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Cet ouvrage constitue la première monographie entièrement consacrée à l’étude de l’ethnos béotien, à partir de la fin du vie s. jusqu’au milieu du Ve s. av. J.‑C. En usant d’une approche globale qui recourt à toutes les catégories de sources (littéraires, épigraphiques, archéologiques et numismatiques), l’A. se propose d’explorer la façon dont se construit et s’articule l’identité collective des Béotiens à cette époque. Ce travail revendique ainsi l’ambition de prolonger les études menées récemment sur l’ethnicité en Grèce ancienne (Smith, Hall, Malkin, McInerney, etc.). Dès l’introduction, sont rappelés les principaux apports de ces recherches, dont les conclusions fondent les postulats de l’ouvrage. Le but ultime de cette enquête consiste à revenir sur la naissance du premier Koinon béotien : en définissant la nature de l’ethnos béotien à la fin de l’archaïsme, l’A. pense être en mesure de décider si celui-ci avait déjà revêtu la forme institutionnalisée d’une confédération à la fin du vie av. J.‑C.
Parmi les différents critères d’identification des ethnè, l’A. admet, pour son objet d’étude, la primauté de la généalogie et du territoire. Elle n’accorde pas de traitement particulier aux cultes communs de l’ethnos (sauf au chapitre 5), au motif que leur rôle essentiel dans la construction de l’identité collective béotienne vient d’être récemment mis en lumière par E.M. Mackil {{1}}. Le premier chapitre est ainsi consacré à Boiôtos, l’ancêtre éponyme des Béotiens. Il montre que toutes les traditions généalogiques désignent la mère de Boiôtos comme une Aiolide − établissant ainsi une relation forte entre l’ethnos béotien et la Thessalie méridionale d’où cette famille est originaire − tandis que ses fils, Onchestos et Itônos passent pour les fondateurs de deux des sanctuaires les plus importants de l’ethnos béotien (le sanctuaire de Poséidon Onchestios, et celui d’Athéna Itônia). Le deuxième volet de l’étude s’intéresse à l’ensemble des sources qui regardent l’installation des Béotiens sur leur territoire historique (l’Iliade, Hésiode et Thucydide). L’A. y renouvelle la perspective en s’interrogeant sur la façon dont ces traditions ont fondé l’identité collective des Béotiens. Le catalogue des vaisseaux offrirait une image de la tradition − celle d’un grand peuple, bien particularisé et prospère − telle qu’elle s’était constituée à l’époque de la transcription de l’Iliade, soit vers le milieu du vie s. si l’on accepte, avec l’A., l’hypothèse de Nagy. Sur la base d’une nouvelle interprétation du fragment 218 d’Hésiode, l’A. considère que les légendes locales concernant la migration béotienne conféraient un rôle significatif à Boiôtos, vraisemblablement comme oikiste de la petite cité d’Arnè (encore non localisée), mentionnée dans l’Iliade et considérée par l’A. comme une fondation de son homonyme thessalienne. Quant au récit de Thucydide, il corrobore la tradition véhiculée par l’Iliade qui localisait les Béotiens en Béotie dès avant la guerre de Troie, en même temps qu’il semble établir un parallèle entre la migration béotienne et l’invasion dorienne, attestant ainsi d’une tradition répandue au début du ve s. qui revendiquait, pour les Béotiens venus de Thessalie, un droit de propriété sur un territoire prospère et susceptible de convoitise.
L’ouvrage se poursuit par l’exploration des différentes manifestations de l’ethnicité béotienne. Le chapitre 3 revient ainsi sur la question du bouclier béotien en considérant les monnaies qui comportent cet emblème à partir de la fin du vie s. av. J.‑C., mais également les testimonia littéraires (l’Iliade et l’Aspis) et l’iconographie archaïque, essentiellement d’origine attique. L’A. affirme, sur la base des parallèles arcadien et lesbien et dans le sillage des travaux de M.H. Hansen, que les monnaies archaïques à l’emblème du bouclier ne prouvent pas l’existence d’une confédération béotienne, pas plus d’ailleurs que les premières lettres de l’ethnique (BOI ou BOIO) qui apparaissent sur des monnaies postérieures, originaires de Tanagra. Les émissions chalcidiennes au bouclier échancré pourraient tout aussi bien témoigner de relations économiques entre la cité eubéenne et la Béotie de l’Est à la fin du vie s., que de l’existence d’une alliance politico‑militaire orientée contre Athènes en 507/6. L’A. accepte l’interprétation de L. Lacroix qui considère le « bouclier béotien » comme un type parlant, tout en proposant d’autres significations à cet emblème. Le bouclier pourrait ainsi renvoyer au héros Ajax dont les sources attestent les liens de parenté avec quelques grandes figures mythiques de la Béotie du Sud-Est. Le chapitre 4 est philologique : il étudie la relation qu’entretient le dialecte béotien avec la langue épique archaïque en soulignant leurs affinités. Selon l’A., le dialecte béotien conservait, plus que tout autre, une résonance épique que les Béotiens ont vraisemblablement cherché à cultiver. Le chapitre 5 tente de définir l’usage − tant extérieur qu’intérieur à la Béotie − des ethniques régionaux Boiwtoçi et Boiçwtioj sur la base de leurs attestations littéraires et épigraphiques. De cet examen, l’A. conclut qu’à la fin du vie s., l’emploi par les Béotiens de leur ethnique (attesté par cinq dédicaces) sert à désigner strictement une communauté unie autour de cultes communs, au premier rang desquels se trouve celui d’Athéna Itônia. L’A. croit percevoir un changement dans cet usage à partir du milieu du ve s. dans une inscription d’Olympie (SEG 26, 475) où l’emploi de l’ethnique par des non-Béotiens pourrait être affecté d’une connotation politique et révéler l’existence d’un Koinon des Béotiens. Au chapitre 6, à partir des témoignages d’Hérodote et de Thucydide essentiellement, l’A. propose une remise en cause de l’opinio communis qui considère généralement le Koinon béotien comme une création de la fin du vie s. av. J.‑C., au profit d’une date plus basse vers le milieu du Ve av. J.‑C. Le chapitre 7 enfin offre un essai de conclusion en même temps qu’il met en oeuvre quelques comparaisons avec d’autres ethnè. Suivent un appendice iconographique, une bibliographie nourrie, et deux indices (index des sources et index général).
Cet ouvrage, qui repose dans son ensemble sur un examen raisonné de toutes les catégories de sources, est d’une lecture stimulante, même si certaines conclusions de l’A., au chapitre 6 notamment, paraissent plus séduisantes que convaincantes, faute d’arguments déterminants. Le débat concernant le statut de la monnaie dans l’Antiquité mériterait, entre autres, d’être approfondi davantage, dans la mesure où les monnaies constituent une documentation privilégiée sur la question de l’existence d’un Koinon des Béotiens à l’époque archaïque.

Emmanuelle Benchimol

[[1]] Koinon and Koinonia, mechanisms and structures of political collectivity in Classical and Hellenistic Greece, Ph. D D. D Diss., Princeton University 2003. À notre connaissance, ce travail universitaire n’a pas encore fait l’objet d’une publication [[1]]