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Je souhaite tout d’abord présenter mes excuses aux éditeurs de l’ouvrage et à la Revue des Études Anciennes pour l’envoi tardif de ce compte rendu, pour les mêmes raisons qui ont impacté l’ensemble de la communauté scientifique ces derniers mois.

L’ouvrage de P. Erdkamp et C. Holleran est composé de 24 chapitres, introduction comprise, qui tentent de couvrir le vaste sujet de l’alimentation dans l’Empire romain. Comme les éditeurs le soulignent, l’alimentation est aussi complexe à étudier que la société. Ainsi genre, âge, statut social, préjugés ou croyances alimentaires, connaissances agricoles, situations géographique et chronologique sont autant de facteurs entrant en jeu. Les éditeurs ont décidé de faire un focus sur la Méditerranée entre le IIe s. av. J.-C. et le IIIe siècle de notre ère, dans lequel les différents auteurs ont combiné les approches littéraires, historiques, archéologiques et iconographiques.

Cet ouvrage s’inscrit dans un courant qui a vu ces dernières années beaucoup de publications sur l’alimentation dans le monde antique, parmi lesquelles The Cambridge World History of Food[1], A Cultural History of Food[2], A Companion to Food in the Ancient World[3], et bien d’autres.

L’intérêt de cette publication est bien dans la combinaison de différentes approches, car si les sources peuvent apporter des éléments sur la nourriture romaine, elles n’aident pas ou peu à la compréhension de l’alimentation romaine. Les approches multidisciplinaires permettent ainsi qu’alimentation et nutrition contribuent à notre connaissance dans les champs de l’histoire démographique et économique.

Le livre est composé en 5 parties : 1. « Evidence and methodology », consacré aux textes, à l’iconographie, aux méthodes de l’archéobotanique, l’archéozoologie, l’anthropologie et aux analyses isotopiques ; 2. « Food and drink » est dédié aux contextes sociaux et aux aliments et épices/condiments à proprement parler ; 3. « Peoples and identities » regroupe des contributions dédiées à des classes de populations généralement oubliées ou peu traitées (femmes et enfants, Juifs, Europe centrale…) ; 4. « A forum on energy, malnutrition and stature » est un débat entre les positions de G. Kron et M. Flohr ; 5. « Food on the market and in politics » constitue la dernière des cinq parties.

Dans la première partie (« Evidence and methodology »), K. Beerden fait un point sur les sources textuelles, en rappelant qu’il faut être conscient de 3 notions par rapport aux sources écrites : la subjectivité de l’auteur, la subjectivité de notre interprétation des sources et enfin le problème de la représentativité. La subjectivité de l’auteur est liée au choix du format de l’œuvre, au lectorat visé ainsi qu’à la catégorie sociale de l’auteur. La subjectivité de notre interprétation des sources est un problème auquel nous sommes en permanence confrontés, parfois inconsciemment, en appliquant nos codes moraux à des textes qui n’ont pas les mêmes. Le problème de la représentativité est lui aussi récurrent : comment traiter une thématique quand on ne dispose que d’une source écrite (ou plusieurs mais allant toutes dans le même sens) ? Quelle est sa part de représentativité ?

À propos des « manuels d’agriculture » de Caton, Varron, Columelle et Palladius, on considère qu’il y a 3 différentes possibilités de lecture (p. 20) : comme des traités d’agriculture, comme des œuvres littéraires, comme des œuvres moralisatrices des élites sur leur positionnement dans la société romaine, mais K. Beerden en ajoute une 4e qui est très intéressante : comme des manuels d’agriculture appliquée s’inscrivant dans le cadre de l’expansion romaine. Elle a l’honnêteté de souligner qu’il ne s’agit pas de son hypothèse mais de celle d’E. Spanier[4].

KB propose enfin d’inverser la méthodologie, en commençant par l’analyse des données archéologiques (y compris anthropologiques, les analyses isotopiques, la botanique, l’archéozoologie) puis en les confrontant aux données textuelles ensuite.

