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Comme le dit dans son Introduction (p. 7-14) le Professeur Robert Bedon, éditeur de l’ouvrage, dédié à la mémoire de Bernard Rémy (p. 15-16), ce volume double de la collection Caesarodunum créée en 1967 par le regretté Raymond Chevallier n’est pas comme les précédents la publication des actes d’un colloque mais la réunion de contributions très diverses sous le titre Imagines et inscriptiones. Représentations iconographiques et inscriptions en Gaule romaine et dans des régions voisines, inspiré par la réalisation en cours du Nouvel Espérandieu dirigé par Henri Lavagne. En effet, sur ce thème ne donnant pour seules contraintes que les bornes géographiques et temporelles traditionnelles de la collection Caesarodunum, la Gaule et les régions voisines, ici l’Italie, et l’époque romaine avec quelques extensions, les vingt-et-un articles, suivis pour la plupart d’une bibliographie, se répartissent en études sur des œuvres uniques (sept), des séries (huit), et des réflexions sur des sujets plus généraux (six). B. Clémençon, Ph. Arnaud et Y. Connier ouvrent le premier groupe en proposant de reconnaître sur les reliefs en assez mauvais état ornant un tambour de colonne mis au jour à proximité du forum d’Augustonemetum cinq personnages faisant référence aux célébrations en mars du culte de Cybèle/Magna Mater, très répandu en Gaule à la période impériale jusqu’à son élimination par le christianisme (p. 17-28). La deuxième contribution, de R. Bedon, identifie une stèle funéraire à l’épitaphe incomplète (CIL XIII, 1333) du musée du Berry à Bourges comme celle d’un clinicus par la coiffure et la barbe du personnage, particulièrement soignées, et le bâton tenu de la main droite et au sommet duquel se love un serpent (p. 29-35). J. Santrot reconnaît ensuite sur une tombe postérieure à 1780 du « vieux cimetière » de Barbâtre dans l’île de Noirmoutier (Vendée) un couvercle de sarcophage antique utilisé en remploi, confectionné d’après sa forme entre 350 et 500 dans un calcaire de provenance probablement locale (p. 37-52). C. Vernou examine une rare sculpture en bois en forme de pieu de 830 mm de haut et d’un peu plus de 3 kg, dans un état de conservation remarquable car provenant de la fonte d’un glacier, découverte au passage du Colerin, commune de Bessans (Savoie), à environ 3200 m d’altitude, représentant un personnage en pied sur les deux tiers supérieurs, le dernier tiers correspondant à une extrémité appointée, destinée à ficher l’effigie dans le sol : pour l’auteur, en raison de comparaisons iconographiques et stylistiques, il s’agit d’un ex voto du Haut‑Empire romain témoignage de remerciement ou d’imploration à l’égard de la divinité protectrice d’un itinéraire montagneux particulièrement périlleux (p. 55-79). Y. Maligorne et A. Lassalle commentent un relief de la collection lapidaire de Narbonne représentant six personnages participant à une scène de combat naval qu’ils considèrent comme une pièce d’un panneau en plusieurs assises ornant le socle d’un monument funéraire d’époque augustéenne (p. 81‑101). D. Briquel quant à lui, présente une urne cinéraire étrusque en terre cuite découverte en 1878 dans une tombe près de Chiusi, aujourd’hui conservée au musée Bonnat-Helleu de Bayonne, appartenant à une série produite à grande échelle dans la ville étrusque de Chiusi au iie s. et dans la première moitié du ier s. av. J.-C. : le couvercle porte un personnage allongé paraissant endormi, la tête placée sur des coussins, tandis que la cuve est ornée sur sa face antérieure d’une scène de combat dite du héros à l’araire rehaussée d’une polychromie assez bien conservée et surmontée de l’inscription CIE 4819 = ET, C1 1.260 donnant le nom du propriétaire : Arnθ Zilni, fils d’une Xurnei (p. 103-115). V. Dasen et N. Mathieu étudient un autel funéraire d’époque romaine impériale conservé au Museo Gregoriano profano au Vatican : si l’inscription CIL VI, 20189 identifie le jeune défunt Philetus, enfant affranchi du chevalier C. Iulius Postumus, préfet d’Égypte en 45-47 apr. J.