Ce volume, richement illustré et de présentation agréable, est le résultat des fouilles menées entre 1997 et 2000 dans le fort romain de Didymoï, sur la route de Coptos à Bérénice. L’exploration des différents praesidia situés le long de cette piste fait suite à celle des fortins de la route de Coptos à Myos Hormos (H. Cuvigny, éd., La route de Myos Hormos. L’armée romaine dans le désert Oriental d’Égypte, 2 vol., Le Caire, IFAO, 2003). Ce premier volume collectif a pour complément un second, dans lequel sont présentés les textes (inscriptions et ostraca). Il se compose de deux grandes parties, consacrées l’une à la fouille (p. 3-163), l’autre au matériel anépigraphe (p. 165-395). Dans le premier chapitre (p. 3-7), H. Cuvigny rappelle que, à partir de 50 p. C. environ, la route de Coptos à Bérénice supplante, pour le commerce des marchandises, celle de Coptos à Myos Hormos, et précise que le nom de Didymoï renvoie aux Dioscures, comme nous l’apprend une inscription trouvée sur place. De fait, les textes mis au jour sont très précieux, notamment pour les indications chronologiques qu’ils donnent. Celles-ci sont résumées dans le chapitre 5 (p. 157-163) qui aurait peut-être gagné à être placé à la suite du petit chapitre 1, ou même à être réuni avec celui-ci. On apprend que le praesidium a été construit en 76-77, sous Vespasien (p. 157), qu’on y a creusé entre 88 et 92 une nouvelle citerne (p. 158), qu’après une période d’abandon, des travaux ont été accomplis sous Marc Aurèle, vers 176-177 (p. 159), enfin que les textes datés les plus tardifs portent la date de 235, ce qui laisse supposer un abandon définitif vers le milieu du III e siècle. Les structures successives du fort sont décrites en détail dans le chapitre 3 (p. 17-113) par M. Reddé et J.-P. Brun. Comme toujours, la construction, entourée d’un rempart, était aménagée autour d’un puits, dans lequel on puisait à l’aide d’une machine hydraulique, dont les godets (en terre cuite) ont été conservés. En outre, quatre citernes (p. 21-24) ont été construites à des périodes différentes. Quant à l’aedes du camp (appelée ici principia) dont on ne connaît que l’aménagement le plus tardif, la question se pose de savoir quel dieu y était vénéré : une divinité romaine ou Sérapis. L’analyse du dépotoir (p. 115-155) réalisée par J.-P. Brun, est exemplaire. Conservé à certains endroits jusqu’à une hauteur de trois mètres, cet ensemble semble avoir été particulièrement bien organisé, puisque les détritus étaient apparemment étalés en couches permettant l’aménagement de soues à cochons (p. 115). Une étude stratigraphique très fine permet de définir onze phases d’occupation, dont la chronologie absolue peut être fixée grâce aux ostraca. C’est le matériel trouvé dans ce dépotoir qui forme l’essentiel des études rassemblées dans la seconde partie. Pour chaque catégorie d’objets ont été sollicités des spécialistes, jusqu’à un chimiste expert en teinturerie (W. Nowik), pour étudier un matériel particulièrement riche. Grâce aux os d’animaux (p. 167-204), M. Leguilloux a pu mettre en évidence la prédominance des porcs « graciles et de petite taille » (p. 170). Comme animaux de compagnie, on trouve des chiens, dont certains ont été enterrés dans des sacs de toile (p. 172-173). Pour le transport, on privilégiait les ânes, les os de dromadaires n’étant présents que dans les niveaux les plus récents (p. 171). En ce qui concerne les végétaux (p. 177-204), outre les traditionnels petits pois, lentilles et gesses, M. Tengberg attire l’attention sur un grain de riz, très bien conservé (p. 206-207), dans une couche datée de 96 ou peu après. Les objets de cuir (710 !) constituent, d’après M. Leguilloux, « l’ensemble le plus important trouvé dans les forts du désert oriental » (p. 251). La présence de chutes de cuir permet d’envisager l’existence d’un atelier de cordonnier dans le fort. Toutes sortes de chaussures, y compris d’enfants, ont été mises au jour, ainsi que plusieurs fragments de cuirs peints, qui devaient constituer l’ornement central d’un bouclier de parade, d’après H. Eristov (p. 257-272). On y distingue encore la représentation de deux gazelles, dans le cadre d’une scène de chasse. Le dernier chapitre, le plus développé (p. 273-395), est aussi le plus fascinant. Les auteurs, D. Cardon, H. Granger-Taylor et W. Nowik lui ont donné un titre suggestif : « What did they look like ? Fragments of clothing found at Didymoï : case studies ». Grâce à de nombreux fragments de tissus retrouvés parfois à l’état de chiffons, on peut étudier l’histoire des vêtements portés ou récupérés par des habitants du fortin. Il apparaît que les habits étaient utilisés pendant des décennies, souvent raccommodés, puis recyclés : une fois réduits en lambeaux, ils servaient soit à bourrer des coussins, soit à confectionner des kentrônes faits de pièces rapportées, comme par exemple des bonnets, portés par les soldats sous le casque (p. 273-279). Les spécialistes des textiles se sont efforcés d’identifier les vêtements dont ont été conservés des fragments, souvent colorés, et d’établir des comparaisons avec les habits représentés ou conservés en Égypte ou en Syrie. Dans ce domaine, une large utilisation a été faite des portraits romains d’Égypte. Les teintures utilisées sont étudiées avec soin, et permettent parfois d’attribuer un vêtement tantôt à un homme, tantôt à une femme. Ainsi, pour les tuniques en deux pièces de couleur verte ou abricot (p. 302-306), on peut préciser, non seulement qu’elles sont postérieures au I er siècle (où la seule teinture attestée est le pourpre), mais également qu’elles étaient portées par des femmes. Plusieurs types de manteaux peuvent aussi être étudiés, ceux qui sont du type pallium (palla pour les femmes, p. 308-319), et les vêtements militaires du type paenula, auxquels est associé un capuchon (koukollon, p. 319-341). Dans la première catégorie, la teinture verte est elle aussi spécifique d’un vêtement féminin (p. 316-317). Pour les manteaux militaires, plusieurs coloris sont attestés : le bleu sombre, le rose, le pourpre ou l’orange. La couleur pourpre est rarement obtenue à partir du murex, d’un coût excessif ; elle est souvent réalisée à partir d’un mélange d’indigo et de garance ou de kermès Quant aux manteaux oranges, on en a également trouvé à Masada et ils font penser à certaines peintures de Doura-Europos (p. 331-332). Des fragments de capuchon, souvent de couleur brun-roux, ont également été trouvés à Didymoï (p. 336-341). Particulièrement originaux sont aussi des fragments d’écharpes, aux couleurs vives et contrastées, présentant des motifs en échiquier (p. 341-344), et de bonnets (p. 344-349), faits de kentrônes, dont l’un est particulièrement élaboré (p. 299). Enfin, des chaussettes tricotées, dont certaines peuvent être portées avec des sandales, et qui, une fois réduites en lambeaux, ont pu servir de bourrage de coussins, viennent compléter cette présentation des vêtements trouvés à Didymoï. Pour conclure, ce volume très stimulant fournit un panorama quasi complet, et original, des objets de la vie quotidienne dans un fort romain du désert oriental.
François Kayser