Destinée en premier lieu aux candidats à l’agrégation, cette collection est, chaque année, l’occasion de produire des synthèses accessibles dont un public varié peut tirer profit. L’édition 2015-2016 se situe tout à fait dans cette perspective.
La partie concernant l’Alceste d’Euripide aborde d’emblée, dans le chapitre intitulé « Introduction » l’une des questions centrales de la pièce : à quel genre convient-il de la rattacher ? On a, en effet, pu contester qu’Alceste était une tragédie et la rapprocher d’un drame satyrique dont, du reste, elle occupait la place, après la trilogie tragique. Cette question fondamentale forme l’un des fils conducteurs de l’étude.
Ensuite vient un chapitre (« Repères »), dont un premier temps est consacré à une entreprise d’une ampleur sans doute excessive pour l’ouvrage considéré : présenter en quelques pages le fonctionnement du théâtre à Athènes à l’époque classique. On peut supposer que les candidats à l’agrégation ne découvrent pas le théâtre athénien l’année du concours, ou bien les renvoyer, si tel n’était pas le cas, aux ouvrages usuels sur le sujet (par exemple à l’Introduction au théâtre grec antique de P. Demont et A. Lebeau, d’ailleurs cité en bibliographie). On trouve dans cette partie — et on mesure qu’il aurait difficilement pu en être autrement— des approximations et des affirmations discutables : ainsi, la source du plan d’un théâtre grec figurant page 39 n’est pas indiquée. En outre, présenter une sorte de plan-type pose problème : si la quasi-totalité des édifices connus ont de nombreuses caractéristiques communes, tous ne se ressemblent pas trait pour trait ; non seulement leur architecture a évolué au fil du temps (le théâtre de Thorikos, en Attique, daté du Ve s. av. J.-C., a une orchestra trapézoïdale, par exemple), mais de plus, les édifices encore visibles aujourd’hui sont quasiment tous postérieurs à la date des pièces conservées, ce qui pose bien sûr des problèmes quant à la réflexion sur la scénographie et la distribution des espaces.
Est ensuite proposée une lecture analytique de la pièce (pages 49-63) qui permet de faire remarquer des jeux d’échos et de mettre en lumière des thèmes-clés ; le bilan de cette lecture (pages 61-63) synthétise efficacement les matériaux mis au jour précédemment. On y trouve également des remarques utiles concernant les parties chorales et leur structure.
Le cœur de la synthèse, (« Problématiques ») offre des pages éclairantes sur la nature du tragique dans la pièce, à travers quelques analyses très précises (par exemple, sur le vocabulaire de la Nécessité) permettant d’orienter la lecture de la pièce en en proposant une interprétation, chose suffisamment rare, dans des ouvrages de ce type, pour être saluée ; il appartient ensuite à chaque lecteur de faire sienne ou non la vision de la mort et du retour à la vie comme métaphore de l’initiation religieuse. Reste que certains raisonnements supposent, pour être bien compris, d’avoir des connaissances préalables assez fines : faute d’une lecture détaillée des passages de la Poétique d’Aristote concernant la place du bonheur et du malheur au sein de la tragédie, quelques pages (en particulier les pages 71 et 94) risquent d’être mal comprises.
Les annexes (« Boîte à outils ») offrent une mise au point utile sur la scansion et, chose plus rare et d’autant plus précieuse, un exemple sur la manière de mettre à profit dans un commentaire une remarque relative à la métrique. Le glossaire, quant à lui, mêle des éléments utiles et d’autres dont la présence laisse un peu dubitatif : est-il vraiment nécessaire de préciser, en une ligne, qui est Zeus ?
La bibliographie proposée, sans être trop abondante, offre une synthèse mise à jour sur des principaux articles et ouvrages utiles.
La seconde partie, consacrée aux quatre dialogues de Lucien au programme, présente les mêmes grandes articulations. Cependant, derrière l’uniformité de présentation, le travail à réaliser était bien différent, puisqu’il portait non sur une œuvre ayant son unité propre, mais sur quatre dialogues qui, malgré leurs points communs, ne forment pas un ensemble clos sur lui-même ; cela implique donc qu’une connaissance minimale de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur est indispensable pour comprendre les textes au programme.
L’auteure a choisi de faire une large part au contexte : en effet, après quelques remarques sur la vie de Lucien et une première vue d’ensemble sur son œuvre (« Introduction »), elle fournit, sous l’intitulé « Repères », des précisions sur le contexte intellectuel (la Seconde Sophistique, la philosophie à l’époque de Lucien) et surtout, la partie intitulée « Problématiques » est elle aussi axée sur une contextualisation des textes au programme dans l’ensemble de l’œuvre de Lucien.
C’est ainsi que sont abordées des questions centrales pour l’étude de Lucien (« Figures de l’auteur », « le dialogue lucianesque », « dialogue dramatique et théâtre », « Lucien, les philosophes et la philosophie »), avec des références nombreuses à l’ensemble du corpus. Cette démarche, parfaitement pertinente au demeurant, présente toutefois l’inconvénient de perdre parfois de vue les textes à étudier au profit d’une étude plus générale, riche, dense et utile, mais excédant peut-être ce qui est attendu dans cette collection.
La présentation des différentes parties de l’ouvrage, qui s’abstient de tout repère matériel et de toute numérotation, ne facilite pas le repérage de la progression du propos, accentuant encore l’impression de foisonnement.
Le grand mérite de cette synthèse est de s’affranchir totalement de la perspective qui a marqué les études lucianesques durant plusieurs décennies et qui faisait de Lucien un « imitateur ». Lucien est ici résolument abordé comme un auteur à part entière, un véritable créateur qui « bouscule les catégories littéraires » (p. 178), comme le montrent les développements consacrés à la nature du dialogue lucianesque, par exemple. Elle fait également justice de l’idée reçue selon laquelle Lucien aurait abandonné la rhétorique pour la philosophie ; à lire ce qui est dit de la mixis, de la krasis, ou du spoudogeloion, ainsi que de la forme rhétorique de certaines parties des dialogues, on comprend que cette rupture, si elle a jamais eu lieu, n’a pu être ni radicale ni aussi définitive qu’on l’a souvent dit.
La dernière partie (« Boîte à outils »), consiste en une liste des principaux philosophes et écoles philosophiques mise en cause par Lucien.
Même si la langue de Lucien ne pose pas de problème majeur, quelques précisions n’auraient peut-être pas été inutiles concernant sa manière d’en utiliser les différents registres, de substituer à un vocabulaire spécialisé le terme ordinaire (comme lorsque, dans l’incipit de la Double accusation, il parle de l’activité oraculaire d’Apollon comme d’une technè), dans la mesure où c’est un ressort important de la satire ; le décalage introduit par l’usage du dialecte ionien chez Démocrite et Héraclite participe également pleinement du comique.
La question des points de vue et des destinataires aurait peut-être pu, également, être évoquée ; s’il est vrai que le début de la Double accusation rappelle celui des Acharniens d’Aristophane, il y a néanmoins une dimension comique supplémentaire chez Lucien : contrairement à Dicaiopolis, Zeus révèle des secrets des dieux parce qu’il se croit seul alors qu’il ne l’est pas, contribuant ainsi directement à saper encore un peu plus le prestige dont les dieux jouissaient naguère.
Cette synthèse sur Lucien aborde donc l’ensemble des questions utiles à une étude de presque n’importe quel opuscule de cet auteur et propose des clés indispensables pour aborder son œuvre.
Isabelle Gassino
mis en ligne le 28 janvier 2016