-C., peut‑être aussi son père naturel, les reliefs des quatre faces commémorent trois étapes de sa vie dont celle de son affranchissement (p. 117‑133). Le deuxième groupe d’articles portant sur des séries débute par un catalogue de G. Coulon des remplois de blocs sculptés gallo-romains dans trente‑trois communes actuelles de l’ancienne ciuitas des Bituriges Cubes : en dénombrant trente-et-un sur des édifices religieux, onze sur des édifices civils et deux utilisés comme socle de croix, l’auteur envisage les différentes causes de ces réemplois, du manque de carrières proches ou de la volonté de détruire les monuments païens à l’ère paléochrétienne au souci contraire de préserver des éléments d’un patrimoine ancien (p. 135-171). Dans l’étude suivante I. Fauduet recense les figurines en bronze de divinités déposées en offrandes individuelles dans les lieux de culte publics ou privés gallo-romains, peu nombreuses et souvent mises au jour à l’état fragmentaire : celles figurant Mercure prédominent, tandis que Mars était présent dans la Gaule du Nord-Est et que les divinités féminines demeuraient rares  (p. 173-194). J.-P. Bost et C. Brial remarquent que les neuf stèles ou cippes funéraires à personnages de la cité gallo‑romaine des Lémovices se concentrent dans le nord-est de la Creuse, à proximité de la frontière biturige, ce qui explique l’influence des modèles de cette cité voisine et l’existence probable d’un atelier à Ahun (Acitodunum), important carrefour routier sur la voie d’Agrippa (p. 195-218). Grâce à une étude stylistique et à une enquête sur l’onomastique et les formulaires observés, N. Mathieu remarque que dans le corpus épigraphique des Voconces de Vaison les deux seules épitaphes accompagnées d’un monument figuré, les stèles de Marciana Chrysogonè et de T. Atilius Ingenuus, appartenaient à des défunts insérés dans les circuits d’échanges culturels transalpins et rhodaniens, ce qui devrait permettre de replacer les Voconces méridionaux dans le concert d’une universalité culturelle (p. 219-238). F. Blanchard observe qu’à partir du iie s. apr. J.-C., dans les cités d’Aquitaine, une place singulière a été accordée au motif des Amours dans les décors architecturaux : il en relève les occurrences et s’efforce d’appréhender les raisons de cette vogue liée aux thèmes mis en valeur à l’époque de la pax Romana (p. 239-280). G. Moitrieux, s’appuyant sur les catalogues des cités des Médiomatriques et des Triboques du Nouvel Espérandieu qui recouvrent une grande partie du massif vosgien et de son piémont, montre que le culte de Mercure est une particularité incontestable de cet espace qui laisse peu de place aux autres divinités à l’exception de Jupiter ; le sanctuaire du Donon, dominant la plaine d’Alsace, aux confins des cités médiomatrique, triboque et leuque, placé au point culminant de cette partie des Vosges, semble être le pôle de ce culte régional lié comme au Puy-de-Dôme à un Mercure des hauteurs dont le culte témoigne à la fois de la romanisation et d’un particularisme religieux local (p. 281-306). J.‑M. Demarolle s’intéresse aux descriptions et aux dessins qui du xvie s. au xixe s. ont transmis les inscriptions latines découvertes à Metz aujourd’hui perdues : avec une fidélité relative, ces témoignages écrits et graphiques de plusieurs générations de savants permettent d’étudier l’histoire de Diuodurum et de mesurer son intégration dans le monde romain (p. 307-329). V. Brunet-Gaston et P. Guinchard-Pansieri présentent les résultats d’une fouille récente sur le rempart de Meaux/Iantinum au sud de la tour Bourgeoise ou de la Halle, dans deux caves à la bifurcation entre l’enceinte du castrum et l’extension médiévale côté est : si le tracé du castrum a globalement été identifié et ponctuellement reconnu, sa datation tardo-antique ne peut cependant être confirmée car les remblais comblant la tranchée intra muros contiennent des éléments attribuables à la seconde moitié du ier s. apr-J.