Une première version de cet ouvrage était parue sous le même titre en 1996, aux Presses universitaires de France, dans une collection de poche dont la vocation était introductive. C’est dans le même esprit que la Librairie Vrin en propose à son tour, en poche, une édition revue, corrigée et augmentée, vingt ans plus tard. L’auteur est un spécialiste reconnu du stoïcisme, auquel on doit, entre bien d’autres études, deux introductions d’une grande clarté à l’ensemble de la tradition stoïcienne[1].
L’ouvrage, en 1996, était bien plus qu’une simple introduction, tant il est vrai qu’embrasser de façon cohérente une telle quantité de textes anciens, écrits sur une si longue période (plus de six siècles), dans des langues différentes, des perspectives savantes ou pédagogiques distinctes et conservés pour une grande partie sous une forme partielle, est une gageure considérable. Les stoïciens et l’âme relevait ce pari, fort de la conviction de J.-B. Gourinat que la question de l’âme est centrale dans la tradition stoïcienne. Une conviction que l’ouvrage faisait partager à son lecteur. La présente édition conserve la structure de la première en consacrant ses six chapitres successifs à une présentation du stoïcisme, à la question des parties de l’âme, de la représentation, de l’assentiment, de l’impulsion, puis enfin à la raison. Chacune des difficultés doctrinales (dont celle de la nature de l’âme, du statut de ses « facultés » et de ses opérations, mais aussi et encore du rôle du sage) est abordée avec une grande clarté et J.-B. Gourinat ne se contente jamais, comme c’est monnaie courante en ces matières, de signaler les difficultés puis de laisser le lecteur se débrouiller au milieu d’un océan de textes. Il interprète et explique, il guide au cœur des problèmes et des nuances. D’une édition à l’autre des points ont été modifiés ou corrigés, mais l’essentiel de l’ouvrage est bien conservé, avec des références textuelles enrichies. L’ouvrage est donc toujours aussi efficace, toujours aussi pertinent et toujours aussi indispensable.
Cette réédition revue et augmentée est l’occasion d’une mise à jour de la bibliographie de l’étude, sur un sujet qui depuis vingt ans a vu paraître un certain nombre de titres : des études sur le stoïcisme que recense l’ouvrage et des traductions nouvelles, qui ont fait progresser notre connaissance des œuvres et des doctrines stoïciennes. L’anthologie des textes hellénistiques de Long et Sedley, traduite de l’anglais en français en 2002, par exemple, la nouvelle édition[2] de Diogène Laërce et les nouvelles traductions de ses Vies et doctrines[3] ; ou bien des textes d’auteurs anciens qui nous permettent de découvrir la « psychologie » stoïcienne au travers des critiques qu’ils lui adressent : Alexandre d’Aphrodise, Plutarque, Galien, Sextus Empiricus ou encore Plotin.
D’Alexandre, on dispose désormais d’une édition nouvelle commentée par R. Sharples[4] et en langue française de traductions des deux traités sur l’âme d’Alexandre[5]. Le même R. Dufour avait du reste également donné aux Belles Lettres l’ensemble des fragments physiques et logiques de Chrysippe, qui sont l’une des principales, sinon la principale source stoïcienne « ancienne », de la doctrine de l’âme[6]. Enfin et s’agissant encore d’Alexandre, J. Groisard a donné aux Belles Lettres et dans la CUF, une nouvelle édition, traduite, du traité De mixtione, en 2013. La contribution d’Alexandre, si critique soit-elle, nous renseigne considérablement sur la « psychologie » stoïcienne. Elle a en outre exercé une influence considérable sur la critique, également minutieuse, que Plotin donne par exemple de cette doctrine, dès ses tout premiers traités (2 et 4), en réfutant la doctrine stoïcienne d’une âme corporelle ainsi que la doctrine du « mélange ».
C’est dire combien, directement ou indirectement, ce pan du stoïcisme sera sans doute encore investi et exploré. L’ouvrage de J.-B. Gourinat propose une introduction unique en son genre à ces différentes pistes en même temps qu’une carte extrêmement fiable de ce vaste territoire. Mais il est bien plus qu’une « introduction », parce que la synthèse qu’il propose de son objet est en elle-même une réussite rare. La lecture de l’ouvrage est toujours aussi aisée que lumineuse, au point de faire oublier à son lecteur que Les stoïciens et l’âme, à sa façon tentaculaire, lui donne à saisir et à comprendre une tradition multiséculaire d’une grande complexité.
Jean-François Pradeau, Université Jean Moulin Lyon 3
[1]. Aux Presses universitaires de France, avec le « Que sais-je ? » Le stoïcisme, paru en 2007, puis la co-direction du collectif Lire les stoïciens, en 2009.
[2]. Par T. Dorandi, Cambridge 2013.
[3]. Dont la collective sous la direction de M.‑O. Goulet, Paris 2006.
[4]. Alexander Aphrodisiensis. De anima libri mantissa. A new edition of the Greek text with introduction and commentary, Berlin-New York 2008.
[5]. Le traité De l’âme. Texte grec introduit, traduit et annoté par M. Bergeron et R. Dufour Paris 2008 ; puis le « supplément », le De l’âme II: Mantissa, introduction, traduction et notes par R. Dufour, Québec 2013 [qui propose une traduction du texte du De anima libri mantissa, édité par R. Sharples].
[6]. Deux volumes bilingues, Paris 2004.