F. Massa propose dans ce livre un parcours à travers les cultes à mystères dans l’Empire romain, étudiant à la fois leurs rites et leurs discours, et les confrontant avec des pratiques et des discours chrétiens. L’objectif est de déceler des traces de « compétition » entre les uns et les autres. Il entend par « compétition » des situations où il y a des interactions réciproques entre les deux types de collectivités, où de tels groupes païens et chrétiens « cohabitent sur un même territoire et cherchent, chacun, à établir et exprimer (discursivement ou rituellement) ce qui les distingue les uns des autres, tout en étant constamment influencés les uns par les autres » (p. 31). L’auteur a tout particulièrement à cœur de mener l’étude dans de mêmes aires géographiques à de mêmes époques.
L’enquête envisage donc successivement des régions données et suit une progression chronologique. Elle commence au IIe siècle en Asie Mineure, berceau de la « compétition », où, par exemple, l’auteur relève et analyse La mort de Pérégrinus où est dénoncé un charlatan païen, mais ayant été chrétien. Pour le IIIe siècle, l’attention est portée sur l’Afrique romaine : le lecteur découvre dans ce chapitre que Tertullien rapporte une série de règlements appliqués dans les communautés chrétiennes qui étaient les mêmes que ceux qu’appliquaient les multiples associations (collegia) répandues dans le monde païen. On y lit aussi que l’auteur latin fait un parallélisme notable en justifiant le silence qu’observaient les chrétiens sur leurs pratiques cultuelles par celui qu’observaient tous les adeptes des cultes à mystères. A propos du IVe siècle et du tournant de l’époque constantinienne, F. Massa relève entre autres faits significatifs que Lactance pratique une systématisation dans sa présentation des cultes à mystères païens, une modélisation de ces cultes, tous notamment considérés comme issus de la divinisation d’êtres humains : à cet ensemble de mysteria païens, Lactance oppose d’une manière très tranchée le mysterium chrétien. Mais le IVe vit aussi la restauration du paganisme par l’empereur Julien et un ample chapitre est à juste titre consacré à cet épisode. Mais, alors que le monarque manifesta maintes fois son intérêt pour les initiations, F. Massa fait observer qu’il ne revendiqua jamais une identité d’initié, pas même en ce qui concerne les mystères de Mithra, et estime qu’il y eut bien là aussi « compétition », dans la mesure où l’initiation à des cultes à mystères qui lui fut attribuée a été un élément de construction de son identité publique, dans les écrits à la fois de ses amis et de ses ennemis : ainsi Himerios, d’un côté, suggère avec enthousiasme que lui-même et l’empereur ont purifié leur âme par une initiation à Hélios Mithra et Grégoire de Nazianze, de l’autre, vitupère en signalant que Julien a commencé son règne par une initiation devant s’opposer au baptême chrétien
Le livre poursuit l’enquête au-delà de cette époque. Dans un chapitre « Initiés, magiciens et convertis » dominent les personnalités d’Apollonios de Tyane et de saint Cyprien ; un autre aborde, dans l’espace de Chypre, la question des rapports entre cultes à mystères et hérésies ; un autre encore traite de la « compétition autour de l’eau » à Milan, autour de la personnalité de saint Ambroise. L’enquête s’achève sur un chapitre « Éleusis et la fin des mystères ». Un index des sources épigraphiques, un index des sources littéraires et un index rerum terminent l’ouvrage.
Gérard Freyburger, Université de Strasbourg