-C. ou du début du iie s. apr-J.-C., associés à un seul du iiie s. ; en outre les sondages réalisés ont permis d’inventorier une trentaine de blocs en remploi dont un figurant vraisemblablement une divinité dénudée indéterminée, peut-être Vénus, et un à décor de hastes (p. 331-350). Entamant le troisième groupe d’études sur des sujets plus généraux, la contribution d’A. Ferdière pose la question de l’historicité de la réputation de l’artisanat gallo-romain : l’auteur part de ce qu’il considère comme un « effet de source » combinant le jugement négatif porté par les élites cultivées sur les activités manuelles et le foisonnement de la documentation archéologique sur les productions artisanales de la Gaule romaine (notamment céramiques) : l’isolement dans l’ensemble des sources écrites des vers 30‑31 du poème A du mausolée des Flauii de Kassérine, l’antique Cillium, en Afrique proconsulaire, du iie s. apr-J.-C. (CIL VIII, 211-216), qui, à la fin de la liste vers 24-31 des régions ou provinces fournissant des produits de luxe sources d’immoralité affluant à Rome, mentionnent « artibus actis / Gallia semper ouans », « la Gaule toujours triomphante avec ses savoirs professionnels mis en œuvre » (traduction R. Bedon) et l’absence de comparaison possible avec des synthèses portant sur les produits manufacturés des autres parties de l’empire permettent à l’auteur de douter de la supériorité de l’artisanat gaulois sur celui des autres provinces, jugement final qu’il remet lui-même en question en évoquant notamment le travail du bois (charpenterie, tonnellerie, charronnerie), domaine qui a beaucoup apporté à l’ensemble de l’empire à l’époque de la pax Romana et qu’il aurait été en effet nécessaire de mieux explorer pour une opinion sans doute plus conforme à la réalité historique (p. 351-381). M. Cavalieri propose en italien une réflexion sur les attestations de loyauté et sur l’évergétisme des élites locales de Veleia, petit municipe situé dans les Apennins, surtout connu par la table gravée de bronze du début du iie s. concernant les alimenta (CIL XI, 1147), à partir des espaces de représentation du forum, un des mieux conservés de toute la Cisalpine ; après avoir rappelé brièvement les données historiques connues en particulier par les découvertes des fouilles du xviiie s. (1760-1765), l’auteur s’intéresse au forum qui a connu deux phases principales d’aménagement, la première entre l’époque augustéenne et le règne de Claude, la seconde à l’époque flavienne ; de la première datent la basilica et le chalcidicum, tous les deux attestés par l’archéologie et l’épigraphie : au sud, la basilica, où a été mise au jour la tabula alimentaria, en l’absence d’un capitolium a pu être un espace dédié à la fois aux activités administratives, juridiques et cultuelles ; à l’ouest, le chalcidicum, dont la dénomination évoque celui construit par Auguste à Rome à côté de la curia Iulia (Res gestae Diui Augusti, 19, 1 ; Cassius Dion, 51, 22, 1) et d’où provient la statuette en bronze de la Victoire faisant elle aussi référence à la curia Iulia qui abritait le célèbre autel consacré à la même divinité, parachevait l’imitatio Vrbis recherchée par l’élite locale, espace choisi par elle à la fois pour affirmer son adhésion au culte impérial et mettre en scène sa propre autoreprésentation (p. 383‑422). G. Moitrieux présente la collection en cours de réalisation du Nouvel Espérandieu, sous la direction du Professeur Henri Lavagne, destinée à remplacer le Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine d’Émile Espérandieu, complété par R. Lantier et P.