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L’ouvrage collectif L’Antiquité expliquée et représentée en figures de Bernard de Montfaucon. Histoire d’un livre, dirigé par Véronique Krings, a été publié aux éditions Ausonius en 2022. Cet ouvrage ambitieux de 717 pages se compose de deux volumes et d’un cahier, rassemblés dans un coffret. Dédié à une publication majeure de la première moitié du XVIIIe siècle pour l’histoire des savoirs archéologiques, L’Antiquité expliquée et représentée en figures (L’AE) de Bernard de Montfaucon (1655-1741), le collectif rassemble différentes études qui permettent d’éclairer l’histoire et la portée de cette somme éditoriale. Il met également à disposition des outils, des sources, des analyses – notamment par le biais de graphiques ou de dessins –, afin de mieux comprendre différents volets de cette œuvre monumentale. Un cahier, en complément, propose une visualisation originale de la chronologie de l’édition de L’AE (1719‑1724, 10 volumes in-folio).

Pour rendre compte de l’histoire de ce livre, l’ouvrage est organisé en trois parties, introduites par des citations du moine mauriste : 1) « Les routes que j’ai tenues » ; 2) « sur la vaste mer de l’Antiquité » ; 3) « L’entrée à tous les arts & à toutes les sciences ». Le premier volume débute par une préface de V. Krings dédiée à la genèse de ce grand « musée de papier » (p. IX-XX), puis par une introduction, par Chantal Grell, qui met en valeur l’intérêt de cette entreprise (p. 1-9). L’autrice pointe notamment la possibilité d’y découvrir des méthodes, objets et points de vue inédits (p. 1), grâce à des études de cas concrets ou la mise à disposition de nouveaux documents, permettant d’entrer « dans l’atelier de l’antiquaire » (p. 1). L’ouvrage de Montfaucon se singularise dans le paysage éditorial d’alors par la publication de 1 000 planches gravées et un premier tirage à 1 800 exemplaires (1719), facilité par une souscription internationale.

Raymond Rogé ouvre la partie I avec un texte dédié au « livre d’images de Bernard de Montfaucon » (p. 13-30). Il replace L’AE parmi les autres publications du bénédictin puis détaille le « travail d’exposition de l’Antiquité » (p. 19) essentiellement gréco‑romaine, à travers la place des images. Montfaucon n’est pas archéologue au sens moderne du terme mais poursuit la règle qu’il s’est imposée : « chaque planche comporte une histoire et une seule » et donne à voir des « images, précises, non artistiques, images d’objets usuels, d’objets d’art, d’œuvres d’art, de monuments (…) [permettant] la médiation, l’admiration, la contemplation de la beauté antique » (p. 23). Ainsi, il ouvre une nouvelle voie en considérant « la valeur de témoignages des traces non écrites du passé » (p. 28), suscitant un grand nombre de vocations dans la suite du siècle. Puis, Emmanuelle Chapron propose une réflexion sur les bibliothèques de Montfaucon (p. 31-47). La carrière du bénédictin y est envisagée depuis les bibliothèques qu’il a fréquentées (p. 31). Elles sont envisagées à la fois comme un lieu de travail, mais aussi par le biais de leurs modalités (accessibilité, prêt d’ouvrages) et usages (communication et usage du catalogue). Gilles Bertrand offre, ensuite, un texte dédié à « l’expérience mouvante du voyage d’Italie, entre érudition et rencontre des hommes et des lieux (années 1670-années 1740) » (p. 49-69) – L’AE doit beaucoup au voyage réalisé par son auteur vingt ans avant sa parution. G. Bertrand y examine l’expérience du voyage transalpin, les spécificités de celui du bénédictin – qui diffère du Grand Tour aristocratique –, ainsi que l’importance des images durant ce parcours. Le circuit de Montfaucon lui permet notamment de consulter des manuscrits dans les bibliothèques (p. 57).