La contribution suivante est plus délicate à analyser car elle n’apporte pas grand‑chose. S. D. O’Connell livre quelques constats plats (p. 27 : « Much work remains to be done on the archaeological context of visual sources in this region and throughout the Roman Empire »). Les figures 3.1 et 3.2 sont inutiles car elles n’illustrent en rien le propos. Il s’agit pour l’essentiel de citations de l’ouvrage de J.‑M. Croisille sur les natures mortes.[5]

L. M. Banducci offre une bonne synthèse sur la culture matérielle, effectuant un balayage somme toute rapide de la batterie de cuisine romaine, mais en la combinant à la question des analyses chimiques qui ont permis ces dernières années de faire des progrès considérables sur l’identification du contenu des céramiques.

A. Livarda effectue une bonne présentation des différents contextes de préservation de restes de plantes. Elle attire notamment l’attention (p. 54) sur le fait qu’absence ne signifie pas nécessairement qu’une plante n’est pas utilisée. Elle fait un rappel sur la méthodologie des analyses botaniques, du prélèvement à l’identification et la quantification. Elle rappelle les distinctions à réaliser sur l’usage de la plante : combustible, mouture carbonisée, incendie, offrandes par combustion. C’est également pour cette raison qu’il est important de savoir si le dépôt/assemblage est en position primaire ou secondaire. Elle insiste à juste titre sur le rôle clé de l’armée dans la diffusion et l’introduction de plantes, à travers les pratiques alimentaires des soldats. Mais les pratiques rituelles ont aussi joué un rôle, par exemple pour l’introduction des pignons de pin et des dattes.

P. Halstead livre une contribution sur l’apport de l’archéozoologie. Dans cette optique, son texte constitue un très bon manuel d’introduction à la question de l’alimentation durant l’époque romaine. Les deux exemples hypothétiques présentés (sacrifices dans un temple et contexte urbain) pour expliquer les principes et les interprétations de l’archéozoologie sont très bien écrits et très riches d’enseignement sur nos manières « d’écrire l’histoire ».

Enfin, C. Bourbou a rédigé un chapitre sur la bioarchéologie. Elle souligne à juste titre que les analyses isotopiques doivent être considérées/traitées au même titre qu’une donnée archéologique classique, à savoir donc ni comme une donnée inférieure ou supérieure aux autres en termes de validité ou importance de l’information fournie. C’est un peu le complexe que nous avons parfois de ne pas avouer nos incompétences dans les domaines des sciences dures. Il faut accepter qu’il s’agisse de données tout autant critiquables que celles que nous produisons dans nos propres champs disciplinaires. Les analyses isotopiques (p. 85) permettent en tout cas de confirmer qu’il n’y a pas « une » alimentation romaine mais bien une grande variété totalement dépendante des statuts sociaux des habitants, des lieux de vie et de l’accès aux produits, de l’âge, du sexe ou encore de la profession exercée.

La seconde partie (« Food and drink ») débute par un chapitre de J. Donahue sur les modalités des repas. Il présente tout d’abord les différences entre les mondes grec et romain sur la nature des repas, égalitaires entre les premiers et hiérarchisés chez les seconds. Vient ensuite une explication des termes liés au repas : cena, epulum, convivium, ientaculum, prandium et de leurs contextes d’utilisation. Toute la difficulté repose dans notre manque de sources pour comprendre les repas en famille, s’ils existent, ou en tout cas les repas au sein du foyer.

J. Donahue souligne enfin l’importance du repas dans la rue, dans les collèges, les banquets publics, tout comme son rôle social dans l’élite et à la cour. On se permettra néanmoins de ne pas le suivre sur son commentaire sur les lupanars : « a world of vice » (p. 97).

F. Heinrich livre une contribution sur les céréales et le pain. Bien qu’elle ait sans aucun doute été importante, il est difficile d’estimer la proportion des céréales dans l’alimentation quotidienne en fonction des catégories sociales. De même, la différence entre populations urbaines et rurales a dû jouer un rôle majeur dans l’accès à l’alimentation et donc aux apports énergétiques. L’auteur insiste enfin sur la distinction entre malnutrition (carences dans l’alimentation) et famine (manque de nourriture).

