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Ce recueil d’articles vient dans la continuité des travaux de l’Université d’Artois sur les fleuves dans l’Antiquité (Études des fleuves d’Asie Mineure dans l’Antiquité, 2 vols, A. Dan, S. Lebreton (éds), Arras, Presses Universitaires d’Arras, 2018), à l’occasion de deux journées consacrées à la « connectivité » des fleuves avec leur environnement, en particulier marin. Les études qui y sont présentées ont l’avantage d’explorer, pour ce faire, d’autres sources que les sources littéraires, et même d’ouvrir des perspectives sur d’autres moments historiques.

I – Mers, fleuves et divinités (Antiquité- Moyen Âge)
A. Daguet-Gagey, « Le Tibre, dieu-fleuve nourricier et fleuve des origines : l’apport de la numismatique », 17-37 ; M.-O. Charles-Laforge : « Deux exemples de divinités des eaux à Pompéi : Sarnus et Venus Pompeiana », 39-67; Cl. Barat, « Sinope et la mer : cultes marins et maritimes », 69-84 ; St. Lebreton, « Le paysage de l’estuaire : un reliquaire de signes », 85-118 ; J.-L. Podvin, « Isis et l’eau », 119-136 ; M. Suttor, « La place de la religion dans le paysage fluvial et dans la vie sur la rivière : l’exemple de la Meuse et de quelques cours d’eau de la France médiévale », 137-48.

II- Mers et fleuves : les conditions de navigation (de l’époque hellénistique au XVIe siècle après J.-C.
M. Dondin-Payre, « Arrivé à bon port ! Le quotidien des voyageurs sur l’eau dans le monde romain, reflété par l’épigraphie », 151-163 ; L. Rossi, « Naviguer sur le Nil à l’époque hellénistique : milieux nautiques, pratiques », 165-192 ; A. Roque, « Navigation et observation de la nature au XVIe siècle : le rôle des oiseaux dans les voyages maritimes portugais », 193-211 ; Pierre Schneider, « About the Location of Ptolemaïs Thérôn (Ptolemais of the Hunts) in the Periplus of the Erythrean Sea: A Short note », 213-222. Chacun des articles a ses propres mérites, ne fût-ce que de faire le point sur la question qu’il aborde avec concision et clarté. Mais on soulignera l’intérêt de l’article d’A. Daguet-Gagey, qui souligne l’apparition dans les monnaies d’Hadrien de figures du Tibre personnifié, mettant en rapport l’exaltation de Dea Roma, et celle des vertus commerciales et nourricières du Tibre, qui en font un symbole de Rome jusque dans une monnaie alexandrite d’Antonin où le Nil et le Tibre se tiennent par la main, ou  des monnaies célébrant les jeux séculaires sous Domitien et Septime Sévère . De même, l’étude comparative de l’iconographie pompéienne du fleuve Sarnus et de la Venus Pompeiana à Pompéi (M.-O. Charles-Laforge), (exploitant au mieux, comme l’article précédent, la qualité de l’édition sur ce plan) met en relief leurs rôles respectifs : le premier, petit fleuve côtier (le Sarno) qui joue un rôle commercial dans la vie pompéienne, tient la place d’un Genius loci dans les laraires et les bâtiments comme des thermes ou des tabernae ; la Venus Pompeiana, que l’on doit distinguer de la Vénus traditionnelle (elle aussi divinité poliade), est protectrice de la ville, mais plus particulièrement de la navigation et des activités portuaires comme l’indique le gouvernail qu’elle tient dans son iconographie, et la comparaison avec la Vénus marine d’Herculanum et la situation du temple de cette dernière, doit amener à attribuer à la Venus Pompeiana le temple de la Porta Marina, dont la situation donnait un repère visuel aux marins : l’article de M. Suttor permet de suivre, mutatis mutandis, la continuation de pratiques similaires à travers le Moyen Âge. L’article de L. Rossi, au-delà de l’érudition de ses conclusions (abondamment démontrée par les tableaux qui suivent l’article et les notes qui l’accompagnent) dresse un tableau très vivant de la navigation sur le Nil au fil des saisons, jusqu’à déceler des ruses de nauclère derrière leurs déclarations : c’est l’art des papyrologues, de donner la vie à l’austérité de leurs archives. Enfin l’article d’A. Roque, dans son analyse des carnets des navigateurs portugais, et de leur description minutieuse des oiseaux qu’ils rencontrent dans leurs périples africains – parce qu’ils les utilisent pour se situer par rapport aux côtes qu’ils longent –, la transmission et l’amélioration sur le temps long (le dernier auteur cité est de 1597) de ce savoir propre aux pilotes, laisse rêveur sur l’écart entre savoir technique et géographie de cabinet, et alerte le géographe de l’Antiquité  sur la présence das quantifier l’importance. Le travail d’édition, excellent, et l’exploitation des ressources d’une excellente édition pour en présenter les résultats (photographies et tableaux synthétiques). Les articles de M. Suttor et A. Roque offrent un contrepoint très bienvenu : ce dernier nous alerte sur la mention d’oiseaux dans les périples (Lebreton, p. 98). Outre les résumés, le livre est suivi d’un index des sources et des noms qui en rend l’usage agréable et commode.

Patrick Counillon, Université Bordeaux Montaigne

Publié en ligne le 25 juillet 2023