Introduction
Issu d’une journée d’étude intitulée « Entrez au théâtre ! » organisée à Lyon le 18 janvier 2020, ce livre, comme son titre l’indique déjà, est dédié à l’étude des entrées des théâtres antiques. Ces éléments, quoique faisant partie intégrale de l’organisation spatiale et fonctionnelle d’un théâtre, font figure de parents pauvres dans les travaux de recherche dédiés à ce type de monuments. Ainsi, comme le signale Jean-Charles Moretti dans l’introduction du livre, ces espaces restent totalement oubliés et hors de la triade à travers laquelle les théâtres sont généralement définis, à savoir le bâtiment de scène, l’orchestra et l’ensemble formé par les gradins. Cette monographie vient donc combler ce manque chronique et rendre à ces structures leur juste valeur.
Le volume se divise en trois parties majeures précédées par une introduction rédigée par les éditeurs. Les trois parties en question rassemblent, suivant une division géographique, un ensemble d’interventions dédiées à l’étude de l’architecture et de l’évolution des accès des théâtres antiques en Orient, en Europe du Sud-Ouest (l’Italie et l’Hispanie) et enfin dans l’Europe de l’Ouest (Gaule et Germanie).
Les théâtres d’Orient
La première partie, dédiée aux théâtres d’Orient, se compose de trois interventions, qui se concentrent respectivement sur la Grèce, l’Ionie et le Proche-Orient. La première de ces interventions, rédigée par V. Di Napoli, retrace l’évolution des parodos dans les théâtres grecs dès l’époque classique jusqu’à la période romaine impériale. La deuxième intervention, de J. Capelle, se concentre sur l’Ionie, en Asie Mineure. Son intervention discute l’évolution des formes architecturales des accès. Enfin, la troisième intervention, celle de P. Thiolas, s’intéresse aux formes architecturales des auditus maximi de certains théâtres romains du Proche-Orient.
La première intervention, intitulée « The parodos of the greek theatres through time: from the Classical to the Roman imperial period », s’intéresse à une dizaine de théâtres situés sur l’actuel territoire grec. L’étude, qui s’ouvre sur une introduction relative au vocabulaire lié à la désignation des entrées de ces monuments dans la littérature et l’épigraphie antiques, se concentrera par la suite à retracer l’évolution chronologique de l’usage et de la conception de ces espaces. Ainsi, dans les premiers théâtres de l’époque classique, ces entrées étaient de simples passages à l’air libre. Délimitées par des murs parallèles et aux dimensions variables dépendamment de la topographie du site et la conception du bâtiment, les parodos jouaient un rôle essentiel dans la mise en scène dramatique des représentations théâtrales. Ce rôle évolua pendant la période classique et hellénistique, et ces espaces prirent une symbolique qui deviendra liée à certains rituels et processions sacrées telles que les Grandes Dionysies. Ces espaces formeront aussi les lieux privilégiés pour l’exposition de documents publics. Ainsi, le théâtre de Dionysos Éleuthéros à Athènes hébergea un ensemble d’inscriptions relatives à des décrets honorifiques tandis que celui du sanctuaire d’Apollon à Delphes étale sur les murs de ses parodos un ensemble d’inscriptions relatives à des manumissions. En même temps, ces espaces devinrent de plus en plus définis et les entrées plus marquées avec l’installation de portails qui en contrôlaient l’accès, organisant ainsi leur usage, qui devenait donc plus privilégié aux acteurs et comédiens, prévenant toute mixité incontrôlée avec les spectateurs. L’introduction du modèle occidental durant l’époque impériale induira un changement radical dans la conception de ces espaces. Devenus couverts, ces espaces feront désormais partie intégrante de la structure de leurs théâtres respectifs et permettront le développement de nouveaux espaces qui leur sont attenants tels que des loges latérales. Par ailleurs, ils perdront largement leur rôle lié à la mise en scène théâtrale, à la suite de changements que va subir l’organisation des murs de scène et l’approche désormais frontale des représentations. Ce parcours chronologique de l’évolution de ces espaces permit aussi de conclure, dans le cas des théâtres des périodes classique et hellénistique ayant subi des remaniements ultérieurs, à une quasi-stabilité remarquable de la forme originelle de ces zones, et cela malgré tous les changements qui se sont produits sur la structure de leurs monuments. Enfin, avec la transformation de la plupart des théâtres en arènes, l’usage de ces entrées semble s’être arrêté occasionnant ainsi la condamnation de leurs accès.
