A. Lintott est un des meilleurs spécialistes anglo-saxons de l’histoire de la fin de la République romaine et sa nouvelle contribution, Cicero as Evidence, vient encore le confirmer. Dans la préface, l’auteur prévient tout de suite le lecteur. Il ne s’agit nullement d’une nouvelle biographie de Cicéron, mais d’un guide pour comprendre ses témoignages écrits. Le but de son essai est d’aider les personnes qui étudient l’Histoire de la fin de la République, à lire les nombreux écrits de Cicéron : lettres privées, discours, textes philosophiques etc. Il propose donc dans cet ouvrage de les interpréter en remettant parfois en cause leur partialité et leur valeur historique.
L’ouvrage se présente en quatre parties de longueur inégale et chaque partie est subdivisée en chapitres courts. Les thèmes sont traités chronologiquement et huit appendices complètent l’ensemble.
Dans une première partie (Reading Cicero), A. Lintott propose une méthode de lecture et une analyse des textes de Cicéron. Au chapitre premier, il montre que certains textes du consul de 63 ne sont pas authentiques sur le plan historique, que le récit est déformé et que Cicéron fait preuve de parti pris. Il appuie sa démonstration par l’étude de deux lettres et deux discours. Ensuite au chapitre II, A. Lintott démontre que plusieurs discours de Cicéron n’ont pas été prononcés et il s’interroge également sur l’authenticité de certaines de ses plaidoiries.
La seconde partie (Reading Oratories) est technique parce que l’auteur la consacre essentiellement aux procès civils et aux plaidoiries. Certains de ces textes sont d’ailleurs souvent négligés par les philologues et les historiens. À titre d’exemple, au chapitre IV consacré au Pro Quinctio, il reprend toute l’affaire en analysant la forme du discours, l’origine du différend etc… Il poursuit cette démarche aux chapitres suivants et fait bien ressortir que ces plaidoiries telles qu’elles nous sont transmises ne sont pas toujours compatibles avec la procédure et le déroulement des procès en droit romain.
Les deux dernières parties de l’ouvrage sont chronologiques et suivent la carrière politique de Cicéron. Toutefois, l’auteur insiste bien sur le fait que l’ouvrage se focalise sur les écrits de Cicéron et qu’il présente une histoire intellectuelle de l’homme plutôt que l’histoire de ses actions. La troisième partie (History in speeches and letters) couvre la période précédant son consulat jusqu’à son retour d’exil. Pour chaque chapitre, l’auteur s’attache toujours, de manière critique à étudier les discours et les écrits du consul de 63. À titre d’exemple, A. Lintott rappelle au chapitre X que nous ne possédons pas de correspondance de l’année de son consulat tout en proposant également une fine analyse des quatre Catilinaires. Il rappelle aussi que ses discours sont construits sur le thème qui désormais lui sera cher : la défense de la res publica.
La quatrième partie (History and Ideas) représente à elle seule la moitié de l’ouvrage et est découpée en six chapitres. Elle traite la période écoulée depuis le retour d’exil de Cicéron jusqu’à sa mort en 43. Au chapitre XIII, l’auteur analyse la correspondance et les discours après son retour à Rome. Cicéron y développe les thèmes liés à la défense de la propriété, à l’amiticia et aux optimates. Le chapitre XIV est entièrement consacré à l’otium. Sans renoncer à ses activités politiques au milieu des années 50, Cicéron développe ce concept à travers ses écrits philosophiques, ses discours et sa correspondance. Le chapitre XV concerne son gouvernement en Cilicie. Le chapitre XVI met l’accent sur son rôle de médiateur au début de la nouvelle guerre civile entre Pompée et César et le chapitre suivant traite de son rôle au moment et après les Ides de mars. L’auteur y analyse les grands traités philosophiques : De Natura Deorum, De Divinatione et De Fato. Aux deux derniers chapitres, A. Lintott décrit l’ultime tentative de Cicéron pour jouer un rôle de premier plan au sein de la République romaine finissante, ainsi que sa lutte contre Antoine à travers l’étude des Philippiques et de sa correspondance avec Atticus.
Il s’agit d’un ouvrage érudit qui présente de très grandes qualités. Grâce à son excellente connaissance de l’histoire de la fin de la République romaine, A. Lintott sait critiquer et remettre dans leur contexte historique les témoignages souvent très partiaux de Cicéron. Cet essai est agréable à lire, mais il me semble difficile d’accès pour de jeunes étudiants en Histoire. Il s’adresse plutôt à de jeunes doctorants qui, sur le plan méthodologique, bénéficieront des fines analyses d’A. Lintott.
Annie Allély