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La persona du prince compose un éventail de compétences, de postures, de vertus, de modes de sociabilité… qui sont attendus de celui qui exerce la fonction impériale. Les comprendre dans leurs diverses expressions ainsi que dans leur évolution nécessite un regard diachronique, tel que l’adopte cet ouvrage, même si le Haut‑Empire, voire les premiers empereurs, y retient davantage l’attention.

L’introduction pose la problématique, évoque brièvement chaque article et dégage trois grandes parties : les fonctions du prince, sa personne (apparence, personnalité…), les types de relation qu’il noue.

Pour ce qui regarde la première partie, C. H. Lange (p. 11-23) s’intéresse à ce qui marque le tournant vers un nouveau régime, lequel ne peut être identifié avec un unique événement (traditionnellement Actium), mais résulte d’un processus long, dans lequel la bataille de Nauloques est sans doute à revaloriser. Ph. Le Doze (p. 25-57) s’interroge sur la réflexion politique qu’ont eue les Romains – on en trouve une illustration célèbre chez Tacite, dont la position idéologique est ici appréhendée de manière fort équilibrée – sur le régime, sa nature, la place du prince, les différentes manières dont il doit exercer sa fonction ainsi que sa relation avec le peuple et le Sénat. S. Benoist (p. 60-85), repartant du modèle établi par les Res gestae diui Augusti, se penche sur les noms et les fonctions du prince, ainsi que sur les temps et les lieux où il est mis en scène et interagit avec le peuple ; si pour les noms et fonctions, une permanence prévaut, pour ce qui est des contacts, il semble qu’une distance croissante avec les Romains accompagne sa « mise en majesté ». O. Hekster (p. 87-112), repart lui aussi du modèle augustéen et considère, également sur la longue durée, les principaux marqueurs de la fonction impériale, en retenant trois domaines : l’armée, la religion et la justice. Il ne manque pas d’échos entre cette contribution et celle de M. Cadario (p. 113-137), qui relève dans les représentations imagées d’Auguste divers moments correspondant aux domaines mis en évidence par O. Hekster ; se succèdent ainsi différentes images d’Auguste : chef de guerre, vainqueur sur mer, triomphateur, magistrat en toge, princeps, chef d’une domus, garant de la felicitas de l’État, en habits de Jupiter… Centrant de même le propos sur Auguste, G. Rowe (p. 139-178) observe un lien entre les Res gestae, dans lesquelles il voit s’exprimer une sensibilité au thème de la collégialité du pouvoir, et les débats qui eurent lieu au moment de l’accession au pouvoir de Tibère, événement qu’il analyse essentiellement à travers le récit de Tacite et au cours duquel il estime que fut effectivement posée la question de savoir si Tibère règnerait seul ou partagerait le pouvoir. Après cette série d’enquêtes ancrées essentiellement dans la période incluse entre la mort de César et l’avènement de Tibère, attentives aussi aux Res gestae, deux autres envisagent des époques postérieures : P. Cosme (p. 165-178) étudie les impostures de Tibère aux Flaviens, et singulièrement celles de faux‑Néron, dans lesquelles il voit un indice de la personnalisation du pouvoir ; V. Puech (p. 179‑202), à propos de Constantin, privilégie, parmi les fonctions du prince, le domaine de la religion et souligne l’attitude libérale adoptée par cet empereur chrétien envers les cultes païens.

Dans la deuxième partie, sur la personne/personnalité des princes, A. Molinier Arbo (p.205-223) observe le critère de l’âge des empereurs tel qu’il semble vu par Hérodien ; ce dernier semble surtout hostile aux empereurs jeunes, susceptibles plus que les autres de devenir des tyrans ; il paraît inversement favorable à l’accession au pouvoir de sénateurs expérimentés qui se sont illustrés par leur carrière. A. Gangloff (p. 225-251) considère l’éducation reçue par les jeunes gens que leur naissance destinait à devenir princes, en réunissant et en analysant les données connues à propos de ceux qui à divers titres sont connus pour avoir été leurs « professeurs » ; l’enquête laisse une grande part à l’examen de la carrière de ces hommes ; la dimension politique de leur fonction est soulignée, ainsi que le rôle qu’ils ont pu jouer dans la transmission de la persona impériale. G. Zecchini (p. 253-268) examine la place de la culture (littéraire) dans l’image de l’empereur, en suivant une trame diachronique, depuis César ; de ce dernier à Trajan prévaut (exception faite de Néron) un modèle de l’empereur inlitteratus, battu en brèche à partir d’Hadrien, avant d’être repris sous le roi ostrogoth Théodoric (hors cadre chronologique du volume). L. Anglade et T. Éloi (p. 269-284) mettent en évidence les transgressions du code vestimentaire par Caligula, comme expression de la détérioration politique sous un mauvais empereur. Dans la même veine, C. Badel (p. 285-313) se consacre au type de manteau auquel Caracalla doit son surnom ; s’il exploite brillamment les sources littéraires et les realia, il envisage peu l’empereur lui-même. S. Rey (p. 315-338) livre, sur les mains des princes, une réflexion qui, plus que chironomique, passe en revue une diversité de situations dans lesquelles intervient la main ; la dernière section, sur la place des mains dans divers omina relatifs aux empereurs, retient en particulier l’intérêt.

