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Cet ouvrage contient des notes de Daniele Foraboschi ayant trait à diverses formes de violences connues durant l’Antiquité ; elles sont publiées à titre posthume par Silvia Bussi. Décédé en 2018, l’auteur avait été professeur à l’Université de Pise, puis à l’Università degli Studi de Milan ; éminent spécialiste de papyrologie et de numismatique, il était un grand connaisseur de l’histoire économique et sociale de l’époque impériale. La variété des engagements et des centres d’intérêt de ce grand chercheur fait évidemment regretter l’absence dans cet ouvrage posthume de toute introduction explicative, qui aurait accru son attrait en faisant connaître au lecteur, antiquisant non romaniste ou tout simplement lecteur cultivé, qui était Daniele Foraboschi, ce qu’il a fait et écrit, et aussi les conditions dans lesquelles se présentait le manuscrit. Celui-ci en effet, outre des marques matérielles d’inachèvement relativement nombreuses (ainsi, des problèmes d’alignement et de ponctuation, des lettres manquantes ou redoublées, des appels de notes en gros caractères, des doubles points d’interrogation entre parenthèses …), souffre de l’absence d’organisation finale qui permet à des notes de devenir vraiment un livre.

La matière en effet est dense et touffue, et l’érudition de Daniele Foraboschi impressionnante, appuyée sur un appareil de notes bibliographiques assez à jour jusqu’en 2018, témoignant de lectures considérables et variées dans ce champ de la recherche que constitue la violence dans l’Antiquité, et même parfois jusqu’à nos jours. Le tableau brossé par l’auteur des différentes formes et des différents champs de violences est sombre, et souvent oppressant ; l’approche historique de ce type universel de relations humaines est marquée par un questionnement anthropologique, ethnologique et psychanalytique. L’ouvrage est divisé en deux parties, qui traitent, la première, des violences et de l’individu, et la seconde, des violences sociales ; des recoupements et retours en arrière font néanmoins que ce découpage n’est pas pleinement respecté, si tant est qu’il puisse l’être.

Parmi les grands sujets abordés figurent, après des réflexions sur le cannibalisme et les sacrifices humains, les exécutions accompagnées de supplices et tortures, les violences exercées par les hommes sur les femmes, violences sexuelles et domestiques dans divers types de sociétés antiques et aussi dans le mythe, les massacres et exterminations à grande échelle, le phénomène guerrier et belliqueux dans sa complexité anthropologique, avec la cruauté et l’agressivité, mais aussi dans sa dimension matérielle, économique et financière, l’impérialisme en général et tout particulièrement l’expansion de Rome, les conditions du soldat, le mercenariat et le brigandage. Les remarques et analyses dénotent l’intérêt de l’auteur pour la société de l’ Égypte hellénistique et romaine, étudiée au plus près grâce aux compétences papyrologiques de Daniele Foraboschi, pour la situation des Juifs, depuis l’Antiquité jusqu’au XVIe siècle, pour la succession des empires et hégémonies, pour le traitement des minorités, le rapport à l’autre, et l’esclavage, dans l’Antiquité et à l’époque moderne.

Les réflexions, libres comme si la pensée était restée au stade d’un développement pour soi-même, vont et viennent de l’Antiquité à l’époque contemporaine, se succédant par associations d’idées et prenant parfois l’apparence d’un énoncé accumulatif de faits de violences antiques ou d’affirmations générales et simplificatrices, qui finissent par susciter la lassitude du lecteur. Il a manifestement manqué à cette publication à caractère posthume la relecture attentive qui aurait supprimé des erreurs matérielles, mais qui aurait surtout permis d’éliminer certaines redites et approximations et qui lui aurait conféré, en rassemblant des remarques ou analyses trop éparses, typiques d’une conversation à bâtons rompus et présentées de manière redondante et sinueuse, l’unité d’un livre, la cohésion et l’armature rigoureuse et serrée qui permettent au lecteur de profiter pleinement de l’érudition et du raisonnement de l’auteur.

Malgré ces défauts, qu’aurait sans doute pu atténuer partiellement une présentation de la genèse de l’ouvrage, Daniele Foraboschi offre ici, avec Violenze antiche, les pensées intimes d’un érudit sur la violence, apparemment consubstantielle à l’être humain, et sur ses manifestations physiques et sociales durant l’Antiquité. Le titre, dans sa généralité, convient au panorama de violences antiques qui est offert, et qui parfois se fixe durablement, le temps d’une étude de cas, sur telle ou telle situation de violence révélée par des sources que l’auteur examine de près, privilégiant notamment la société de l’Égypte hellénistique et romaine. On ajoutera pour finir que le lecteur, s’il se sent quelque peu découragé dans sa progression, pourra accéder ponctuellement à cette masse d’informations et de remarques sur les faits de violence les plus divers, appuyées sur un riche appareil de notes bibliographiques, en utilisant l’index analytique et l’index des sources, littéraires, épigraphiques et papyrologiques, situés en fin de volume.

Anne Queyrel Bottineau, Sorbonne Université, Equipe EDITTA, EA 1491

Publié dans le fascicule 1 tome 122,  2020, p. 264-265