Ce livre s’inscrit dans une série de biographies de personnalités du monde antique dont la parution toute récente (Ramsès ‘le Grand’, Julien, Horace, Virgile…) et attendue (Démosthène) a pour but de livrer des études relativement brèves, avec peu de notes terminales, sans citations en grec. Le but de cette série est annoncé : « le lecteur constatera que les problèmes auxquels ont été confrontés les personnages étudiés – conflits politiques, contraintes liées au genre ou à la race, tensions entre vie privée et vie publique – ont peu évolué au fil des millénaires » donne la tonalité d’ensemble : il s’agit de retrouver dans la vie du personnage étudié les problèmes auxquels sont confrontés nos sociétés démocratiques.
Pour Phocion, le parti-pris est annoncé dans le sous-titre : good citizen in a divided democracy. C’est-à-dire que, dans un premier temps, la vie de l’Athénien est déclinée selon la version hagiographique livrée par Plutarque, dont la Vie de Phocion est un long panégyrique qui aligne les citations accordées au personnage mais est très pauvre en événements de nature historique particuliers. L’auteur adhère par exemple à l’information tirée de Plutarque selon laquelle Phocion aurait été quarante-cinq fois élu à la stratégie, même si à peine à six ou sept stratégies sont documentées. L’auteur reprend en fait les conclusions des biographies précédentes du stratège athénien, celle de Hans-Joachim Gehrke[1] et surtout celle de Lawrence A. Tritle[2], qui, toutes deux, donnent une image très favorable du personnage. Cinzia Bearzot[3], qui livre quant à elle un portrait très acide, bien éloigné de l’enkômion réalisé par Plutarque, n’est mentionnée qu’à la fin mais ses conclusions, très opposées à la thèse de l’auteur, ne sont jamais discutées.
Ce n’est pas le lieu de discuter ici de ce que fut vraiment Phocion et je renvoie pour cela à ce que j’ai écrit[4]. L’intérêt du livre m’a semblé résider ailleurs : dans cette image d’un « bon citoyen » à l’intérieur d’une « cité divisée ». Or, c’est sur ce point que l’auteur fait un rapprochement avec les États-Unis, dont on sait aujourd’hui la situation politique intérieure. Dans sa conclusion (p. 191), il prolonge sa réflexion historienne :
“Among the issues I have raised about the mystery of Phocion’s condemnation and disgrace as a traitor to the homeland to which he devoted himself, one particular query related to his career and eventual fate and that of his democratic city-state seems important to ask because it is relevant for U.S. citizens to ponder today. As they struggle to find their nation’s way forward in the midst of a furiously divided political and social environment, Americans might ask themselves, what should being a useful and good citizen and political leader mean here and now at a time when some in the United States are calling for a national divorce ?”
Plus loin (p. 193), il parle d’un time of increasingly marked divisions. À dire vrai, je ne suis pas certain que le peuple athénien était, à l’époque de Phocion ou même dans les toutes dernières années de sa vie et lorsqu’il a joué un réel rôle politique comme supplétif du pouvoir macédonien, aussi divisé que ne l’est aujourd’hui le peuple américain et ce genre de rapprochement peut être difficile à accepter. Mais il possède l’intérêt de montrer la prise de conscience de la fracture qui est au cœur de la démocratie américaine actuelle.
Patrice Brun, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5607 – Institut Ausonius
Publié en ligne le 11 décembre 2025.
[1] Phokion. Studien zur Erfassung seiner historischen Gestalt, Munich 1976.
[2] Phocion the Good, London-New York 1988.
[3] Focione tra storia e configurazione ideale, Milan 1985.
[4] Démade, Bordeaux 2000, p. 129-130 ; Démosthène, Paris 2015, p. 230-231.
