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Ce volume, 566e de la série grecque et 1000e de la CUF, propose un des traités hippocratiques consacrés aux actes chirurgicaux. Ce texte, attribué depuis longtemps au même auteur que le traité Articulations, serait un “grand patron” qui s’exprime à la première personne. Le titre, Peri agmôn, est ancien, mais inexact car il ne rend pas compte des nombreuses pages consacrées aux luxations et présente un substantif ignoré du traité qui désigne les fractures sous le nom habituel du dérivé katègmata.

 La notice de J. Jouanna (175 pages) présente avec clarté et grande précision le texte qui occupe 65 pages ainsi que la méthode à laquelle recourt l’auteur-médecin. Le plan suivi par le texte va du simple au plus compliqué ; il en est ainsi pour les fractures puis pour les luxations, l’auteur ne se privant pas de critiquer ses confrères incapables d’un bandage approprié. J. Jouanna détaille soigneusement chacun des chapitres, restituant le plan et la logique adoptés par l’auteur. Dans certains cas, la main expérimentée du médecin qui se livre aux trois phases traditionnelles (extension, coaptation, bandage) ne suffit pas à remettre les os en place, sont donc décrits l’utilisation d’un levier et d’une scie. La notice fait droit aussi à l’utile interrogation du malade par le médecin et aux critiques à l’égard de plusieurs pratiques habituelles de mauvais médecins qui ont oublié le célèbre précepte « être utile ou du moins ne pas nuire » … (Epidémies I/III, 11, 2). J. Jouanna souligne que « l’auteur du traité des Fractures est un écrivain d’une qualité exceptionnelle », son vocabulaire est riche et précis et il livre un bon nombre de formes uniques. S’exprimant à la première personne pour mettre en évidence les erreurs de quelques médecins, notamment une extension trop forte ou un bandage nuisible, l’auteur, qui possède de solides connaissances en anatomie, confond néanmoins tendons, ligaments et nerfs.

La tradition manuscrite est composée de 23 manuscrits composés entre le Xe et le XVIe siècles, complétés par deux papyrus fragmentaires et de nombreuses gloses. Le texte a été commenté par Galien et par Paul d’Egine et sa première édition imprimée date de 1526. Emile Littré inclut Fractures dans son tome III (1841).

Le traité est suivi de 303 pages de très profitables commentaires critiques, mêlant des remarques d’ordre philologique, lexicologique et médical. L’auteur condamne des confrères ignorants, présente l’extension et la coaptation pour les membres supérieurs puis inférieurs et rappelle que le bandage correct prévient l’accumulation de sang dans l’extrémité du membre immobilisé. Le médecin souligne le rôle de la douleur comme indicateur d’un bandage mal fait, lors de l’interrogatoire du blessé. Le bandage est progressivement resserré, l’état du troisième jour du quatrième bandage étant particulièrement critique. Ces soins attentifs durent jusqu’au vingtième jour, moment de la consolidation des os des membres supérieurs ; le septième jour, le blessé peut recevoir l’appui d’une attelle (faite en férule, narthex). Une fois l’os consolidé, entre 20 et 30 jours après l’accident, le malade est lavé à l’eau chaude puis les bandages se poursuivent, mais avec une compression moindre et, comme il reprend un peu d’exercice, un régime alimentaire plus copieux que pendant l’immobilisation, durant laquelle son alimentation était restreinte. En cas de fracture de l’avant-bras, l’écharpe peut suffire, si elle est large et moelleuse. Pour les fractures du bras est proposé un système de maintien avec traction grâce à une sangle afin de rendre au bras sa mobilité et, autant que possible, sa position naturelle initiale.

À partir du chap. IX, l’auteur, commençant par le pied pour remonter jusqu’à la cuisse, traite d’abord des fractures et luxations du pied, la partie consacrée à la main ayant disparu dans une lacune. L’auteur insiste sur le risque de sphacèle si le bandage du pied est incorrect et livre une énumération des fièvres qui suraiguës, continues, frissonnantes, hoquetantes, causent une mort rapide. Les guérisons après une fracture de la cuisse sont les plus tardives, elles peuvent n’intervenir qu’après cinquante ou soixante jours. Extension, réduction et bandage demeurent, suivies scrupuleusement, les trois étapes vers la guérison. Le recours à des treuils, des leviers et des lanières, pour favoriser l’extension et éviter la déformation du membre, témoigne d’une machinerie complexe, réservée aux cas difficiles de luxations ou de fractures, afin, notamment, de réduire les risques de raccourcissement du membre. L’usage d’une gouttière longue, de la hanche au pied, pour maintenir la jambe en place sur toute sa longueur est recommandé et le bandage qui ne recouvre pas la plaie est proscrit comme un signe d’ignorance car il entraîne des complications. L’auteur décrit les soins à donner aux plaies, selon qu’elles provoquent ou non des démangeaisons et explique avec soin comment poser les compresses après avoir nettoyé la plaie et installé le blessé sur une peau de bouc qui lui évite les escarres. Le traité s’achève sur un exposé comparatif des luxations du genou et du coude ainsi que sur l’étude des fractures compliquées de l’articulation du coude.

Le volume se clôt sur un index verborum exhaustif (43 pages) et la reproduction de trois gravures (fracture du bras et de la jambe). Précieux, comme tous les volumes récents de la CUF qui offrent d’abondants commentaires, ce livre est aussi l’un de ceux qui, dans le Corpus hippocratique, étaient destinés à un large public et ne notaient pas uniquement des remarques brèves destinées à l’homme de l’art. Il est donc rédigé avec soin, du plus simple au plus complexe, et illustre, par la variété de ses choix lexicaux, un état de la langue du Ve siècle bien plus riche que les dictionnaires ne le laissent supposer. Cette édition éclairante rendra à coup sûr, d’immenses services, non seulement aux spécialistes de l’histoire médicale mais aussi à tous les linguistes et lexicologues.

 

Évelyne Samama, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Laboratoire DyPaC.

Publié en ligne le 8 juillet 2024.