Le chapitre suivant est dédié aux légumineuses, rédigé par F. Heinrich et A. M. Hansen. Comme dans la contribution précédente, de nombreuses comparaisons avec la Révolution verte des années 1960 sont effectuées, et je ne suis pas certain que ce soit approprié.

E. Rowan propose un chapitre sur les olives et l’huile d’olive. Elle effectue une série de rappels importants sur la nature de l’olivier, qui ne produit pas avant 8 ans, et à partir de là seulement une année sur deux il produira suffisamment d’olives. Quant aux olives, elles sont composées pour 50 % d’eau, 22 % d’huile, puis d’autres composants. Celles qui ont moins de 12% d’huile deviendront des olives de table, tandis que les autres seront utilisées pour la production d’huile. Elle rappelle toutes les différentes qualités et utilisations d’huiles d’olives. On précisera que sur la fig. 11.1 (p. 130), il manque toute l’Adriatique orientale pourtant bien attestée (par les sources et l’archéologie) pour son oléiculture antique et moderne. Enfin, à propos de son interprétation sur le fait que la production était faible dans la région de Pompéi (p. 133), je pense qu’il faut simplement considérer que la demande dépassait l’offre locale. Par ailleurs, si la production était si faible, on s’attendrait à trouver une quantité importante de Dr. 20 (amphores à huile de la province de Bétique) dans les fouilles (et aujourd’hui dans les dépôts) de Pompéi, ce qui n’est pas le cas.

W. Broekaert a rédigé la partie consacrée au vin et autres boissons, parmi lesquelles la bière et l’hydromel. L’omniprésence du vin dans les sources et les données archéologiques ne doit pas faire oublier que ce n’était pas une boisson abordable pour tous. Sans doute beaucoup de Romains ne buvaient-ils pas de vin (p. 143). L’auteur a tendance à dire (toujours p. 143) que les vins importés étaient des vins chers mais ce n’est pas forcément le cas pour tous. Certains vins orientaux, notamment le vin crétois, étaient plutôt de la piquette, ce qui expliquerait qu’on le trouve en aussi grandes quantités à Pompéi. Tout le problème réside dans l’estimation des quantités bues, qui elles aussi, comme les autres denrées, dépendaient du niveau social, du genre et de l’accès aux marchés. L’estimation entre les proportions de vins blancs et rouges est difficile à établir (p. 145), mais WB considère que les vins blancs étaient plutôt réservés aux élites et les rouges pour la plèbe. WB explique (p. 146) la grande quantité d’amphores orientales à Pompéi par le fait qu’en Orient on ne pratiquait pas le commerce dans des navires à dolia ou l’usage du tonneau. Mais à l’époque où les Pompéiens consomment ces vins, le tonneau n’est encore largement utilisé nulle part. Bien que la production locale soit invisible car transportée en outres et cullei, cela ne signifie pas pour autant que les vins orientaux étaient forcément tous de qualité. En conclusion, WB estime (p.149) qu’on a surestimé la consommation de vin par la plèbe car on lui a calqué celle des élites. On pourra reprocher à l’auteur d’être finalement resté très concentré sur le vin et de n’avoir rien dit sur la bière et les autres boissons.