Dans la troisième partie, sur la sociabilité des princes, P. Montlahuc (p. 341-368) s’attache à leur ciuilitas et à leur accessibilité, ainsi qu’aux principales formes ritualisées qu’elles prennent (audiences, banquets, domus impériale, visites aux malades…). F. Hurlet (p. 369-389) met en évidence les problèmes que posaient aux citoyens de Rome la mobilité de l’empereur et ses absences de l’Vrbs ; il montre comment César, Auguste et Tibère gérèrent la question, avant de considérer brièvement les autres princes. S. Forichon (p. 391-411), exploitant le dossier textuel à disposition, cerne le comportement attendu des empereurs durant les spectacles. S. H. Rutledge (p. 413-435), évoquant les cas d’Auguste, Néron et Séjan, s’intéresse à la recherche d’un soutien populaire par ceux-ci ; les efforts déployés en ce sens par Séjan compensent l’incapacité de Tibère à se rendre popularis. Y. Le Bohec (p. 439-463) passe en revue les moyens (distributions d’honneurs, culte impérial, harangues, avantages matériels, privilèges juridiques, crainte des punitions…) grâce auxquels les empereurs se garantissent le nécessaire concours de l’armée. F. Rohr Vio (p. 465-481), partant du cas d’Auguste, voit comment le prince, dans sa politique de restauration morale et en complément à sa législation sur la famille, a investi les femmes de sa domus d’un rôle exemplaire. N. Barrandon (p. 487-515) produit sur l’adulatio principis telle que la dépeint Tacite pour le règne de Tibère une analyse précise, qui permet d’en saisir la dimension religieuse et de mesurer comment l’auteur des Annales use du thème dans une perspective à la fois idéologique (réflexion sur la libertas) et narrative (dénigrement de Tibère, lien avec la simulatio) ; la contribution inclut un tableau récapitulatif des relationes et sententiae illustrant le thème de l’adulatio. H. Fernoux (p. 517-552) décrit la diffusion de la figure du prince dans les cités grecques d’Asie Mineure ainsi que les rapports des cités à la personne de l’empereur ; il fait porter son enquête sur le rôle des notables et des gouverneurs de province de même que sur les discours qui mettent en valeur les vertus et les bienfaits des princes.

J.-M. Roddaz (p. 553-563), dans ses conclusions, fournit sur le Principat et sur la fixation des normes de la fonction impériale un propos à la fois personnel et synthétique, qui n’omet pas d’intégrer l’essentiel des apports de chacune des 22 contributions qui ont précédé.

La première partie, très cohérente et stimulante, porte essentiellement sur l’émergence et la nature du Principat (en écho par exemple à l’idée de « République impériale »). La réflexion théorique y domine, ce qui est moins le cas dans les deux parties qui suivent. La deuxième, en tout cas, présente davantage de diversités d’approches, entre enquêtes qui privilégient le regard porté (par les sources, par les contemporains) sur les empereurs et celles qui s’attachent à reconstituer des faits. La troisième équilibre davantage théorie et observations des pratiques quotidiennes, ; elle retrouve néanmoins une perspective plus politique, autour d’une notion comme la ciuilitas, qui revient à plusieurs reprises, ou d’un intérêt pour les relations avec l’aristocratie sénatoriale. Cette partie exploite également une documentation plus variée, notamment épigraphique.

L’ensemble a, indéniablement, un cachet pour ainsi dire « suétonien » : par l’utilisation faite du biographe, par une forme d’intérêt pour l’anecdote personnelle, par une prédilection pour le Haut-Empire, par la permanence d’un modèle augustéen sous-jacent. Toutefois, si chez Suétone, la dimension politique d’Auguste est souvent implicite, elle est ici plus nettement affirmée, en articulation avec le processus selon lequel s’est imposé et constitué le fait impérial ; l’équilibre monarchie/République est au cœur de plusieurs contributions, de même que les modalités de formation et de transformations successives de la norme impériale ou encore la distinction entre bon prince et tyran (ce dernier point davantage traité des points de vue de la perception et de la représentation que de celui de la théorie politique).

Même si l’on peut nourrir quelques regrets en regard d’un défaut de contextualisation de quelques sources (ainsi Cassius Dion) voire de la sous-exploitation de certaines (le Panégyrique de Trajan aurait sans doute mérité une présentation dédiée) – mais il reste que Tacite en particulier est souvent traité avec beaucoup de finesse –, le volume a le fort atout de la cohérence de son propos ; il semble, ce qui n’est pas si fréquent dans le cas d’ouvrages collectifs, s’inscrire dans la réflexion qui est celle de son éditeur scientifique, en convergence, presque en écho, avec les préoccupations que celui-ci exprime dans son introduction et surtout dans sa propre contribution. Bon nombre de contributions, en outre, apportent un regard nouveau.

Bibliographie à la fin de chaque contribution, un index ; une seule contribution (M. Cadario) comprend des illustrations.

 

Olivier Devillers, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5607 – Institut Ausonius

Publié dans le fascicule 2 tome 124, 2022, p. 637-639.