Les éditeurs de ce volume, qui ont mené, pour le réaliser, un travail collectif avec les étudiants de l’université de Lille, ont souhaité faciliter l’accès du grand public à la religion grecque telle que Pausanias la relate et décrit. Partant du constat qu’aucune édition intégrale en français n’existe, alors que Pausanias est un témoin majeur des cultes de son époque et du brillant passé des cités grecques, ils proposent dès lors une sorte de guide de ce que Pausanias nous apprend sur chaque région et chaque culte. Considéré comme « l’ancêtre de nos guides de voyage » (p. 11), Pausanias est donc utilisé comme un répertoire de notices relatives à une infinité de lieux sacré, de cultes, de traditions et d’images s’y rapportant.
On pourrait d’emblée s’interroger sur la notion de « croyances » mise en avant dans le titre de l’ouvrage, car est-ce bien sur ce plan que se situe Pausanias ? Après tout, il ne décrit pas que ce qui a trait à la religion, mais tout ce qui semble à ses yeux « remarquable », digne de l’attention du voyageur potentiel, digne aussi du prestige de la Grèce. Ranger son témoignage et, plus généralement, la religion grecque sous l’étiquette de « croyances », qu’il s’agisse des récits partagés (étiologies ou épisodes mythiques), des représentations des dieux (statues en particulier), des rituels ou des espaces les abritant (paysages, sanctuaires, autels…), est à la fois réducteur et fourvoyant pour un système polythéiste dont la logique repose avant tout sur la tradition (nomos), les usages, mais aussi sur l’exploration plurielle d’un monde toujours à déchiffrer. La notion de « croyances », excessivement judéo-chrétienne, n’est décidément pas la plus pertinente. D’ailleurs, à la p. 11, les auteurs de l’Introduction reconnaissent ne pas vouloir s’interroger sur « la signification profonde de ce terme, et sur son adéquation à la pensée antique ». C’est dommage !
L’objectif majeur du volume est de proposer une recension exhaustive des cultes mentionnés par le Périégète, dans les diverses régions qu’il a visitées, le tout formant une « géographie mythologique » (p. 11), qui est aussi cultuelle, les deux approches étant souvent liées au sein même du discours de Pausanias. Dans l’Introduction, un flou est du reste sensible quant à l’articulation entre les notions de croyances, rites, cultes et mythes. Le registre des représentations n’est pas plus adroitement cerné ; ainsi apprend-on que les auteurs se sont longuement interrogés (p. 12) sur le sort à réserver aux statues divines mentionnées par Pausanias. Selon eux, puisqu’il les mentionne souvent par le nom du dieu, « sans préciser qu’il s’agit d’une effigie ; il semble ainsi suggérer que toute statue divine est une incarnation de la divinité, et qu’elle est donc susceptible de recevoir un culte ». Une fois encore, le vocabulaire utilisé – incarnation ! – suscite un profond malaise, de même que la confusion entre plusieurs registres et statuts de représentation des dieux. La bibliographie récente sur Pausanias, mentionnée en fin de volume, en particulier le volume fondamental de V. Pirenne-Delforge, de même que les travaux de J.-P. Vernant, sur la présentification des dieux, qui est bien autre chose qu’une incarnation, aurait pourtant dû aider à rendre l’analyse plus solidement fondée sur le plan méthodologique et conceptuel.
La structure adoptée pour le Guide correspond aux livres de la Périégèse, donc aux itinéraires suivis par Pausanias qui sont cartographiés de manière très réussie. On trouve ainsi neuf sections successives, correspondant aux livres de Pausanias : I/Attique ; II/Corinthie, Argolide ; III/Laconie, Sparte ; IV/Messénie ; V-VI/Élide et Olympie ; VII/Achaïe et Ionie ; VIII/Arcadie ; IX/Béotie ; X/Phocide et Locride. Ensuite, à l’intérieur de chaque section géographique, après le rappel de l’itinéraire, on trouve un « Catalogue des croyances générales », qu’il faut comprendre comme celles qui sont propres à l’ensemble de l’unité géographique considérée – si bien que le « général » est en fait du « régional » –, suivi par un « Catalogue des croyances par sites », puis un « Catalogue des sites par culte ». Pour chaque entrée, est fournie la référence au texte de Pausanias et sa citation en traduction française (« le texte de façon brute », dit l’ouvrage p. 11), sans commentaire, ni discussion, ni bibliographie. Pourtant, « il s’agit là d’un domaine relativement nouveau, qui pourrait donner lieu à des commentaires fournis », lit-on encore à la même page 11. En vérité, nombre de ces passages ont déjà été commentés dans diverses éditions, articles ou livres de synthèse, et l’on peut s’interroger sur l’intérêt qu’il y a à proposer au « grand public » des extraits de Pausanias sans aucun élément permettant d’en éclairer la compréhension. Le type de traitement dont le témoignage de la Périégèse est l’objet dans ce volume a dès lors pour effet de démembrer complètement le texte, de rompre toute la logique de l’itinéraire suivi, de séparer ce que Pausanias décrit côte à côte, dans une proximité hautement significative, bref, de détricoter les éléments de sens qui constituent la charpente même du texte. Enfin, là où la plupart des travaux récents ont montré que l’ouvrage de Pausanias est nourri par un projet, subtil et complexe, le voici traité comme une « carrière » de notices, à l’instar d’Athénée ou de Diodore, ou comme un « guide » érudit.
On peut penser que le Guide des croyances de la Grèce antique, avec ses cartes, ses photographies, ses index, avec le détail des cultes, des théonymes, des épiclèses, etc. rendra des services aux spécialistes (sans doute plus qu’au grand public) qui y trouveront aisément tous les passages de Pausanias relatifs à Poséidon ou à Ajax, etc., mais les index de l’édition Loeb ou les éditions en ligne, sur le site Perseus par exemple, permettaient déjà ce genre de recherche. Le volume dont il est ici question, avec le texte de Pausanias à l’état brut et fragmenté, ne présente guère de progrès dans l’appréhension des données relatives aux cultes et aux traditions qui ont retenu l’attention du Périégète. Il faut néanmoins souligner l’effort de présentation, avec de belles cartes, des itinéraires soignés, des symboles pour catégoriser les notices, des index détaillés (on regrettera que les épiclèses n’aient pas été répertoriées comme telles). En revanche, la bibliographie de moins de deux pages, ne touchant qu’à Pausanias dans son ensemble, là où les innombrables questions soulevées par les contextes spécifiques sont totalement ignorées, est décevante. Cette « lecture thématique de Pausanias », comme le dit la 4e de couverture, ne manque certes pas d’intérêt, mais elle est ici à peine esquissée et pose bien des questions. L’ouvrage sera assurément consulté et utilisé, mais il n’en soulève pas moins des objections majeures sur sa conception même.
Corinne Bonnet, Université Toulouse – Jean Jaurès
Publié en ligne le 05 février 2018