Le chapitre suivant, de M. MacKinnon, porte sur la viande et les produits d’élevage. L’auteur souligne d’emblée l’importance des fromages, notamment de chèvre. Au niveau des viandes, le cochon est l’espèce la plus consommée. À la différence des autres espèces, le porc n’est élevé que pour être consommé, alors que bœuf et mouton/chèvre peuvent servir pour les travaux des champs et pour fournir du lait et/ou de la laine avant d’être abattus pour consommation. Le croisement des sources et des données de l’archéozoologie amène MM à écrire (p. 153) : « Roman presence in certain regions of the Empire acted to promote
sheep/goat pastoralism to a greater degree, largely at the expense of cattle in these cases ». Mais la fig. 13.1 (p. 154) pour l’Orient est en contradiction avec ce que l’auteur écrit puisque le sheep/goat y est déjà très largement majoritaire avant la période romaine. En revanche, l’auteur souligne très clairement l’importance du porc dans l’alimentation des Romains, bien perceptible notamment en Italie et en Afrique du Nord. La volaille joue aussi un rôle non négligeable, bien que plus difficile à quantifier au vu de la taille des os. Comme souvent dans le domaine de l’alimentation antique, nous sommes confrontés à des difficultés impossibles à surmonter, notamment sur la distinction dans les consommations de viande entre plèbe et élite. De même, il est impossible de quantifier les viandes transformées : séchées, fumées ou salées (p. 158-159). À ce sujet, l’auteur aurait pu mentionner les fumoirs/séchoirs à viande de Gaule du Nord, ou en tout cas les structures ainsi interprétées, ou ceux d’Augusta Raurica mentionnés par T. Kaszab-Olschewski dans ce volume (p. 200-201).

Cette seconde partie est bouclée par une contribution d’A. Marzano sur les produits de la mer. Elle souligne qu’il y avait une préférence déjà ancienne pour le poisson de mer, amplifiée à l’époque tardo-républicaine. C’est ce qu’illustre l’invention des viviers pour poissons de mer à cette époque, alors que la pisciculture concernait jusqu’alors le poisson d’eau douce (attestations en Grèce, Égypte…). Au sujet des sauces de poissons, AM considère qu’il y avait très probablement des productions domestiques, étant donné la simplicité de la recette.

La troisième partie (« People and identities ») est dédiée à différents types de populations. C. Laes livre la première contribution sur les femmes, les enfants et la nourriture. C’est la minorité invisible : les enfants surtout, mais également les femmes. Si l’on accepte l’idée que la plèbe utilisait une grande partie de ses revenus pour assurer sa subsistance, il ne fait aucun doute que femmes et enfants étaient mis à contribution dans les activités du père. En contexte rural, il semble que femmes et enfants jeunes soient en charge de la cuisine, tandis que les aînés accompagnent le père aux champs. La situation est véritablement plus critique pour les femmes et les enfants des villes. Dans les cités, la distribution d’alimenta pour les jeunes enfants citoyens indique que les cités ne laissaient pas les enfants mourir de faim (49 cités en Italie sont attestées pour avoir donné de l’argent pour l’alimentation des enfants en bas-âge.)

T. Kaszab-Olschewski dédie son texte à l’Europe centrale et du Nord, s’étendant ainsi de la Pannonie jusqu’à la Bretagne aux Ier et IIes. de notre ère. Elle souligne l’importance des élites dans les phénomènes d’acculturation, tout en rappelant que Celtes et Germains avaient une longue tradition agricole déjà très développée avant l’arrivée des Romains. Néanmoins le fort développement de la villa rustica, dédiée à produire un surplus destiné au marché, est attribuable aux Romains. Autre apport des Romains : les horrea, alors que seuls les silos étaient utilisés auparavant. Il en est de même pour les meules actionnées par la force animale. À propos d’un citron représenté sur une mosaïque (p. 199), TKO écrit : « The depiction suggests that the fruit was so wellknown at a place that does not belong to its natural growing region that the representation for the viewer was easily identifiable ». Je me montrerais plus prudent, car cela pourrait aussi être une volonté de la part du commanditaire d’afficher son aisance, capable de s’offrir des denrées exotiques. TOB écrit justement qu’il n’y a pas de doute que les pratiques alimentaires et les goûts ont changé avec l’arrivée des Romains, mais il est difficile d’en quantifier l’impact au sein des familles indigènes.

