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Sénèque a longtemps été le parent pauvre des études théâtrales antiques ; cependant, depuis le dernier quart du XXe siècle, ses pièces bénéficient d’un intérêt toujours croissant. Ce regain de faveur s’est manifesté, pour la pièce Œdipe, à travers deux commentaires récents de haute tenue, dus à K. Töchterle (Heidelberg 1994) et à A. J. Boyle (Oxford 2011). La monographie que nous recensons ici se donne un but différent : il s’agit plutôt d’une introduction à la pièce à destination d’étudiants et de non spécialistes, à travers quatre chapitres volontairement didactiques, de longueur inégale (respectivement 10, 23, 47 et 46 pages) : 1° Le mythe d’Œdipe (étant donné la nature de cet opuscule, Braund ne se perd pas dans les différentes variantes) et ses reprises littéraires dans l’Antiquité ; 2° Sénèque (sa carrière, le jugement de Quintilien sur son style, la tragédie à Rome, la question de la représentation des pièces et de leur rapport avec la philosophie stoïcienne) ; 3° Structure et thèmes saillants (la peur, le pouvoir royal, la monstruosité, le destin, la quête de la connaissance, etc.) ; 4° La fortune et l’influence de la pièce (particulièrement en France et en Angleterre). Ces chapitres s’appuient fréquemment sur le texte, mais en règle générale, seule la traduction anglaise est citée.

La part importante dévolue aux questions de réception reflète à la fois l’évolution actuelle de la recherche – déjà visible dans le commentaire de Boyle – et la nature particulière de cette collection, tendant à fournir quelques clefs d’accès aux différentes tragédies du Cordouan. Caractéristique à cet égard est le choix d’introduire la réflexion par Freud et son « complexe d’Œdipe », si répandu et si banal aujourd’hui dans la pensée occidentale. Raisonnablement, Braund adopte les positions dominantes aujourd’hui (représentabilité des pièces ; absence d’un message moral explicite). Plusieurs hypothèses avancées – prudemment – par l’auteur nous semblent certes indémontrables, voire douteuses (p. 18 : la pièce daterait peut-être de l’exil en Corse, puisqu’elle s’achève sur un exil ; p. 65 : le suicide de Jocaste au moyen d’une épée évoquerait irrésistiblement la fin de Caton d’Utique chez les spectateurs), mais un ouvrage destiné à un large public ne peut sans doute pas se présenter comme une succession de non liquet, de sorte que de telles suggestions sont légitimes. Pour le reste, l’essentiel est abordé avec netteté et concision.

Il convient de souligner que nous ne sommes pas en présence d’une pure compilation : Braund offre une vision cohérente et personnelle de la pièce et, au-delà, de l’ensemble du théâtre sénéquien. Signalons en particulier quelques pages remarquables consacrées à la « monochromie » de l’œuvre (p. 66-70) ou visant à réhabiliter le livret de l’Œdipus Rex de Stravinsky, écrit en latin par Jean Daniélou d’après Cocteau, mais aussi d’après Sénèque (p. 118-121), pages plus inattendues dans une introduction de ce type, mais fort bienvenues à notre gré.

L’ouvrage contient en outre une bibliographie partiellement commentée et un index.

Au total, S. Braund a parfaitement atteint l’objectif qu’elle s’était assigné. La qualité matérielle du livre est satisfaisante[1]. Au reste, l’ensemble de cette collection, qui a déjà accueilli des essais comparables portant sur Phèdre, sur Thyeste et sur maintes tragédies grecques, se révèle un guide tout à fait utile et commode.

Guillaume Flamerie de Lachapelle

mis en ligne le 4 juillet 2016

[1] Malgré quelques coquilles. Lire par ex. p. 23 : Clytaemnestra ; p. 102 : vertu.