Cet ouvrage présente les actes d’un colloque qui s’est tenu en octobre 2010 à Grenoble. Il est enrichi de 137 figures, 12 tableaux et 2 planches. Les 15 communications rassemblées dans cet imposant volume proposent un riche bilan documentaire consacré au thème fédérateur de « l’eau », mais selon des approches très diversifiées et pluridisciplinaires. L’eau est perçue comme un atout destiné à l’alimentation des hommes, en se fondant sur l’étude des équipements hydrauliques urbains et ruraux, mais aussi comme un facteur de risque pour l’installation humaine. C’est une recension des découvertes les plus récentes qui est présentée ici. On peut souligner l’originalité thématique dédiée à l’analyse précise d’un territoire, « les Alpes occidentales », mais il ne correspond ni à une entité administrative antique, ni à une région actuelle ou à une zone géographique cohérente : il s’agit de sites de haute ou moyenne montagne, de piémont ou de plaine. L’ouvrage aurait donc mérité d’être augmenté d’une carte de répartition des différents sites étudiés. Il est assez surprenant que le titre se limite à l’époque romaine puisque nombre de communications suivent une perspective diachronique, de la protohistoire au XXe siècle. Par ailleurs, on regrettera le manque de lisibilité de certaines illustrations. L’ouvrage se décline en trois chapitres, mais à l’issue des lectures, deux principaux axes se dégagent : l’un traite des structures archéologiques traditionnelles telles que les captages de sources, les aqueducs, les égouts ou les thermes. L’autre explore davantage les rapports entre les éléments naturels (fleuve, torrent, marais…), le paysage et leur exploitation à des fins agricoles ou artisanales, ce qui permet d’esquisser une certaine évolution du territoire « alpin » et de ses abords.
Les études révèlent l’importance croissante du corpus de sites alpins dès lors que des recherches de terrain sont menées. C’est le cas des travaux conduits à l’échelle micro-régionale dans les marais de Bourgoin-la-Verpillière, des bassins rhodaniens des Basses Terres et de Malville, des alpages du Col du Petit-Saint-Bernard ou de la vallée des Écouges. Deux études ont d’ailleurs été encouragées par des programmes pluridisciplinaires (PCR et ANR). De plus, ce colloque permet de s’affranchir d’anciens préjugés selon lesquels les zones montagnardes étaient peu habitées et donc peu aménagées, du fait des contraintes climatiques et topographiques. On découvre ainsi une série d’installations hydrauliques dans des zones rurales de haute montagne, présentées par P.-J. Rey et A. Belmont. Leurs recherches attestent l’existence de réseaux hydrauliques agricoles insoupçonnés jusqu’alors : il s’agit de canaux souvent à ciel ouvert destinés à l’irrigation des prés, à l’assainissement et à la constitution de réserves. Ces structures archéologiques démontrent comment les hommes ont modelé le paysage pour gérer l’eau. N. Bernigaud établit que l’eau peut être un atout : dans les marais de Bourgoin, il a découvert un réseau complexe de drainage et d’irrigation des prairies à des fins agricoles, ainsi que des aménagements de berges et de moulins. L’occupation romaine des marais, attestée par des zones d’épandage de mobilier, se développe dès 40/30 av. J.-C. et elle se poursuit jusqu’au début du IIIe siècle. Ce travail est enrichi d’analyses paléobotaniques et dendrochronologiques. Si la notion de danger associée à l’eau est évoquée par Ph. Leveau dès l’introduction du colloque, G. Gaucher parvient à démontrer que le risque en particulier fluvial, ne constitue pas un obstacle à l’installation humaine. Il propose une cartographie particulièrement intéressante des villae, des exploitations agricoles antiques associées aux cours d’eau. L’approche pluridisciplinaire permet de caractériser les productions agricoles bonifiées par les aménagements hydrauliques : les études archéobotaniques et sédimentologiques des fossés et des canaux prouvent l’existence d’une polyculture spécifique dans ces zones humides. La présentation de G. De Gattis, bien que marginale, témoigne de l’absolue nécessité d’une gestion de l’eau efficace en haute montagne, afin de préserver les réseaux viaires. Le débat se poursuit par l’examen du statut juridique des cours d’eau. La remarquable contribution de P. Arnaud vient éclairer d’un jour nouveau la manière dont sont appréhendés le fleuve et ses rives durant l’antiquité, à partir du Corpus Juris Civilis. Il démontre la primauté de la navigation sur tout autre usage, en tant qu’espace public, et décrit les types d’aménagements connexes tels que les berges et les débarcadères. L’importance des voies d’eau (Durance, Rhône) avait été abordée par J. Planchon au début de l’ouvrage : il signalait leur contrôle en raison d’un foedus conclu entre les Voconces et Rome en 60 av. J.-C.
