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Après un premier volume rassemblant les décisions publiques (lois, décrets, règlements), paru en 2010, un deuxième dédié aux autres documents publics (catalogues, dédicaces – y compris privées –, inscriptions honorifiques, bornes), qui suivit en 2012, la parution des volumes des IG consacrés à Cos se poursuit avec une régularité de métronome : voici donc les inscriptions funéraires de la ville de Cos, avant un autre volume annoncé pour 2018. Il faut d’emblée saluer la parution rapide de cette série de corpus remarquablement édités, véritable exploit si l’on considère la somme de travail nécessaire pour chaque volume et la production parallèle d’autres volumes des IG, consacrés à Athènes (cinq volumes), à Corinthe (un), à la Grèce centrale (un), ou à Thessalonique (un), sans parler des études préliminaires où sont publiés des lots d’inscriptions de Cos, parues dans la revue Chiron[1].

Un corpus des inscriptions funéraires est d’autant plus nécessaire que ces textes, peut‑être plus que d’autres, ne s’éclairent vraiment qu’étudiés en série, surtout si elles sont abondantes. Or, les inscriptions funéraires de Cos étaient très dispersées, entre des volumes, anciens, comme celui, plus que séculaire, de W. R. Paton et E. L. Hicks[2] (dont 167 inscriptions sont reprises ici.), ou d’autres, plus récents, pour l’un peu fiable (l’ouvrage posthume de M. Segre[3], 826 inscriptions reprises ici), pour l’autre bien plus réussi (D. Bosnakis[4], 286 inscriptions reprises ici)[5], mais aussi nombre d’articles de revues. Sont désormais rassemblées dans ce volume 1 813 inscriptions ; encore ne s’agit-il que de celles des nécropoles de la ville même de Cos. Non seulement a été rassemblée et corrigée une documentation dispersée, mais s’y ajoutent environ 370 inscriptions inédites. Celles-ci proviennent surtout des carnets des fouilles de R. Herzog, effectuées au début du XXe siècle, sans que l’auteur, on le sait, puisse en publier l’intégralité des résultats, absorbé par d’autres activités[6]. On ne dira jamais assez que les carnets de fouilles et de prospection sont des mines d’inédits.

La matière n’était pas facile à organiser : au lieu d’un classement onomastique ou chronologique, les a. ont privilégié une typologie par monuments funéraires (autels, colonnes, « cubes », stèles ornées ou non, bornes, cippes, etc.). La logique se comprend, mais il n’apparaît pas que ces différents monuments obéissent à un type d’inscriptions, de noms, voire à une chronologie nette. Autrement dit, si le gain est certain pour l’archéologue, il est moins évident pour l’historien, surtout en l’absence de tout index. Ceux-ci seront procurés avec les derniers volumes du corpus, choix raisonnable, qui permet une parution plus rapide, mais qui rend ce précieux corpus peu maniable à l’heure actuelle. Il est vrai qu’une étude onomastique et statistique ne pourra prendre son sens qu’après la parution de l’ensemble des inscriptions funéraires et qu’un index général fournira la base d’une prosopographie. Mais un index des noms pour ce seul volume n’aurait-il pas permis de rendre possible une réflexion sur les lieux d’ensevelissement des personnes sur l’île de Cos ? Ou simplement de repérer pour le moment dans ce volume un nom donné ? De retrouver les ethniques des étrangers ensevelis dans les nécropoles urbaines ?

De fait, le lecteur est en quelque sorte laissé seul face au corpus. Il en va de même dans le corps du volume. On comprend aisément qu’il était hors de question de commenter chacune de ces centaines d’inscriptions. Mais ne pouvait‑on, d’un mot, attirer l’attention du lecteur sur une nouveauté, éclairer une difficulté, souligner un nom rare ou nouveau ? Ici comme dans les autres volumes, la nécessaire brevitas est peut-être poussée un peu trop loin[7]. Les lecteurs du corpus n’effectuent pas tous des recherches ab ovo : les éditeurs devraient leur fournir les moyens d’élucider les principales difficultés des textes publiés. Ce n’est pas souvent le cas ici. Prenons un exemple : au n° 1529 est publiée sans commentaire une épitaphe de la fin du Ier siècle a.C., gravée sur un colonne, sur laquelle a été inscrite plus tard (les ed. ne proposent pas de datation) une seconde épitaphe : Σακόνδας Καισειλίας ζώσης. Il aurait fallu relever cette nouvelle attestation de Sakonda = Secunda[8]. Quant au second mot, il ne s’agit pas de la transcription de Caesilla uel sim[9]. mais plutôt du gentilice Caesilia : Secunda Caesilia. Tout cela pouvait être exprimé en une ou deux lignes.

Aucune étude d’ensemble n’étant possible, on se contentera de relever ici quelques nouveautés apportées par les inscriptions inédites[10]. Plusieurs noms peuvent être ainsi signalés. – Au n° 1414, l’épitaphe de Κλευπάτρα Ἑκαταίου (IIe s. a.C.) : sauf erreur, ce nom, bien connu à Rhodes et en Cyrénaïque, n’était pas attesté à Cos. – Au n° 1633, le nom épichorique Γναθυλλίς. – Au n° 1863, une Ἀμυμώνη Τροφίμης (Ier-IIe s. p.C.) au nom très rare (deux attestations recensées dans le LGPN ; du reste Τροφίμη n’était pas non plus attesté à Cos). – Au n° 2659 : Χ̣αρμόσυνε Λαοκρίωνος (tournant de notre ère). Le patronyme est nouveau. Au chapitre des remplois, signalons le n° 1844, une épitaphe du Ier s. p.C. gravée sur une stèle dont l’autre face contient les misérables restes de ce qui semble être une loi sacrée du IIe s. a.C.