La deuxième intervention dédiée à « L’évolution des accès aux théâtres d’Ionie à l’époque impériale », s’aligne partiellement sur la précédente. Ainsi, J. Capelle conclut à travers une revue d’un ensemble de théâtres de l’ouest de l’Asie Mineure au fait que ces édifices maintiennent à l’époque impériale, tout comme ceux de la Grèce, leurs parodos traditionnelles héritées de la tradition hellénistique. Cette stabilité dans la forme ne va pas toutefois sans quelques remaniements et réadaptations visant, là aussi, à contrôler le flux des spectateurs ou bien à adapter ces espaces aux nouvelles nécessités de l’adaptation théâtrale. Les agrandissements de certains théâtres de la région comme à Éphèse ainsi que les changements que subirent les niveaux et proportions des scènes à l’époque impériale, impactèrent eux aussi la forme des parodos. Celles-ci virent ainsi leurs espaces se rétrécir au profit des autres composantes de leurs monuments respectifs, ou même au profit de certaines installations sans relation directe avec le fonctionnement de ces théâtres (Éphèse, Priène…). Les nouveaux aménagements et les transformations que subirent les composantes de ces monuments (élargissement du plateau scénique, changement dans les niveaux…), induisirent par ailleurs une ramification de leurs accès en vue de nouvelles connexions avec les diazôma. Ces transformations sont détaillées, à travers trois études de cas particulières (Magnésie du Méandre, Éphèse, Milet, Smyrne et Téos).
La troisième intervention, consacrée aux théâtres du Proche-Orient romain, se limite, comme son titre le suggère déjà, à l’époque impériale. En fait, contrairement aux monuments similaires de la Grèce et de l’Asie Mineure, ceux du Proche-Orient ne semblent dater, à quelques exceptions près, que de l’époque romaine et suivent donc généralement le modèle occidental à aditus. P. Thiolas, auteur de l’intervention, constate que, malgré le grand nombre de théâtres recensés dans la région (une soixantaine), les espaces d’accès sont le plus souvent dans un mauvais état de conservation, limitant ainsi leur étude détaillée. L’auteur, qui limite son étude à une trentaine de ces édifices (ceux dont le diamètre dépasse les 40 m), constate, malgré tout, la présence de trois variantes de ces accès : les accès en configuration diamétrale, ceux en plan coudé et les composites, qui restent les plus rares. Donnant accès à diverses zones du théâtre (orchestra, ima cavea, maeniana supérieurs…), ces espaces devenaient « l’élément majeur d’une ramification interne complexe permettant des accès multiples ». Ce fait nécessitait par ailleurs une limitation d’accès de tous les gens empruntant ces espaces aux zones de l’orchestra, induisant ainsi le rétrécissement graduel de la largeur des aditus, allant même jusqu’à la fermeture de leur débouché, une évolution remarquée aussi en Ionie. Le reste de l’intervention est dédié à une brève présentation des techniques de construction utilisées dans la construction de ces espaces ainsi que certains de leurs aspects décoratifs. Les techniques mises en œuvre faisant usage de voûtes en berceau massives et d’intersections nécessitant un haut degré d’ingénierie et de connaissance stéréotomique sont bien courantes dans la région, tandis que les modes décoratifs, qu’ils soient maçonnés ou bien peints, trouvent eux aussi leurs similarités dans divers types de monuments régionaux.
Théâtres d’Italie et d’Hispanie :
La deuxième partie renferme quatre interventions. Deux de ces interventions sont d’ordre plutôt général tandis que les deux restantes s’intéressent à des monuments particuliers. Ainsi, la première intervention, rédigée par E. Letellier‑Taillefer, est consacrée à la couverture des aditus dans le « théâtre latin ». La deuxième intervention, par M. Bolla, se concentre d’une façon particulière sur les aditus du théâtre de Vérone. La troisième intervention, par O. Rodriguez Gutiérrez, discute les valeurs symboliques et structurales des aditus des théâtres hispaniques. Enfin, L. Fernandez présente une étude détaillée des aditus du théâtre de Lisbonne et de leur conception structurale.
