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Le livre que nous offre cet auteur se compose d’une brève introduction, de douze chapitres, d’une conclusion courte, d’une bibliographie assez fournie et d’un index (thématique) unique qui reprend principalement les noms propres (auteurs anciens, ethniques, personnages, toponymes). Deux cartes sont insérées dans le volume.
Cette monographie, d’après son titre, est consacrée à l’Inde dans la littérature grecque ; le titre secondaire précise que l’A. a choisi une approche ethnographique – il s’agit de l’ethnographie au sens antique, dont on sait que le champ d’investigation est plutôt large. Mais en découvrant la table des matières (p. 7‑9) et l’introduction (p. 11-14), on constate avec surprise que le projet de l’A. ne correspond pas au titre qu’il en donne. En effet, il se propose de mener une « analyse comparative » – il ne définit pas davantage ces termes – de différents textes grecs traitant non seulement de l’Inde, mais aussi de l’Éthiopie, deux contrées situées aux confins de l’oikoumenê antique. L’A. justifie cette double perspective – non sans raison – par les rapprochements constants que les Anciens établissaient entre ces deux contrées.
Dans son introduction, l’A. affirme donner la première monographie consacrée à l’Inde et à l’Éthiopie dans la littérature grecque. Certes, reconnaît-il, la question a été abordée par certains savants, mais de façon limitée : il cite les remarquables travaux de Schwanbeck, T.S. Brown, A. Dihle, K. Karttunen – duquel on saluera les deux magnifiques livres sur l’Inde dans la littérature grecque {{1}}. De plus, à la différence de ces derniers, il préfère éviter l’approche thématique au profit d’une étude par auteurs. Il s’agit en réalité d’une sélection d’auteurs grecs « d’une certaine envergure ». Une telle méthode devait nécessairement contraindre M.A.V. à des choix difficiles (on constate, par exemple, qu’Aristobule n’est pas pris en compte, alors qu’Onésicrite et Néarque le sont). Il juge qu’en procédant ainsi le lecteur saisira mieux le cadre culturel dans lequel baignent les différents logoi indiens et éthiopiens ainsi que les choix de leurs auteurs.
Le chapitre 1 est consacré aux plus anciens textes dans lesquels est évoquée l’Inde. L’A. présente les fragments de Scylax de Caryanda, d’Hécatée de Milet ainsi que quelques vers des Tragiques. L’organisation de ce chapitre met en oeuvre la méthode de travail que le lecteur retrouve ensuite, à quelques nuances près, d’un bout à l’autre du livre. M.A.V. présente l’auteur et ses sources, paraphrase les textes et insère dans celle-ci, quand il le juge nécessaire, des commentaires de densité variable selon les questions et l’état de la bibliographie moderne. L’ensemble est résumé dans la conclusion du chapitre.
Dans le chapitre suivant, l’A. s’intéresse évidemment à Hérodote. Dans la première section, se concentrant sur l’ethnographie de l’Inde, il résume les passages de l’Enquête traitant des peuples indiens et y insère quelques remarques. Le reste du chapitre traite des fourmis chercheuses d’or et, pêle-mêle, des autres composantes du logos indien. Ctésias fait l’objet du chapitre 3. D’emblée l’A. replace les Indika dans le contexte du Ve siècle finissant et voit dans cet ouvrage une « utopie sociale et politique » proposée comme un modèle aux Grecs déchirés. C’est dans ce cadre qu’il passe en revue les peuples paradoxaux et les merveilles de l’Inde. Deux compagnons d’Alexandre sont ensuite examinés (ch. 4 et 5) : Onésicrite et Néarque. L’A., qui semble bien connaître ces textes, n’omet aucun élément. Il est dommage cependant que les commentaires intéressants de ces documents soient disséminés au rythme de la paraphrase.

Au chapitre 6, l’A. s’intéresse aux Indika de Mégasthène, texte capital s’il en est, sans donner d’apport fondamental à l’étude de cet auteur. C’est ensuite un brusque saut de plusieurs siècles puisque nous arrivons à l’analyse de la Vie d’Apollonius de Tyane (ch.5), dans laquelle la réflexion critique de l’A. paraît moins poussée.
Puis, sans transition, l’A. aborde l’Éthiopie. Il apparaît donc clairement que les deux contrées sont étudiées séparément. Cette disjonction peut surprendre étant donné le projet défini dans l’introduction. Inévitablement, ce choix méthodologique a contraint plusieurs fois l’A. à reprendre sous l’angle « éthiopien » des textes étudiés précédemment au sujet de l’Inde (par ex. l’Enquête d’Hérodote). Comme cela s’imposait, il commence par les poèmes homériques dans lesquels sont mentionnés plusieurs fois les Éthiopiens. Il reprend – mais pouvait-on faire autrement ? – les diverses interprétations qu’avaient émises ses prédécesseurs. Le reste du chapitre aborde de façon succincte les mentions éparses des Éthiopiens dans la poésie archaïque et l’oeuvre d’Hécatée de Milet.
Le chapitre 9 consacré à Hérodote s’organise autour de la distinction entre les Éthiopiens que l’on pourrait qualifier d’historiques et ceux qui relèvent de l’utopie ou du paradoxal. C’est selon l’A. – que l’on ne contredira pas – la clé de lecture des logoi Aithiopikoi (ou plutôt devrait-on dire une des clés de lecture de ces textes difficiles). Agatharchide de Cnide retient ensuite longuement l’attention de M.A.V. Après la paraphrase plus ou moins commentée des livres 1 et 5 du Traité de la mer Érythrée – domaine partiellement « éthiopien », il faut le rappeler – et d’un passage fameux des Asiatika, l’A. affirme en conclusion qu’Agatharchide construit une ethnographie philosophico-politique : cette vue est pertinente mais il reste sans doute encore bien des choses à dire sur cet étonnant auteur. Les derniers chapitres (11 et 12) abordent la littérature des périples et derechef la Vie d’Apollonius de Tyane de Philostrate.
À l’issue de la lecture de ce livre, on reste sur une impression contrastée. La méthode choisie pouvait présenter des avantages. En revanche, la dislocation de l’Inde et de l’Éthiopie enlève de la vigueur au propos. L’imbrication de la paraphrase et de l’analyse critique ne mettent pas assez en valeur le cheminement démonstratif. Cependant l’A., qui connaît bien les textes ainsi que la bibliographie et qui sait poser avec clarté des questions essentielles, offre à un public de langue hispanique un accès utile à des textes trop méconnus.

[[1]]1. K. Karttunen, India in Early Greek Literature, Helsinki 1989 ; Id., India and the Hellenistic World, Helsinki 1997.[[1]]

Pierre Schneider