Parmi les inédits, on relève sans surprise nombre d’étrangers ensevelis à Cos. Pour l’époque hellénistique, un Ambraciote (n° 1570), un Mylasien (n° 1625) ; un Alabandien (n° 1686), un Myndien (n° 1749), un Idyméen (n° 2639) – il y a naturellement d’autres personnes originaires de Carie, ainsi d’Halicarnasse. Signalons une Lariséenne : Φαινίχη Λασαγόρα Λαρεισαία. Le nom ne semble pas exister sous cette forme (mais on trouve Φηνίχα, Φήνιχος en Béotie, cf. LGPN IIIB, Φανίχη à Apollonia en Thrace, cf. LGPN IV). Le patronyme est inconnu, mais on en rapprochera Λυσαγόρας (Delphes, Pythion de Thessalie, etc., cf. LGPN). On relève aussi un Éphésien (n° 1708), un Milésien (n° 2945), une Bithynienne (n° 1719), un Parien (n° 2167), un Arcadien (n° 2312), une Syracusaine (n° 1691), un Néapolitain (n° 2245), une Laodicéenne (n° 2485, hélas sans plus de précision : Λαυδίκης τᾶς Φιλίππου Λαυδικίσσας), une Mésambrienne (n° 2642 ; elle a apparemment épousé un citoyen) et un Thrace (n° 1727 : Τηρεὺς Θρᾶιξ, Ier s. a.C.). Au n° 1861 est publiée l’épitaphe d’Onesimos, affranchi de G. Iulius Nepotianus, préfet de la flotte de Misène (Ier-IIe s. p.C., le nom du défunt est au datif, le grec suivant ainsi l’usage latin).

À l’époque impériale, remarquable est l’épitaphe n° 2291 : Ἀπολ⟨λ⟩ωνία Τίγριος Σελευκὶς χαῖρε (IIe s. p.C.). Il est pour le moins surprenant de trouver une ressortissante de Séleucie du Tigre à une date aussi tardive, apparemment fondée sur l’écriture (oméga lunaire), d’après un estampage. Les autres attestations de Séleucéens du Tigre (sous la forme Σελευκεὺς ἀπὸ Τίγριος) appartiennent aux IIe-Ier siècles a.C.[11]. La datation est-elle certaine ? Ou s’agit-il d’une famille de métèques, installés depuis la fin de l’époque hellénistique à Cos ? On pourra signaler la présence d’une Damascène – qui a épousé un citoyen (n° 2732), au n° 1358 une Sinopéenne (mais son mari doit lui aussi être un coéen).

Enfin, quelques épitaphes attirent l’attention, ainsi celles (d’époque impériale) où l’on signale l’âge du décès, d’une femme à 32 ans (n° 2451, IIIe s. p.C.), d’une autre à 20 ans (n° 2051, IIe-IIIe s. p.C.). Au n° 1963, une épigramme accompagne celle d’un Épaphrodite, mort à 19 ans, ἐξέλιπον τὸ φάος· βάσκανε δαίμων, οἰκτρὰ τρέσας πατέρα· χαίροις, ὦ παροδεῖτα, « j’ai quitté le jour, ô mauvais sort, qui a fait trembler mon père, pitoyable. Salut à toi, ô passant ! » (IIe s. p.C.).

On le voit, ce beau corpus sera une base pour nombre d’études entre autres d’onomastique ou d’histoire sociale. La documentation coéenne semble assez étoffée pour les étayer et l’on attend non sans impatience la parution des volumes suivants.

Pierre Fröhlich, Université Bordeaux Montaigne, UMR 5607, Institut Ausonius

[1]. Toutes les références peuvent aisément être retrouvées sur la page qui leur est consacrée sur le site de l’Académie des sciences de Berlin consacré aux IG : http://ig.bbaw.de/publikationen/publikationen#InscriptionesGraecae.

[2]. The Inscriptions of Cos, Oxford 1891.

[3]. Iscrizioni di Cos, epigrafi funerarie, Rome 2007.

[4]. Ἀνέκδοτες ἐπιγραφὲς τῆς Κῶ· Ἐπιτύμβια μνημεῖα καὶ ὅροι, Athènes 2008.

[5]. Sur ces deux derniers ouvrages, voir mes remarques Bull. ép. 2009, n° 402-403.

[6]. R. Herzog a certes eu une notable et importante activité de publication des résultats des fouilles. Mais il fit aussi une carrière administrative dans son université (Gieβen), et bien au-delà de celle‑ci, soutenue in fine par son adhésion au NSDAP : voir en dernier lieu St. Rebenich, « Berlin und die antike Epigraphik » dans W. Eck, P. Funke éds., Öffentlichkeit – Monument – Text, Berlin 2014, p. 7-75, ici p. 45.

[7]. Mêmes remarques à propos des volumes précédents, Bull. ép. 2011, 472 et BMCR 2013.10.67.

[8]. Cf. Bull. ép. 1965, 61, p. 88 et M. Kajava, Roman Female Praenomina, Rome 1994, p. 71-75.

[9]. cf. W. Schulze, Zur Geschichte lateinischer Eigennamen, Berlin 1904, p. 290.

[10]. Je ne reprends pas ce que j’ai signalé Bull. ép. 2017, 416.

[11]. Ainsi à Délos, ID 2429 et 2445 et M.‑Th Coullioud, Monuments funéraires de Rhénée, Paris 1970, n° 292 ; les autres attestations proviennent de catalogues de concours, il s’agit d’un autre phénomène.