L’intervention de Letellier-Taillefer, qui se consacre sur la question des accès des théâtres d’Italie en général, se penche d’une façon particulière sur ceux de Pompéi, dont l’état de conservation remarquable permet la meilleure interprétation des vestiges. Ainsi, les aditus du petit théâtre de la ville, les premiers connus à avoir une couverture supportant une tribune honorifique, amènent l’auteure à se demander si cet édifice présente une précocité sur ce point-ci ou bien s’il avait pu appartenir à un foyer de développement plus vaste. Cette question l’amène à scruter les autres théâtres régionaux dont certains sont associés à des sanctuaires datant du courant du IIe s. av. J.-C. Cette revue d’ensemble de certains théâtres de la région du Latium, de Campanie et du Samnium a pour objectif principal de situer, chronologiquement, le passage des parodos découvertes héritées du modèle grec, à l’aditus couvert, notamment à travers l’étude des phases chronologiques du théâtre de Pompei, considéré comme le plus ancien du sud de l’Italie. Celui‑ci présente, pour sa première phase, des parodos convergentes découvertes, formule similaire à certains théâtres hellénistiques (Solonte, Tyndaris…). Toutefois, la monumentalisation de certains théâtres et de leurs accès latéraux, marquée par des aménagements tels que des portes cintrées, semble indiquer une phase transitoire dans le développement des parodos vers des aditus. Malgré la prudence de l’auteure sur ce point-ci, elle évoque tout de même la présence, sur certains des théâtres de la fin du IIe s. av. J.-C., de structures qui évoqueraient une certaine volonté de couvrir ces accès, mais qui reste peu confirmée vu l’état de conservation de ces monuments. Ce n’est donc qu’avec le théâtre de Pompéi, construit en 70 av. J.‑C, que les premiers aditus assurés font leur apparition. C’est donc cette période située entre la fin du IIe s. et le début du Ier s. av. J.-C. que retient Letellier-Taillefer pour situer l’apparition de « cette innovation », laquelle sera diffusée à large échelle sous le règne d’Auguste.
L’intervention sur les théâtres d’Hispanie s’attaquera à deux aspects relatifs à ces édifices : leur aspect formel ainsi que leur valeur symbolique, liée aux processions et leur rôle dans l’organisation de certains rituels. La première partie de l’intervention s’ouvre sur une présentation globale de la documentation disponible et des lacunes dont elle souffre, fait qui handicape, pour certains monuments, une analyse complète de leur architecture et fonctionnement. Ainsi, sur les vingt-cinq monuments conservés en Hispanie, seuls onze présentent des données suffisamment complètes pour qu’une étude de leurs aditus soit envisagée. S’ensuit une description générale de ces aditus, en termes de composition spatiale, fonctionnement et techniques de construction. S’agissant le plus souvent de couloirs de forme longitudinale, en L ou bien en T, couverts par des voûtes en berceau, se terminant par des espaces en plein air, leurs structures sont le plus souvent exécutées en blocs de pierres de taille massive. Ces couvrements permettent ainsi de fusionner la cavea et le bâtiment scénique, mais aussi d’intégrer des tribunalia. Malgré l’état peu conservé des finitions des parois de ces espaces, il semble que certains parmi eux aient pu être recouverts de plaques de marbre, d’enduits ou de décors complexes. Par ailleurs, les traces de fermetures métalliques et de barrières ont été identifiées dans certains cas, indiquant la possibilité de bloquer ces passages quand nécessaire et donc d’une séparation des spectateurs. Sur un autre plan, l’étude de la position urbaine de ces théâtres a permis une meilleure interprétation de leur rôle dans la vie civique. Ainsi l’emplacement de ces édifices permettait de mettre l’accent sur la valorisation des connexions routières de ces bâtiments avec les hauts lieux de leurs cités, indiquant ainsi jusqu’à quel point les aditus étaient étroitement liés aux parcours et à la configuration de l’espace urbain environnant.
Enfin, les deux études réservées aux théâtres de Vérone et de Lisbonne, malgré le fait qu’elles se heurtent à l’état fragmentaire de la documentation disponible, soit à cause de la mauvaise préservation des vestiges (Lisbonne), soit à leur dégagement partiel (Vérone), permettent d’apporter des éclaircissements supplémentaires sur la question.
