Il faut saluer l’initiative de l’École italienne d’Athènes et de son directeur, E. Greco, d’avoir réuni dans ce petit volume (104 p.) cinq contributions en forme d’hommage à Bruno d’Agostino, éminent spécialiste du monde étrusque, mais aussi du monde grec des hautes époques. Le fil conducteur des interventions est de répondre à la question suivante : y a-t-il un rapport entre les débuts des décors figurés sur vases et la « naissance » de la cité-État, en Grèce surtout, mais aussi en Étrurie ?
Après une brève préface d’E. Greco retraçant les origines du projet, c’est Br. d’Agostino lui‑même qui ouvre la marche par un article reprenant l’intitulé du volume : pourquoi ce besoin nouveau d’images, même stéréotypées, à partir des années 770 ? Prenant comme cas d’étude les vases dits « du Dipylon », l’auteur insiste sur le contenu des images qui exaltent selon lui les valeurs aristocratiques similaires à l’ethos épique. Il met également en relief le transfert de l’idéologie du guerrier de l’intérieur de la tombe (dépôt d’armes aux Xe-IXe siècles) à l’extérieur (scènes de prothesis du guerrier armé), changement qui correspond à une modification de la « mise en scène » funèbre visant la pérennité de la mémoire du mort et de son statut social.
A. Snodgrass poursuit l’enquête sur les liens unissant image et société en reprenant à son compte la distinction de L. Giuliani entre art descriptif (appliqué à l’ensemble de la production géométrique sur vase, hormis les dernières décennies du Géométrique Récent) et art narratif, essentiellement l’art archaïque. Le passage à la narration serait à la fois le signe et le produit d’une conception plus « communautaire » de l’accès à une certaine production artisanale et artistique. Snodgrass introduit une troisième étape, celle qui voit l’introduction de l’écriture dans la peinture figurée, dont le rôle est, selon lui, de créer une dichotomie entre une minorité lettrée et une vaste majorité illettrée, tout comme les scènes d’ekphora et de prothesis des vases du Dipylon proposaient une référence discriminante (et archaïsante) aux aristocrates des débuts de la polis. L’article tend parfois à reposer sur des arguments d’autorité ou l’autocitation, mais reste stimulant par la largeur de vue proposée.
La contribution de Fr. Croissant, la plus longue et certainement aussi la plus aboutie, mérite que l’on s’y attarde. Disons-le d’emblée, ces « batailles géométriques pariennes », qui analysent et décortiquent les décors de deux vases peint du fameux polyandreion de Paros, constituent sans aucun doute un exemple de méthodologie et d’iconologie réussies. L’auteur montre avec brio ce dont on se doutait déjà mais qu’il est toujours salutaire de réaffirmer avec force : l’étude de la peinture sur vase, et tout particulièrement la peinture figurée, ne peut se détacher de celle de la société et de la culture de son temps. Mais, on le sait, l’entreprise est périlleuse. Évitant raccourci interprétatif et facilité de raisonnement si courants dans ce domaine, Croissant décrypte les deux styles si différents de ces deux vases pour mieux en faire ressortir l’originalité et la puissance évocatrice. Il offre ainsi une vision particulièrement convaincante de la société parienne de la fin du VIIIe siècle et du début du VIIe siècle, à la fois ouverte aux changements et aux innovations, mais également en proie à la guerre (extérieure) et aux difficultés (intérieures). Derrière les images, nous voyons se former une identité civique en germe, une nouvelle conception des rapports sociaux. Mais comme le montre aussi Croissant, de manière quelque peu paradoxale, c’est, au moins autant que l’iconologie des oeuvres, leur contextualisation bien comprise qui importe. Puisque, en dernière analyse, c’est bien le fait que ces images appartiennent à un programme funéraire précis, celui du polyandreion, à ce jour le plus ancien tombeau collectif public de Grèce, qui demeure pour l’auteur la marque indubitable de la « naissance » de la nouvelle communauté. Que les images participent à ce processus, ceci est incontestable. Mais l’analyse des images ne suffit pas, à elle seule, à en comprendre le mécanisme ; elles n’en sont qu’une des clés.
N. Kourou reste dans les Cyclades avec l’exemple des pithoi à décors en relief, et plus particulièrement au cas de Ténos. L’auteur, qui fouille le site de Xobourgo depuis de nombreuses années, tente une mise en relation de l’iconographie des pithoi avec les évolutions architecturales et religieuses de l’île. Ainsi, elle propose de voir dans les sujets abordés par cette iconographie en relief (guerre, sacrifice, mythologie) la référence à une nouvelle atmosphère culturelle d’une cité en élaboration.
Enfin, L. Cerchai propose de voir dans les scènes de jeux de l’iconographie étrusque archaïque la marque d’un imaginaire lié au monde civique, au même titre que la procession de guerriers ou le banquet, l’élite et ses valeurs jouant le rôle de « guide » dans ce processus de poléogénèse culturelle.
Ce volume, s’il n’échappe pas à certains travers (tendance à la juxtaposition mécanique de phénomènes observés), est donc une réussite. Il montre qu’il n’est nul besoin de synthèses volumineuses pour faire progresser les idées et les analyses. Il faut souhaiter une large diffusion de cette aube des images.
Olivier Mariaud