Les textes suivants envisagent le rôle des correspondances et des réseaux dans l’œuvre du bénédictin. Geneviève Xhayet interroge les pratiques et réseaux d’érudition entre Paris et le Pays de Liège à travers la correspondance privilégiée de Montfaucon et Guillaume Pascal, le baron de Crassier (p. 71-85). Odile Cavalier étudie « Œdipe à Avignon. Le cercle du marquis de Caumont » (p. 86-149). Elle publie notamment en annexe les lettres envoyées par Caumont à Montfaucon (p. 94-119), riches de précisions sur les gravures et l’exactitude des dessins. Elena Vaiani consacre ensuite un texte aux manuscrits de Nicolas-Fabri de Peiresc (p. 150-189). Peiresc est en effet l’une des sources utilisées par Montfaucon pour ses illustrations (p. 151). Interrogeant la relation avec ce corpus disparate, l’autrice montre comment le moine bénédictin s’est confronté aux papiers épars et notes de travail de Peiresc, devenant ainsi pour lui une sorte de « correspondant du passé » (p. 152). En faisant entrer ce matériel dans le système organisé de L’AE, les antiquités de Peiresc « gagnent d’un côté un commentaire homogène et de l’autre la possibilité d’être confrontées avec d’autres pièces qui en éclairent automatiquement l’iconographie, le contexte et la valeur » (p. 175), facilitant leur étude et conservation (p. 178). Pierre Pinon, enfin, s’intéresse à la recherche sur les antiquités de Langres, à travers les manuscrits de Jean-Baptiste Charlet (XVIIIe siècle). Il confronte le matériel disponible à cette époque à son utilisation par Montfaucon dans L’AE. Le premier volume se termine par un texte personnel d’Alain Maes, en collaboration avec Bernard Minguet, dédié aux « gravures sous les feux de la rampe » (p. 224-276). Il décrit de façon très pratique l’organisation du travail d’impression, depuis la réalisation d’une page de texte imprimée ou dotée d’illustrations à la pratique de l’eau-forte (technique utilisée dans 90% des planches de L’AE), à travers des aspects très pratiques comme le coût temporel ou en main-d’œuvre. B. Minguet conclut le premier volume avec « la manière noire », une description commentée du tirage d’une image réalisée à partir d’une gravure de B. de Montfaucon (p. 269-276).

Les deuxième et troisième parties occupent le vol. 2. La partie 2 rassemble des études de cas, tournées vers des objets ou des contextes spécifiques, des exemples de réception. Manon Champier débute par la « réception de Minerve dans L’Antiquité expliquée » (p. 279-309). Elle cherche à comprendre la place d’Athéna-Minerve au regard des autres divinités, le rôle de l’iconographie, avant de se pencher sur la relation entre Athéna et Minerve et l’esprit critique de Montfaucon vis-à-vis de pièces singulières, le rôle allégorique attribué à la déesse. Olivier Latteur s’intéresse ensuite au culte de Mithra chez le moine mauriste, à travers une approche historiographique, méthodologique et critique (p. 311-327). Il cherche à comprendre comment Montfaucon a abordé les sources iconographiques et épigraphiques dont il disposait (p. 311), étant donné que le culte de Mithra est absent d’un certain nombre de recueils des XVIe et XVIIe siècles. Sydney H. Aufrère traite par la suite de la réception de l’Égypte classique et romaine chez Bernard de Montfaucon et ses perspectives au début du XVIIIe siècle (p. 329-399). Le texte est dédié au nouveau regard sur l’Égypte (jusqu’alors terra incognita) qui occupe une place significative dans L’AE. Aufrère analyse les différents thèmes qui y sont traités : il en ressort une Égypte hétéroclite qui a le grand mérite de « mettre en regard les textes de l’Antiquité avec un très grand nombre d’images-objets » (p. 371). Cette « Égypte de papier » permet, de plus, la diffusion d’une première Égypte académique, reconnaissance d’une discipline avant la lettre, bien que située après les Grecs et les Romains (p. 330). Suit, par Alain Charron, une analyse de la sculpture la plus anciennement découverte au musée départemental d’Arles antique, l’Aiôn (p. 401-413), de sa découverte à sa publication dans L’AE. Puis, Benoît Gain consacre une réflexion à la place de l’Antiquité tardive dans la somme de Montfaucon (p. 415-433), en s’attachant aux auteurs et monuments. Enfin, François de Callataÿ s’attache à une étude sur la place des monnaies antiques chez Montfaucon (p. 435-488). Véritable état des lieux d’un « Montfaucon numismate », l’auteur publie également la transcription de correspondances relatives aux monnaies antiques (p. 460-482).