Le théâtre de Vérone, pris dans les constructions d’un quartier résidentiel, ne fut que partiellement dégagé et a subi des travaux de restauration qui semblent avoir masqué certains aspects originels du monument. Ainsi, l’auteur a dû avoir recours à des documents d’archives, notamment d’anciennes photos, pour l’étude de sa zone la mieux conservée, notamment les aditus du côté est. Ces derniers, bien mieux conservés que ceux du côté ouest, présentent une superstructure quasiment intacte. Cet état de conservation a permis à l’auteur d’établir un ensemble de constatations liées à leur architecture notamment en ce qui concerne leur position outrepassant la ligne diamétrale de la cavea ainsi que leur forme particulièrement trapézoïdale. Par ailleurs, l’effilement de l’aditus vers l’orchestre s’apparente à une caractéristique de l’époque augustéenne assez courante dans les régions situées principalement dans la zone centre‑sud de la péninsule et dans l’ouest de la Rome cisalpine ainsi que dans certains édifices des Balkans et de l’Afrique du Nord.
Quant au théâtre de Lisbonne, construit vers l’an 30 av. J.-C., et redécouvert en 1798, il n’est que partiellement conservé. Ainsi seul son aditus est présenté d’une façon détaillée. Malgré son état fragmentaire, l’aditus, qui semble avoir deux phases chronologiques, a livré certaines de ses principales caractéristiques : murs à bossage, assises inférieures et pavement taillés dans l’affleurement rocheux, largeur variable… Par ailleurs, des blocs décorés, dont l’un porte l’inscription d’une dédicace, permettent de reconstituer l’aspect de sa porte d’entrée, couverte d’un arc surmonté d’un linteau, un aspect qui s’apparente à celui de l’entrée monumentale du théâtre de Mérida.
Théâtres des Gaules et des Germanies :
La troisième et dernière partie est consacrée aux théâtres des Gaules et des Germanies. Sept interventions y sont incluses. À part la dernière de ces interventions, rédigée par F. Ferreira et qui sert comme une conclusion générale à cette partie ainsi que celle de Thomas Hufschmid relative à ceux de la Suisse, les cinq autres interventions concernent chacune un monument particulier : les aditus du théâtre d’Orange avec J.‑Ch. Moretti, A. Badie, S. Dubourg et A. Papadopoulou, ceux du théâtre de Béziers avec R. Macario, les aditus maximi du théâtre de Vaison‑la‑Romaine avec J.-M. Mignion, ceux du théâtre romain de Lyon avec D. Fellague et N. Delferrière et enfin les aditus du théâtre du Haut du Verger à Autun avec F. Ferreira et N. Delferrière.
L’intervention relative au théâtre d’Orange se concentre d’une façon particulière sur la question de la connexion entre les diverses parties du monument et les aditus ainsi que sur l’accessibilité de certaines de ses zones à partir de ces derniers. L’étude de ces connexions a permis de constater que les aditus semblent avoir été uniquement réservés aux usagers des parties inférieures de l’édifice, le premier maenianum et les bisselia, en bordant l’orchestra en l’occurrence. Les autres zones du théâtre étaient plus facilement accessibles par les arcades de la galerie périphérique de la cavea. Quant à la question de la fermeture ou du moins du contrôle de l’accès aux aditus, les auteurs constatent que ces derniers étaient dotés de portes qui en contrôlaient l’accès. Cette disposition des aditus ne semble toutefois pas être une nouveauté, vu qu’elle reprenait le plan de ceux du théâtre d’Arles, une formule qui semble être plus liée à la topographie du site qu’à une volonté d’adopter le plan en tant que tel.
La seconde intervention consacrée au théâtre de Béziers, monument très fragmentaire découvert lors d’une fouille préventive en 2014 et qui appartient à la catégorie des monuments adossés, se contente d’une description primaire des vestiges des aditus. Toutefois, il a été possible à l’auteur d’en définir certaines caractéristiques liées aux différentes techniques en usage pour la mise en œuvre de la maçonnerie de ses murs périphériques, la constitution de son sol ainsi que la présence d’un aménagement hydraulique.