Le chapitre suivant est consacré aux Juifs
en Palestine, rédigé par D. Kraemer. Il dispose d’un abondant corpus documentaire et archéologique en Palestine, mais faible en dehors. Il en ressort une préférence pour la triade méditerranéenne, ce qui n’est pas surprenant quand on connaît les sources. L’auteur note également une préférence pour le poisson afin de préserver les animaux utiles (travaux des champs, lait, œufs, laine…) au maximum. Néanmoins, les restes de mammifères dans les contextes archéozoologiques incitent à rester prudent et à ne pas considérer que la viande est absente. On notera qu’à propos de la faible consommation de porc en dehors de Rome et sa région (p. 214), M. MacKinnon dans le même volume (fig. 13.1 p. 154) donne une version contradictoire. L’auteur souligne enfin une des particularités notées par les Romains sur le fait de manger à part.

W. Clarysse s’est occupé du chapitre sur l’Égypte. Il note la quasi disparition de la bière au profit du vin à l’époque romaine, indiquant un très clair changement des habitudes alimentaires sous l’influence des Grecs et des Romains présents en Égypte. Le porc y est très répandu durant l’époque romaine, et sur les techniques de conservation, on pourrait ajouter dans la bibliographie mentionnée par l’auteur l’important ouvrage de S. Ikram[6].

Le dernier chapitre est rédigé par E. Raga et porte sur l’impact du Christianisme. L’auteur recense les mêmes parallèles entre les textes romains et chrétiens sur l’alimentation : préserver et restaurer la santé, des règles sur les offrandes et le partage de la nourriture, des rapports à la nourriture selon des standards moraux. Elle rappelle que beaucoup de la littérature chrétienne de l’Antiquité tardive qui nous est parvenue n’est pas représentative de l’ensemble. On note que la conversion au christianisme semble systématiquement accompagnée par un changement dans l’alimentation. La relation corps-esprit est également fondamentale, bannissant notamment la question de plaisir dans l’alimentation. On constate enfin la difficulté à concilier la foi avec les obligations sociales des aristocrates à banqueter et à préserver des règles d’hospitalité.

La quatrième partie (« A forum on energy, malnutrition and stature ») est dédiée aux relations entre l’alimentation et la stature des Anciens, et regroupe trois interventions. K. Killgrove livre un chapitre sur l’apport des données ostéologiques. Elle attire justement l’attention sur le fait que l’analyse d’une nécropole n’est pas forcément représentative d’une population plus large. Le manque de standardisation des données recueillies et de publications impliquent la prudence quant aux tentatives de faire des analyses à grande échelle. KK étudie ici des nécropoles du suburbium de Rome pour donner une vision cohérente dans un espace géographique suffisamment bien déterminé. On notera plusieurs répétitions avec l’article de C. Bourbou dans le même volume. Un seul article ou une contribution commune aurait pu suffire. L’article regroupe des études propres de l’auteur et celles d’autres chercheurs, soit 425 squelettes. On y constate que la malaria était bien présente. De manière générale il y a des difficultés pour l’estimation de la taille des populations. À première vue, les hommes du suburbium étaient en meilleure forme physique que ceux de l’Urbs. C’est à priori l’inverse pour les femmes. En conclusion, l’auteur attire très justement l’attention sur la précaution qu’il faut avoir dans l’utilisation de ces données.

Les deux contributions suivantes consistent en une synthèse de G. Kron et la réponse que lui livre M. Flohr. GK propose une taille moyenne des hommes adultes d’1,68 m, en utilisant et combinant plusieurs méthodes. D’autres penchent pour 1,64 m, comme W. Scheidel notamment. GK effectue ensuite des comparaisons avec la population du XIXe siècle, mais il se dégage de ce texte une séance d’autojustification contre Scheidel. Pour GK, forte productivité agricole et capacité d’innovation ont offert aux Romains des conditions de santé bien plus favorables que celles des classes moyennes d’Europe des XVIIIe et XIXe s. GK prône enfin pour une forte consommation de viande, ce qui n’est pas l’avis d’autres contributeurs dans le même volume.

