jeunes de rang équestre qui s’entraînent afin de devenir officiers : ils sont à un âge ambigu, attirants comme mignons et débutants comme amants de femmes. Ces allusions pédérastiques, reconnaît‑il, ne sautent pas aux yeux du lecteur moderne : « Multiple readings, howewer, if only they are performed intelligently, gradually help us to see that strange world (strange to us) » (p. 475). Il étudie longuement les femmes évoquées dans ces odes ; on constate qu’à ses yeux, le même nom renvoie toujours à la même femme. Il postule que l’usage de dénominations grecques était conventionnel dans la poésie érotique, mais que, sauf exceptions signalées par le poète lui-même, les personnages féminins sont des Romaines, issues de milieux aisés. Ainsi, chemin faisant, est brossé un tableau de la vie et des événements dans l’Vrbs à l’époque.
Y. Nadeau termine par un « Afterword » où il répond aux objections qu’on lui a faites à propos de ses théories, sur la familiarité d’Horace avec l’Enéide, sur la date de publication des premiers livres d’Odes, etc. Il indique son courriel au cas où quelqu’un aurait d’autres questions à lui poser.
Lucienne Deschamps