L’intervention dédiée au théâtre de Vaison-la-Romaine amène au constat de l’existence d’une claire dissymétrie architecturale et usuelle des aditus de ce monument. En effet, ce dernier, dégagé et largement reconstruit dès les débuts du XXe s., avait des aditus relativement bien conservés. Ces aditus, partiellement taillés dans le rocher contre lequel s’adosse le théâtre et vraisemblablement couverts par des voûtes en berceau, présentent des aspects architecturaux et décoratifs bien différents. Ainsi, l’aditus oriental, pauvrement traité et déconnecté du parascaenium, semble avoir été destiné à un usage charretier tandis que celui du côté occidental, traité avec une attention particulière et s’ouvrant sur le parascaenium, semble avoir eu un usage plutôt piétonnier. Cette différence entre l’usage des deux aditus serait en relation directe avec la position du théâtre et sa connexion aux divers axes urbains de la cité.
Le théâtre de Lyon, construit au cœur de la cité antique de Lugudunum, présente une chronologie peu clairement établie, fait dû aux différentes phases de transformations et de restaurations qu’a connues le monument. L’intervention de Fellague et Delferrière, qui synthétise l’état des connaissances sur l’édifice, constate la présence de trois phases principales, la première correspondant grosso modo à la construction du monument dans son extension maximale, la seconde correspondant essentiellement aux travaux de remaniement des galeries d’accès tandis que la troisième serait liée à des transformations dans la summa cavea. Toutefois, la longévité de l’usage du monument ne semble pas assurément établie pour le moment, mais semble avoir duré au moins jusqu’aux débuts du IIIe s. ap. J.-C. L’intérêt porté à l’étude des aditus du monument se concentre tout particulièrement à ceux du côté nord. Ces derniers n’avaient pas un accès direct à partir de la rue, fait sans doute lié à la densité du tissu urbain dans lequel s’insère le théâtre. Ces aditus ont une largeur moyenne qui dépasse celle établie pour les théâtres régionaux dont l’espace était délimité par deux murs parallèles. Leurs longueurs étaient divisées en deux parties, l’une couverte, l’autre en plein air, séparées par un escalier de quelques marches. La zone voûtée supportait l’extension de la cavea, où des tribunes étaient installées. Ces espaces se caractérisent par ailleurs par une grande hétérogénéité des techniques de construction et des matériaux, fait lié à la présence de plusieurs équipes œuvrant sur le chantier. Quant à leur décor, l’étude des restes d’éléments relatifs à l’ornementation de ces espaces a révélé trois types de décoration liés aux trois phases chronologiques des aditus. La première phase se caractérise par un décor plaqué et stuqué, la deuxième par un placage en marbre dont témoignent les restes de mortier de tuileau recouvrant les surfaces stuquées de la première phase. À ce décor en marbre, est associé un dallage en choin dont la datation remonterait au milieu du Ier s. ap. J.‑C., Enfin, la troisième phase se caractérise de nouveau par un enduit stuqué peint qui vient remplacer les placages de la phase 2.
Le théâtre d’Autun, dont la première phase de construction remonte au milieu du Ier s. ap. J.-C. suivie, vers la fin du IIe s. d’une deuxième phase d’extension de la cavea, a conservé ses deux aditus. Celui du côté sud, prenant la forme d’un couloir couvert, semble avoir subi plusieurs phases de transformations, liées à l’évolution du théâtre lui-même. Celui du côté nord présente, lui aussi deux phases chronologiques, la seconde étant particulièrement caractérisée par le rehaussement de son sol dont le pavement final est constitué de dalles en grand appareil. Les parois de ces aditus se caractérisent par ailleurs par un décor ostentatoire formé d’enduits peints et moulurés. Ces formules décoratives, le traitement des niveaux du sol des aditus ainsi que leur forme architecturale en rétrécissement, visant à filtrer, au fur et à mesure, le public, permettent de mettre l’accent sur l’aspect privilégié de ces entrées dans la conception de l’édifice.
