Cet ouvrage est le quatrième opus d’une collection consacrée aux provinces romaines par les Éditions Picard. Comme les autres volumes déjà publiés, c’est un ouvrage très largement illustré qui propose une synthèse sur les connaissances les plus récentes acquises dans les vastes espaces géographiques que sont ces provinces dans leurs limites antiques.
L’ouvrage s’organise en deux parties d’importance inégale. Les 125 premières pages sont consacrées à l’histoire de la province d’Aquitaine au Haut-Empire, tandis que les 25 suivantes concernent la période s’étendant du règne de Dioclétien à la chute de l’empire romain. Il se termine par un précieux index des lieux et une bibliographie thématique de sept pages.
Un premier chapitre rappelle les caractéristiques de l’occupation du sol avant la conquête romaine dans la future province et évoque les contacts, commerciaux comme militaires, entre les Gaulois et les Romains, antérieurement aux épisodes guerriers de 58-51 av. J.-C. La description du rôle joué par les peuples gaulois d’Aquitaine dans la Guerre des Gaules ainsi que l’organisation de la province dans les années 16-13 av. J.-C. s’appuient sur les sources littéraires romaines disponibles. La question controversée des éventuelles capitales successives de la province (Saintes, Poitiers, Bordeaux) est exposée. Les institutions des différentes cités, qui se révèlent assez similaires à celles des autres provinces, sont évoquées à partir de l’épigraphie disponible. À la fin du chapitre sont rappelés les principaux faits historiques impliquant la province d’Aquitaine aux Ier et IIe s. ap. J.-C.
Les chapitres suivants envisagent, à partir d’exemples, les principaux thèmes permettant d’avoir une vision générale de la société à l’époque romaine en Aquitaine : les villes, les campagnes, l’économie, la religion et les rites funéraires.
Les villes, capitales des civitates de la province, sont étudiées en passant en revue leurs principales caractéristiques : trame urbaine, centres monumentaux et autres sanctuaires, édifices de spectacles, thermes et fontaines. Les plans des différents édifices sont présentés à une même échelle dans les figures, ce qui rend les comparaisons aisées. Des questions plus nouvelles sont également abordées, comme celles des macellae, marchés alimentaires et des scholae, sièges des collèges d’artisans et de commerçants. La place accordée à l’habitat dans ce développement est relativement réduite (une page et deux illustrations). Le phénomène des agglomérations secondaires est, quant à lui, traité à la fin du chapitre. L’aspect moins régulier de leur urbanisme est souligné et l’accent est mis sur la présence de certains types d’édifices publics, comme les thermes et les théâtres, mais aussi celle d’entrepôts, de maisons et d’auberges.
L’étude des campagnes est introduite par plusieurs exemples de recherches sur les terroirs ruraux. Les différents types d’habitat sont ensuite présentés. Le plan des villae d’Aquitaine ne semble pas se différencier fondamentalement de celui des villae des autres provinces de Gaule au Haut Empire. Les habitats ruraux autres que les villae sont très rapidement évoqués. L’espace rural étant le lieu du développement des voies de communication, différents itinéraires de communications, fluviaux et terrestres sont décrits grâce au témoignage des sources antiques et de quelques vestiges archéologiques. Les aqueducs, qui, pour la plupart, approvisionnent en eau les villes, mais ont leur tracé dans l’espace rural, sont également présentés dans ce chapitre.
Les deux chapitres suivants concernent l’économie : l’exploitation des campagnes et du milieu naturel, puis l’artisanat et le commerce. Parmi les productions agricoles, l’accent est mis sur la viticulture et son développement en Aquitaine dans l’Antiquité. L’exploitation du milieu naturel est synthétisée en neuf pages et concerne le bois, avec, en particulier, la production de la poix, mais aussi les mines et les carrières ou la pêche et l’exploitation du sel. Une analyse des plans des espaces dédiés au commerce et à l’artisanat dans les habitats groupés est d’abord proposée. Ensuite, les principales productions artisanales, sidérurgie, terre cuite, avec en particulier la production de céramique sigillée des ateliers de La Graufesenque et Montans ou de figurines à pâte blanche sont décrites à travers leurs vestiges archéologiques. Sont également évoqués le travail des alliages cuivreux, du verre, de la chaux, du textile et des peaux. La question du commerce à longue distance est traitée en mettant à contribution les sources archéologiques, mais surtout numismatiques et épigraphiques.
Dans le chapitre sur la religion, illustré de nombreuses photographies, sont abordées la nature et la diversité des divinités honorées à travers l’iconographie et l’épigraphie. Un retour est fait sur la localisation, urbaine et suburbaine, les plans et l’architecture des sanctuaires, en écho au chapitre sur les villes et agglomérations. Les sanctuaires des eaux et leurs offrandes et, plus généralement l’équipement des ensembles cultuels sont ensuite traités.
La présentation du « monde des morts » clôt la première partie de l’ouvrage. Après avoir considéré l’organisation des nécropoles, l’auteur décrit le marquage des tombes et les rites funéraires, essentiellement l’incinération, mais aussi l’inhumation et signale les différents types d’offrandes présents dans les tombes. Un passage est consacré aux tombes des élites, en particulier les mausolées situés aux abords des villes et dans l’espace rural.
La deuxième partie de l’ouvrage traite de l’Antiquité tardive. Après une présentation des réformes administratives des IIIe et IVe s. et du passage sous domination wisigothique de la province d’Aquitaine au Ve s., l’auteur décrit les phénomènes de rétraction et de fortification de l’espace urbain qui, semble-t-il, ne constituent pas une rupture complète dans la façon de vivre dans les villes. Il montre ensuite la mise en place d’une nouvelle topographie religieuse après l’adoption du christianisme comme religion officielle : baptistères, cathédrales et nécropoles. Dans les campagnes, le phénomène des grandes villae dites « tardives » avec leur luxueux décor est analysé.