La partie 3 ouvre le propos général vers d’autres disciplines qui trouvent place dans les travaux de Montfaucon. Vivien Barrière s’intéresse tout d’abord à l’archéologie du bâti confrontée aux travaux des antiquaires, à travers l’exemple des antiques d’Autun chez Montfaucon (p. 491-517). Ce cas lui permet d’évaluer l’ « intérêt archéologique de l’œuvre de Montfaucon » (p. 491). Il l’envisage notamment à travers les critiques adressées par ses successeurs, notamment Aubin-Louis Millin, pour mieux cerner la part d’héritages et d’innovations dans L’AE. Sydney H. Aufrère consacre un développement au secret d’État sous le règne de Louis XIV à travers « Bernard de Montfaucon, témoin muet des Harpocrates de la collection du conseiller Nicolas-Joseph Foucault (1643-1721) » (p. 519-549). Il y traite ainsi de la question et de la réception d’Harpocrate-Sigalion. Laëtitia Pierre et Markus A. Castor proposent ensuite de « Relire Bernard de Montfaucon. L’enjeu artistique et pédagogique de L’Antiquité expliquée dans l’œuvre du comte de Caylus et de Michel-François Dandré Bardon (1752-1774) » (p. 551-580). Ils envisagent la réception des idées de Montfaucon à travers l’usage documentaire et artistique des ouvrages de Caylus et Dandré-Bardon dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (p. 551). Puis, Cécilia Hurley expose « l’héritage d’un best-seller. Bernard de Montfaucon de L’Antiquité expliquée aux Monumens de la monarchie françoise » (p. 581-599). Elle évalue l’échec des Monumens de la monarchie françoise à l’aune de l’analyse du succès de L’AE. Enfin, Wallace Kirsop propose une première étude du marché anglais des œuvres de Bernard de Montfaucon (p. 601-614). La fortune anglaise s’exprime sous quatre aspects : la souscription et les premières ventes, les traductions, les échos dans la presse et les correspondances et la présence de l’ouvrage dans les collections publiques et privées du XVIIIe siècle.

Un supplément de Juliette Jestaz conclut le vol. 2. On y trouve une édition commentée des marchés de publication de L’AE (p. 617-626), une présentation sommaire de ses souscripteurs (p. 627-634) et la documentation imprimée et manuscrite de Montfaucon pour L’AE (p. 635-670). Par ailleurs, un cahier présente une visualisation de la chronologie de l’édition de L’AE (1713-1724), réalisée par Juliette Jestaz et mis en images par Alain Maes. Elle provient de l’annexe de la thèse de l’École des Chartes de J. Jestaz (1995), remaniée pour cette édition. La chronologie est complétée par des fac-similés de prospectus, bandeaux d’en-tête du livre, lettre et portrait de B. de Montfaucon.

Cet ouvrage collectif propose ainsi un approfondissement de l’histoire de L’Antiquité expliquée de Bernard de Montfaucon par différents parcours de lecture et études de cas et met à disposition des sources et outils, grâce aux tableaux et annexes qui offrent une riche documentation, associés à des propositions graphiques originales – pour rendre hommage au XXIe siècle à cet illustre musée de papier.

 

Élise Lehoux, Membre associé à Anhima
Publié dans le fascicule 2 tome 126, 2024, p. 687-690.