L’avant‑dernière intervention dans cette partie concerne les théâtres de l’époque romaine en Suisse. La Suisse actuelle abrite quatre théâtres antiques. Deux de ces théâtres, désignés comme « théâtres ruraux » aux dimensions modestes, sont dépourvus d’aditus. Les deux autres théâtres (Augusta Raurica et Aventicum), plus monumentaux, présentent des aditus d’une forme bien développée. Le plus ancien des deux, celui d’ Augusta Raurica, construit au début du IIe siècle après J.-C, se caractérise par des aditus composés d’une succession de trois espaces (la basilique, une salle centrale voûtée et enfin la zone en plein air), dont la structure massive a subi un ensemble de renforcements ultérieurs pendant sa construction, suite à ce qui semble être des défauts de calcul dans l’étude structurale d’origine. Le théâtre d’Aventicum, construit 80 ans plus tard, semble suivre d’une façon très rigoureuse le plan du précédent, non sans quelques variations formelles au niveau des dimensions des zones de contact avec la scène, sensiblement plus étroites. Cette forte ressemblance entre les deux théâtres dénoterait une conception propre à la région, qui mène les auteurs à établir une approche comparative avec les théâtres de la Gaule d’une part et, de l’autre, avec ceux de la région méditerranéenne. Les auteurs constatent que dans les théâtres gallo‑romains, l’absence des aditus est intimement liée à la conception de leurs scènes, plus larges et en saillie dans l’orchestra, menant ainsi à l’abolition de la séparation entre la scène et l’orchestra/aditus maximi, contrairement aux modèles méditerranéens là où cette séparation est largement prononcée. À ce niveau là, les deux théâtres suisses s’apparenteraient ainsi aux modèles méditerranéens. Toutefois, la construction scénique fortement réduite ainsi que la disposition des scènes et des aditus maximi montrent que ces deux édifices devraient être typologiquement attribués au groupe des théâtres « gallo‑romains ».
La dernière intervention prend la forme d’une large synthèse de cette troisième partie. L’auteur constate que, loin de suivre d’une façon particulière le modèle vitruvien ou bien de s’aligner sur les modèles de la cité de Rome, les théâtres de la Gaule présentent même une grande hétérogénéité entre eux. Les accès à ces théâtres ne dérogent pas à cette hétérogénéité. Que cela soit au niveau de leur forme ou bien de leur disposition au sein de leurs édifices respectifs, ces accès témoignent ainsi d’une liberté de conception, d’adaptation et de renouvellement des formules connues. Au niveau de la forme, l’auteur distingue trois formules : passages voûtés insérés entre la cavea et le bâtiment de scène, les accès disposés sur le diamètre du monument et passant par dessous la cavea et enfin les accès frontaux encadrant la scène. Le premier type semble être le plus en vogue et se retrouve dans les théâtres les plus monumentaux (Arles, Orange, Vienne, Lyon…), mais aussi sur certains théâtres de dimensions plus restreintes. La plupart de ces aditus disposent d’aménagements hydrauliques tandis que certains ont révélé les restes de décors peints. Le deuxième type d’aditus est particulièrement courant dans les régions du sud de la province de la Gaule lyonnaise et dans le nord de la Gaule aquitaine. Les modèles de ce type sont généralement plus modestes que ceux du type précédent, bien que, sur certains des édifices, ils revêtent un caractère monumental, ou bien qui fut monumentalisé à une période ultérieure. Enfin, le troisième type, dont les aditus permettent un accès direct à l’orchestra, avait une distribution assez courante dans la Gaule. La plupart de ces édifices présentaient des passages situés entre l’arrière de la façade diamétrale du théâtre et l’orchestra, parmi lesquels certains étaient intégrés à des structures plus monumentales. L’étude de ces types d’accès et de leur disposition amena l’auteur à constater une parenté ou plutôt une influence de l’architecture des amphithéâtres sur celles des théâtres. Cela est tout particulièrement clair dans le choix du positionnement de ces accès sur les grands axes des arènes-orchestras de certains théâtres (Lillebonne, Tintignac…). Cette large diversité des formes des aditus semble suivre une évolution chronologique. Ainsi, le premier type est courant sur les théâtres des grandes villes et datés entre la fin du Ier s. av. J.-C. et le milieu du Ier s. ap. J.-C. Le deuxième type, faisant partie d’édifices généralement plus modestes, ne semble pas se diffuser avant le milieu du Ier s. ap. J.‑C., période au cours de laquelle semble aussi apparaitre le troisième type. Quant aux modèles inspirés de l’architecture des amphithéâtres, ils semblent avoir fait leur apparition plus tardivement, vers le dernier quart du Ier s. ap. J.-C. Sur un autre plan, la plupart de ces édifices semblaient être intégrés au sein de la trame urbaine de leurs cités, ce qui favorisait leur accessibilité et par là, accentuait le rôle des aditus comme éléments de transition entre les systèmes de voirie urbaine et l’intérieur de ces monuments.