Malgré l’abondance et la qualité de l’ensemble des illustrations, on peut regretter l’absence de cartes sur lesquelles aurait été figuré l’ensemble des sites mentionnés dans le texte. En effet, si certains sont bien connus, d’autres ont une notoriété moindre et la mention de leur département de rattachement n’est pas toujours suffisante pour les localiser.
La principale richesse de l’ouvrage réside dans le nombre d’exemples archéologiques mobilisés. Malheureusement, les normes de la collection, qui excluent tout appel bibliographique dans le texte (alors que les références aux sources littéraires antiques ou aux sources épigraphiques sont acceptées), empêchent le lecteur d’approfondir ses connaissances sur tel ou tel site en consultant les publications où l’auteur a puisé ses informations. Une bibliographie est, certes, présente en fin de volume, mais elle n’est pas exhaustive. De plus, elle est classée thématiquement et comme certaines publications traitent de plusieurs thèmes, il n’est pas toujours facile pour le lecteur de s’y retrouver. La liste des figures en fin de volume renvoie, quant à elle, aux ouvrages dont sont extraites les illustrations, mais il ne s’agit pas toujours d’une publication princeps (par ex. fig. 23, p. 35 ; fig. 42, p. 52 ou fig. 73, p. 85).
Le caractère très synthétique de l’ouvrage conduit parfois à des généralisations un peu rapides. Ainsi p. 47 : dans des agglomérations secondaires « [les thermes] se multiplient et deviennent plus vastes à partir de la seconde moitié du Ier siècle et au IIe siècle ». Les thermes de Rom, dont A. Bouet dit, dans son ouvrage sur les thermes[1] : « aucun élément n’autorise une datation » figurent pourtant dans la liste proposée dans la suite du texte. De même, p. 84, « À Argentomagus, les locaux dédiés aux activités artisanales se mettent en place à partir des années 20-30, sous forme d’un alignement de pièces dont certaines ont accueilli des activités de forgeron et une activité de martelage du bronze (fig. 40) », renvoie à une figure où est présenté le plan de l’agglomération au IIIe s. ap. J.‑C., sur lequel ces espaces de travail, disparus, ne sont pas figurés. Ou encore le raccourci, p. 93 « une stèle de Bourges (Espérandieu 8156) représente un personnage qui tient une forme dans la main gauche et un objet dans la main droite […]. Dans la même ville, celle du cordonnier Maternianus le représente […] » Si les deux stèles sont bien conservées au musée de Bourges, seule la deuxième a été découverte dans la capitale des Bituriges. La première provient de Bruère‑Allichamps, agglomération secondaire située à une quarantaine de kilomètres d’Avaricum.
Ces raccourcis mènent quelquefois à des interprétations pouvant prêter à discussion. Ainsi, p. 100 : « c’est dans ce contexte […] qu’il faut placer le taurobole célébré dans le sanctuaire principal d’Argentomagus (AE 1973, 343) par un prêtre de l’Autel de Lyon ». La référence de l’Année Épigraphique renvoie à une inscription en deux partie disjointes : [ ]ATRI DEVM[ ]/ [ ]CERDOS AR[ ], dont le texte, tronqué dans l’AE a été rétabli par l’Epigraphic Database Heidelberg[2] d’après photos (HD011129). Cette inscription est portée, d’après G.-C. Picard[3] par « divers fragments du bandeau d’un autel » et interprétée comme « une dédicace à la Mère des Dieux faite par un prêtre de l’autel du confluent ». En fait, il est très peu probable que le monument sur lequel l’inscription est gravée soit effectivement un autel, car elle figure sur un bandeau saillant, alors que les textes sont habituellement gravés sur les faces des autels. De plus, la longueur des fragments, non jointifs, respectivement 29 et 35 cm renvoie à une inscription beaucoup plus longue, ce qui ne correspond pas non plus aux dimensions habituelles des autels votifs. Il s’agirait donc d’une simple dédicace à Cybèle sur un monument non identifié. L’existence d’un taurobole à Argentomagus, quant à elle, est évoquée avec circonspection par G.-C. Picard à la lecture d’un graffito « TAVROIIIRE » incisé sur un des piliers d’angle de la fontaine monumentale de l’agglomération, située à environ 150 m du point de découverte de la première inscription (« autant d’interrogations qu’il nous paraît prudent de laisser provisoirement sans réponse »[4]).
On note également quelques coquilles : par exemple, p. 87, il s’agit du site de la « Petite Ouche » à Rom et non de la « Grande Ouche », de « bandages » de roues et non de « bardages » de roues.
Ces éléments ne sont évidemment pas tous imputables à l’auteur, qui doit s’adapter aux exigences d’une collection, mais font de cet ouvrage un document plutôt destiné au grand public qui y trouvera un texte dense et très bien illustré. Un public plus averti rencontrera peut-être quelques difficultés pour approfondir ses recherches sur un site particulier.
Nadine Dieudonné-Glad
[1]. A. Bouet, Thermae Gallicae : les thermes de Barzan, Charente Maritime, et les thermes de provinces gauloises, Bordeaux 2003.
[2]. edh-www.adw.uni-heidelberg.de
[3]. « Les sanctuaires d’Argentomagus », CRAI 115, 3, 1971, p. 632.
[4]. G.-C. Picard, op. cit. n. 3, p. 627.