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Paru dans la belle collection des PUR, ce livre s’attache à l’étude des modalités pratiques et des conséquences de la provincialisation. Les aspects civils des charges dévolues aux représentants de Rome retiennent ici plus volontiers l’attention que l’examen de leurs prérogatives militaires. Un second ouvrage est annoncé qui, cette fois, fera place aux rapports entre les gouverneurs de provinces et
les provinciaux.
L’introduction inclut une mise au point bibliographique de N. Barrandon et Fr. Kirbihler ainsi qu’une contribution d’E. Hermon qui rappelle que le spatium imperii de Rome n’est pas réductible au cadre défini par les provinces, et que l’ampleur des menées colonisatrices de l’Urbs a transformé toute victoire, sinon en annexion de territoire, tout au moins en espace connaissant la romanisation. Le livre est ensuite organisé en deux parties.
La première, intitulée « Le gouverneur : un délégué du Sénat et du peuple » est consacrée aux réalités législatives et rituelles des jeux institutionnels quand des pouvoirs sont délégués aux gouverneurs et que ces derniers quittent Rome.
J.-L. Ferrary fait un point pertinent sur ce qu’il est possible de savoir des contextes juridiques et institutionnels, et en particulier du rôle des comices qui encadrent les questions de l’attribution des provinces, de la législation comitiale relative à leur administration et de la nomination des gouverneurs. Il envisage également les progrès de la législation, que l’on perçoit mieux à partir des années 120, et qui, en matière pénale, imposent des règles aux gouverneurs (de maiestate et de repetundis).

L’importante étude de F. Hurlet sur la profectio des gouverneurs de rang prétorien montre que le système de gouvernement syllanien des provinces admis par Mommsen – et largement accepté depuis – qui impliquait des gouverneurs rejoignant leur province l’année après avoir exercé leur magistrature à Rome, la recherche d’un équilibre entre le nombre de magistrats supérieurs et celui des provinces fixes et un gouvernement de province autonome, ne résiste pas à l’examen de la documentation. Depuis l’institution de la prorogation, le gouverneur quittait Rome si possible pendant l’année de sa magistrature : ainsi la continuité temporelle et auspiciale entre magistrature et gouvernement provincial resta la pratique ordinaire jusqu’aux leges Pompeia de 52 sur les provinces puis Iulia de 46 qui préfigurèrent le système impérial. N. Barrandon s’attache ensuite à démêler les modalités des échanges épistolaires entre les gouverneurs et le Sénat depuis la deuxième guerre punique jusqu’en 43 avant J.-C. Au Sénat, le jour d’entrée en fonction des consuls, il fallait donner les nouvelles des missions des gouverneurs ; cela laisse penser que la lecture des lettres que ces mêmes gouverneurs étaient tenus d’envoyer correspondait à un ordre du jour dont le Sénat n’était pas forcément maître. Les sénateurs devaient délibérer sur la réponse à donner aux missives reçues. La lettre ne pouvait être lue devant le peuple qu’avec l’accord du Sénat. Toutes ces indications restaient toutefois soumises aux aléas des pratiques politiques, aux enjeux du contenu de la lettre et à l’état des relations entre le gouverneur et le Sénat. À son tour P. Heilporn rassemble les rares documents, inscriptions, papyri, ostraca, timbres amphoriques qui attestent la présence romaine en Égypte à l’époque ptolémaïque : des soldats italiens au service des lagides, un notaire osque… Les innombrables discours prononcés par les défenseurs des cités grecques devant les juridictions romaines sont perdus et c’est entre les lignes des oeuvres d’Appien d’Alexandrie et de Diodore de Sicile que l’on reconnaît l’écho lancinant de la réputation de vénalité accordée aux Romains. P. Goukowsky réunit et commente les renvois ou allusions les plus significatifs relatifs à l’avidité des représentants de l’Vrbs.
La seconde partie range sous le titre « Le cadre et les modalités des missions administratives des gouverneurs » l’examen de questions afférentes au déploiement concret de l’administration romaine dans les provinces comme celles de la législation, de la fiscalité ou de la justice.
M. Coudry et Fr. Kirbihler mettent en cohérence les indices qui, depuis les mentions littéraires d’une lex Cornelia jusqu’aux décrets des cités d’Asie, éphésiens en particulier, donnent à voir que ce territoire a bien été soumis, sinon à une lex provinciae – s’il convient de ne pas retenir ce terme – du moins à un contrôle pensé, réfléchi et précoce des populations passées sous l’autorité romaine à partir de la guerre mithridatique. Les auteurs, dans un article convaincant, écartent en tout cas l’idée d’une présence romaine désorganisée et peu impliquée en Asie. T. Naco del Hoyo revient sur la question de l’impérialisme romain : puisque nos sources ne nous permettent pas d’être affirmatifs sur la date de mise en place des impôts provinciaux notamment dans les provinces hispaniques, il soutient l’idée d’une occupation des provinces – si j’ose dire, « empirique » – principalement guidée par les impératifs d’une économie de guerre et sans autre volonté, de la part de Rome et de son élite politique, de déploiement clairement impérialiste. J. Fournier ordonne la documentation cicéronienne pour dégager les échelons de l’organisation judiciaire dans un tableau valable pour les provinces hellénophones, Sicile comprise. Le corpus renseigne pour l’échelon supérieur sur les principes directeurs de la juridiction provinciale, pour l’échelon intermédiaire sur le fonctionnement et l’organisation pratique de la justice provinciale, enfin, à l’échelon inférieur – et c’est un des apports notables de l’oeuvre – sur les aspirations et les comportements des justiciables. Il est possible de relever quelques procédures communes dans les provinces de Sicile, d’Asie et de Cilicie et de souligner l’aptitude de Rome à s’appuyer sur la politeia et les droits ancestraux des cités grecques pour organiser l’évolution de sa propre administration. B. Le Teuff montre qu’il est possible à partir de l’étude des provinces de Sicile, de Pont-Bithynie et en Asie, de constater que les réformes fiscales de la période césaro-augustéenne étaient déjà en germe bien plus tôt.
Dans une conclusion générale N. Barrandon et F. Kirbihler soulignent tout l’intérêt des apports de ce livre à la connaissance de l’administration des provinces notamment sous ses aspects normatifs et des modalités d’application de ces normes. On remarque ainsi qu’à partir du milieu du IIe siècle, le Sénat tente de mieux contrôler les actions administratives des gouverneurs alors que s’ouvre avec Marius et Sylla une nouvelle période marquée par les commandements extraordinaires – les imperia – dont disposèrent certains généraux. Nous attendons maintenant avec le plus grand intérêt, la parution annoncée du second volet de cette étude qui sera consacré aux relations propres entre gouverneurs et provinciaux.

Martine Assénat