Synthèse :
La sortie de ce livre est la bienvenue notamment dans le cadre de l’étude de ces monuments de spectacles antiques. Ainsi ce volume vient combler une grande lacune dans l’analyse et la compréhension de la conception spatiale et architecturale des théâtres antiques. Il répond au double but de comprendre le rôle des parodos et aditus au niveau de la composition de la circulation à l’intérieur du monument lui-même ainsi que dans le contexte urbain dans lequel ces monuments s’insèrent. L’aspect social, relayé dans un bon nombre de ces interventions, reste aussi un élément majeur pour la compréhension de l’organisation spatiale interne du monument.
Au niveau spatial et structural, les différentes interventions permettent de retracer l’évolution chronologique et le passage du concept des accès en plein air dans les théâtres grecs vers celui des espaces couverts des théâtres de tradition latine. Ce changement dans l’aspect spatial permettra de mieux intégrer ces zones dans la composition architecturale et structurale des théâtres et d’élargir l’espace de la cavea pour l’intégration de tribunes au dessus des voûtes couvrant ces accès. Par ailleurs, nous assistons, dans certains monuments, à une hiérarchisation dans la conception spatiale de ces accès, induisant une filtration des utilisateurs au fur et à mesure qu’ils avancent vers l’intérieur. Cette hiérarchisation peut se matérialiser dans le rétrécissement de la largeur des couloirs, l’installation de portails pouvant bloquer l’accès à certaines zones ou bien à travers d’autres astuces spatiales. Cela accompagne, dans certains monuments, la complexification de ces accès, dans le but de les connecter à d’autres zones, notamment les maeniana et les tribunes. Par ailleurs, la position de ces espaces, en relation directe avec la position urbaine des théâtres, jouait un rôle primordial aussi bien dans l’organisation des flux des spectateurs à l’intérieur du bâtiment que dans le développement de certaines processions et évènements cultuels. Cela accentuait la nécessité d’une planification optimale de l’espace de ces accès et de l’efficacité de leur plan de circulation.
Le rôle social de ces espaces est lui aussi mis en évidence dans la plupart des interventions. Ainsi, même si, dans certains monuments, l’usage de ces espaces semblait être partiellement possible pour les spectateurs, symbole d’une certaine démocratisation de leur usage, la variété de formes de filtrage et de blocage d’accès dénotait une hiérarchisation sociale. Toutefois, cela n’empêchait pas les parodos ou bien des aditus de se transformer, dans certains monuments, en des espaces d’apparat aux parois chargées de décors en marbre ou bien en stucs polychromes et où s’affichent maints types de textes publics.
Nous regrettons toutefois l’absence totale de l’Afrique du Nord, zone dans laquelle de nombreux théâtres antiques sont dans un état de conservation optimal. Cette région, bien que parfois mentionnée dans certaines des interventions aurait mérité qu’une partie de la publication lui soit dédiée, pour ainsi couvrir une zone géographique majeure de l’Antiquité greco‑romaine.
Par ailleurs, nous regrettons aussi l’absence de synthèses globales à la fin de chaque partie du livre ou bien à la fin du volume. De telles synthèses auraient permis de mieux suivre l’évolution de ces espaces au cours des siècles dans une région donnée, ainsi que de comprendre, dans une approche comparative, les potentiels emprunts entre une région et l’autre pendant une même période. Elles auraient aussi permis de constater les similarités ou bien les divergences dans le développement de ces espaces, leur conception et leur décoration. Ces synthèses auraient gagné aussi à aborder les aspects sociaux dans une approche plus globale,avec pour but de définir les modalités de la hiérarchisation de l’usage de ces zones tant sur le plan chronologique que géographique.
Ces manques ne portent en tout cas aucune atteinte à la valeur du présent volume, dont le mérite d’initier une large réflexion sur les différents aspects relatifs à ces accès particuliers des théâtres antiques reste indéniable. Il formera sûrement la base pour tout futur travail de recherche sur ce genre d’espaces.
Hany Kahwagi-Janho, Université Saint-Esprit de Kaslik, Département d’Architecture
Publié dans le fascicule 1 tome 127, 2025, p. 316-325