M. Flohr se livre ensuite à une analyse critique du texte de GK. Il souligne la difficulté pour les historiens et archéologues d’utiliser et interpréter correctement les données de la bioarchéologie. C’est ainsi qu’il critique les méthodes de G. Kron, à juste titre notamment sur la comparaison de l’époque impériale romaine avec l’Europe du début de l’ère industrielle, qui pose à mon sens un véritable problème méthodologique. MF critique également les approches des autres, le faisant de manière rigoureuse et sans a priori ni prise de position. Comment en effet comparer des individus de Rome au IIe s. de notre ère avec d’autres de Germanie ou de Bretagne au IVe pour montrer une évolution, dans un sens ou un autre, de la taille des individus à l’époque romaine ? Brillamment, MF attire plutôt l’attention sur le fait qu’il faut se poser les bonnes questions lorsque l’on veut étudier la santé et l’alimentation des populations antiques. Comme il le souligne, ces populations ont de tout temps été confrontées au manque de nourriture. Or quelle est la solution dans ce cas ? La migration, déjà pratiquée bien avant les Romains. MF pose donc la question (p. 278) : « Is there any evidence that, in the Roman period, there were no places left to go ? ».

La cinquième et dernière partie du volume (« Food on the market and in politics ») regroupe deux contributions des éditeurs, C. Holleran et P. Erdkamp. La première offre une synthèse sur les régulations du marché, notamment sur la distribution de blé. Il existe ainsi des distributions gratuites mensuelles à partir de Clodius en 58 av. J.-C. mais pas pour tout le monde. Ce ne sont pas forcément les plus pauvres qui y ont droit mais les hommes d’un certain statut, notamment la plebs frumentaria. Sous César, le nombre de bénéficiaires est réduit de 320000 à 150000 en 46 av. J.-C., puis il passe à 200000 sous Auguste en 20 av. J.-C. Septime Sévère y ajoute une ration d’huile d’olive au IIIs., et plus tard Aurélien du vin et de la viande de porc. Elle présente l’organisation du circuit du blé à Rome, depuis l’approvisionnement à la distribution.

Enfin, P. Erdkamp offre une synthèse sur la faim et la famine dans le monde romain. Il insiste d’emblée sur la différence entre famine et pénurie. Plusieurs facteurs sont à prendre en considération : évidemment les conditions climatiques, mais également les maillons cassés ou interrompus dans la chaîne de distribution des produits. Parmi les solutions qui ont été adoptées, on note la diversification des cultures (notamment des céréales, certaines plus résistantes que d’autres ou poussant plus rapidement). PE attire enfin l’attention sur le fait que les épisodes de famine sont peu visibles dans les sources, en tout cas moins que les épidémies. Mais l’apparition des dernières étant bien souvent liée aux premières, on peut se demander quelle est la part de famines qui ont précédé les épidémies dont nous connaissons l’existence à travers les sources et l’archéologie.

En conclusion, il s’agit là d’un ouvrage de qualité qui réunit dans l’ensemble de bonnes et utiles synthèses qui pourront servir aussi bien aux étudiants qu’aux chercheurs. Le seul regret que l’on peut émettre est la faible qualité d’impression de l’ouvrage, avec des caractères très pixellisés et des illustrations en noir et blanc qui ont perdu de leur lisibilité. En revanche cela n’ôte rien au contenu des contributions.

 

Emmanuel Botte, Université Aix-en-Provence, UMR 7299 – Centre Camille Jullian

Publié dans le fascicule 1 tome 124, 2022, p. 266-272.

 

[1]. K. F. Kiple, K. Coneè Ornelas éds., The Cambridge World History of Food, Cambridge 2000.

[2]. A Cultural History of Food, 6 vol., Londres 2014. Pour le volume sur l’Antiquité : P. Erdkamp éd., A Cultural History of Food in Antiquity, Londres 2014.

[3]. J. Wilkins, R. Nadeau éds., A Companion to Food in the Ancient World, Oxford 2015.

[4]. E. Spanier, The Good Farmer in Ancient Rome: War, Agriculture and the Elite from the Republic to Early Empire. Thèse soutenue à l’Université de Washington, 2010, inédite.

[5]. J.-M. Croisille, Natures mortes dans la Rome antique, Paris 2015.

[6]. S. Ikram, Choice cuts. Meat Production in Ancient Egypt, Louvain 1995.