‑M. Duval, dont les seize volumes ont paru entre 1907 et 1981 : les sept volumes déjà édités, centrés sur des villes et des cités des Gaules, dus non plus à un seul homme mais à des équipes de spécialistes, offrent des notices bien plus nombreuses et beaucoup plus détaillées ainsi que des photographies de meilleure qualité, actualisent les données et intègrent un grand nombre de sculptures absentes de l’édition antérieure, allant parfois jusqu’à en multiplier le nombre par huit (p.  423-443). M. Corbier montre de façon détaillée la création puis l’évolution du personnage de Vercingétorix comme héros national vaincu qui choisit de se sacrifier pour sauver son peuple et que son courage place au-dessus de son vainqueur, lancée surtout par l’ouvrage d’Amédée Thierry, frère cadet d’Augustin, Histoire des Gaulois depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’entière soumission des Gaulois à la domination romaine, publié en 1828 ; après la défaite de 1870, Vercingétorix incarne la résistance à l’invasion et forme couple avec Jeanne d’Arc ; il entre dans les manuels scolaires ainsi que dans la littérature et est statufié dans de nombreuses villes, se trouvant au cœur de la concurrence et des échanges au cours du xixe s. entre deux façons d’écrire l’histoire, celle des spécialistes qui inventent les règles de leur discipline mais sont modelés par l’enseignement classique qu’ils ont reçu et qui célèbre la civilisation gréco‑romaine, et celle qui rencontre la faveur du grand public à l’époque de la formation des idéologies, des mythologies et des symboliques nationales ; l’auteur termine par une comparaison originale et intéressante entre les destinées de Vercingétorix et de l’émir vaincu Abd el‑Kader : la clémence mise en scène à Paris par Napoléon III envers celui-ci ne pouvait pas trouver sa place dans la Rome conquérante de César (p. 445-464). Dans le texte suivant, L. Quilici, déjà connu pour ses nombreuses études sur la uia Appia publiées souvent avec la collaboration de son épouse S. Quilici Gigli, attire en italien notre attention sur le secteur entre Fondi et Formia au sud du Latium dans un territoire de montagne très rude, traversé par de nombreux torrents ; il porte en particulier à notre connaissance la découverte inédite de quatre ponts répartis sur 2,7 km à l’approche de Formia relevant de trois typologies différentes qui en répartissent la construction entre la seconde moitié du iie s. av. J.-C. et la fin de l’Antiquité : sont ainsi démontrés le souci permanent de maintenir la qualité de la circulation sur cette voie et son importance pour la prospérité des habitants des zones traversées, confirmée par l’existence de nombreux vestiges archéologiques malheureusement souvent en mauvais état aujourd’hui (p. 465-480). Préférant pour l’appréhension de la colonie romaine de l’époque républicaine le modèle d’État-territoire au modèle classique de la polis (État-cité), la dernière contribution, d’ E. Hermon, présente la colonie romaine comme un espace sans frontière dans l’aménagement duquel interagissent par l’intermédiaire des instances politiques et des gromatici , ces experts romains de la gestion des territoires, deux concepts : la souveraineté populaire (dominium) et le statut de publicus des terres et des ressources naturelles connexes ; la rédaction des premiers traités d’agrimensure à l’époque flavienne, qui correspond à une vaste opération sur les terres publiques en Italie et dans l’empire, reflète cette problématique encore prégnante avec des nuances dans les travaux de leurs successeurs tardifs (p. 481‑505). En conclusion, cet ouvrage, abondamment illustré, édité avec la rigueur scientifique que l’on connaît au Professeur Robert Bedon, a pour mérite de réunir vingt-et-une contributions, évidemment d’intérêt inégal pour différents spécialistes, mais qui n’auraient pu être publiées autrement. On notera toutefois la persistance d’un certain nombre de coquilles, la plus redondante, assez fréquente pour être remarquée, étant la présence de traits d’union de fin de ligne du tapuscrit ayant subsisté au milieu de mots dans le texte imprimé.

Michel Molin, Université Sorbonne Paris Nord, UR 7338 – Laboratoire Pléiade

Publié dans le fascicule 2 tome 125, 2023, p. 542-546.