Le second thème du colloque est l’occasion de présenter des synthèses, pour la plupart inédites, sur les aménagements hydrauliques des cités (celles des Voconces), des chefs-lieux (Aosta, Martigny, Vienne, Riez) et des agglomérations secondaires (Briord, Aoste). La richesse des communications réside dans la volonté d’exhaustivité de la part des auteurs : chaque site fait l’objet d’un bilan dont la réunion dans le présent ouvrage, contribue largement à l’enrichissement de la connaissance des équipements hydrauliques. Ce type d’approche globale fait encore trop largement défaut pour la Gaule romaine. Il s’agit donc d’une précieuse compilation documentaire. J. Planchon propose une étude exhaustive des aménagements destinés à l’alimentation en eau (aqueducs, système de stockage et de distribution d’eau) et à son évacuation (réseaux d’égouts) dans les trois capitales successives de la cité (Vaison-la-Romaine, Luc-en-Diois et Die), mais aussi dans les agglomérations secondaires. Son travail offre une vue d’ensemble de la gestion de l’eau à l’échelle d’une cité. Suivant la même perspective, L. Lautier et S. Ardisson présentent leurs recherches dans les Alpes-Maritimes. À partir de l’étude de 521 sites, l’analyse spatiale des ressources en eau établit que l’occupation protohistorique et romaine se concentre essentiellement en zone littorale. Les auteurs adoptent une démarche originale en évaluant les rapports coût/distance en fonction de l’emplacement des sources. Un bilan consacré aux aqueducs d’Antibes, de Cimiez et de Vence est enrichi d’une carte et de tableaux recensant l’ensemble des découvertes. En outre, un acte d’évergétisme est attesté par une inscription du III e siècle mentionnant la réparation d’un aqueduc à Antibes par le procurateur des Alpes Maritimes. À ce propos, A. Sartori souligne la rareté des inscriptions dans les Alpes et suppose que l’évergésie est peu répandue en raison de la modestie des communautés, à l’exception de quelques sites (thermes de Segusium, mention de balneum et aquae à Bergame). Outre la présentation des aqueducs du vicus d’Aoste (Isère) par J.-P. Jospin et ceux de Riez par H. Aulagnier, on découvre l’existence d’aménagements remarquables tels que les galeries de captage creusées dans la roche à Romagnieu ou la centaine de mines d’eau à Riez. Au Forum Claudii Vallensium (Martigny), F. Wiblé retrace les découvertes du réseau d’alimentation en eau et des inscriptions y relatives. Il aborde également la question du risque dû au passage d’une rivière en ville. Les sondages archéologiques ont révélé les mesures prises face aux crues et aux inondations (remblais de 1,50 m, reconstructions répétées des monuments). Le dossier très fourni consacré à l’évacuation des eaux usées témoigne de l’existence d’une hiérarchisation du réseau. Les découvertes récentes faites à Augusta Praetoria (Aosta, Italie) sont particulièrement riches puisqu’un faisceau d’indices (dépôts carbonatés, fistula, filtre en plomb) permet d’envisager la présence d’un château d’eau secondaire dans la Porta Principalis sinistra de la ville. Une piscina limaria a été découverte sur le tracé de l’aqueduc augustéen. Enfin, on soulignera la qualité de la présentation de L. Brissaud qui retrace l’histoire du réseau d’eau installé sous les voies du quartier de Saint-Romain-en-Gal. Les premiers tuyaux en bois datent de la fin du Ier siècle av. J.-C. Puis, le quartier est restructuré. Les tuyaux en plomb côtoient alors ceux en bois. Les premières estampilles moulées apparaissent sur les fistulae vers la fin du Ier siècle ou au début du II e siècle. Le nombre grandissant de tuyaux va de pair avec la multiplication des domus et de bassins d’agrément. Le recensement de 120 tuyaux est présenté dans un tableau synthétique, en appendice. Ce travail est complété par une étude onomastique des cartouches des tuyaux. On identifie 69 fabricants viennois d’origines diverses (latins, italiens, indigènes).
Ph. Leveau, chargé de l’introduction et de la conclusion, montre que l’eau est un thème permettant d’examiner des sujets aussi divers que les moyens mis en oeuvre pour alimenter les populations, ici alpines, que ceux pour se prémunir des risques liés à l’eau, mais il permet aussi d’aborder des problématiques environnementales, en considérant trois principaux facteurs : le climat, l’hydrogéologie et la topographie. Au terme de l’ouvrage, on peut conclure que la multiplicité des interventions, la diversité des territoires étudiés et des méthodes utilisées, suivant une approche diachronique, offrent un nouveau panorama des Alpes occidentales. L’histoire du paysage alpin et ses abords se dessine ainsi à travers l’histoire de ses aménagements hydrauliques.
Laetitia Borau