Publié par J. Lipps et D. Maschek dans la collection Studien zur antiken Stadt, l’ouvrage Antike Bauornamentik. Grenzen und Möglichkeiten ihrer Erforschung rassemble les actes d’un colloque tenu à Vienne en 2011. 14 contributions et un index des lieux occupent près de 250 pages richement illustrées (photos en noir et blanc dans le texte et planches en couleurs en fin d’ouvrage). La bibliographie est donnée à la suite de chaque article.
En guise d’introduction, les deux éditeurs offrent au lecteur un point précis sur l’état de la recherche en retraçant l’évolution qu’elle a connue au long du XXe siècle. La méthode d’étude mise en place au début de celui-ci (forme, syntaxe, style) se voit surtout appliquée à l’ornementation d’époque impériale. On s’interroge sur les origines des ornements : héritage de la Grèce ou évolution de motifs « indigènes » (italiens), on invente les concepts de « romanisation » et « hellénisation ». La multiplication des monographies, à partir des années 50, élargit le matériel disponible à l’étude et on utilise l’ornementation pour dater les monuments et, en particulier, les grands monuments de Rome (controverse entre A. von Gerkan suivi par M. Wegner et D. Strong et J. Ward-Perkins dont les répercussions sont encore sensibles jusque dans les années 80). Les spécialistes s’accordent aujourd’hui à considérer que le décor d’un édifice, souvent hétérogène, ne peut pas être étudié sous le seul angle d’une évolution linéaire. Un des objectifs du colloque est de présenter les difficultés et les possibilités des nouvelles méthodes d’analyse.
Dans un long article à forte teneur sémantique, A. Grüner s’attache à montrer les difficultés que pose l’utilisation en archéologie classique du terme « ornement ». Selon lui, il n’est pas vrai que le décor s’émancipe du support à l’époque hellénistique davantage qu’il ne le fait pendant la période classique. C’est plutôt le type de rapport entre décor et support qui évolue. L’ornement accentue les formes et les fonctions (« akzentuierendes Ornament ») mais peut également constituer une citation iconographique (« bildhaft – selbstreflexives Ornament »). Dans la deuxième partie de sa contribution, l’auteur plaide pour que soit révisé en profondeur le concept d’ornementation. Il s’agira d’élargir le canon classique en prenant en compte ce qu’il considère comme de véritables « phénomènes ornementaux » comme le travail des parements, la couleur, les joints, les lettres.
Dans la contribution suivante, G. Plattner reprend la question des ateliers (« Bauhütten ») et de leur rôle dans la création et la diffusion des motifs décoratifs. L‘analyse de l’ornementation d’un édifice doit se faire sur trois plans : la syntaxe (choix et disposition des motifs décoratifs), l’iconographie (par ex. forme des feuilles d’acanthe, nombre de digitations…), le style. Le fait que ces critères doivent être clairement séparés sous peine d’aboutir à des conclusions erronées est mis en évidence par la présentation de plusieurs cas. Parmi ceux-ci, les grands bâtiment de Rome, d’époque hadrianique, montrent des traits micrasiatiques (syntaxe) mais une iconographie clairement occidentale ce qui conforte l’hypothèse proposée par Strong d’un architecte venu d’Asie Mineure. Des spécialistes ou des groupes professionnels se déplaçaient dans l’Antiquité, attirés par de grands chantiers de construction, comme à Rome, mais aussi appelés dans des régions sans tradition locale pour le travail de la pierre ou du marbre (temple de Jupiter à Baalbek, « marmorisation » de Leptis Magna). Les transferts se font aussi d’ouest vers l’est comme le montre un chapiteau d’Ephèse d’époque flavienne en marbre de Carrare, peut-être envoyé d’Italie pour servir de modèle lors de la construction du temple de Domitien. La fin de l’article est consacrée à l’analyse du cénotaphe de Gaïus, élevé à Limyra (Lycie).
Une méthode d’analyse fondée sur des critères différents est présentée par Ch. Baier : une étude statistique (classification) des variantes des décors vient appuyer l’analyse proprement stylistique des motifs décoratifs, en l’occurrence, ceux qui ornent les modillons des corniches du nymphée de Bassus à Ephèse. A partir des lignes de construction conservées à leur lit d‘attente, N. Toma expose le processus de fabrication des chapiteaux corinthiens et ses différentes étapes à l’époque impériale Sa démonstration se fonde sur trois exemples provenant, pour deux d’entre eux, de Tripolitaine (Leptis Magna, Sabratha), pour le troisième, d’Asie Mineure (Priène). Deux phases sont bien identifiées : on réalise d’abord un chapiteau semi-fini qui va constituer le support sur lequel le décor sera sculpté dans une seconde phase, sur le chantier de construction. Cela implique l’existence d’ateliers spécialisés. Les motifs décoratifs sont sculptés dans la plupart des cas « à main levée », seules les compositions complexes (rinceaux) peuvent éventuellement nécessiter le recours à des patrons.
A partir de quatre études de cas (temple de Dionysos à Pergame, « temple d’Hadrien » et porte d’Hadrien à Ephèse, nymphée de Milet), U. Quatember montre de façon très claire que les interventions secondaires (réparations, reconstructions) que peut connaître un monument doivent être correctement identifiées et analysées dans le cadre de toute recherche concernant son décor.
La communication de H. Wienholz concerne surtout le temple de Jupiter à Baalbek qui n’a été que très partiellement étudié. Les travaux récents menés par le DAI permettent de mieux évaluer les vestiges anciennement dégagés et, notamment, de revoir la typo-chronologie des chapiteaux corinthiens. La multiplicité des variations de détail montre que les sculpteurs puisaient dans leur propre répertoire de formes et qu’ils disposaient d’une certaine liberté d’exécution. Les différences typologiques et stylistiques observées entre le temple de Jupiter et les bâtiments adjacents (propylon, cour de l’autel) ne traduisent pas une variation chronologique et rendent par conséquent plus délicates les datations fondées sur la seule étude de l’ornementation.
R. Köster présente certaines des difficultés que l’on peut rencontrer quand on tente de dater des édifices micrasiatiques d’époque impériale. Deux édifices de Milet (palestre des thermes de Capito, front de scène du théâtre dans sa phase néronienne) et une architrave-frise datée par une inscription du règne de Domitien constituent la base de son argumentation. Ce dernier bloc, parce qu’il est le seul représentant de son édifice d’origine ne représente qu’un échantillon très limité de l’ornementation d’époque flavienne et ne peut pas être considéré comme une référence. La comparaison menée entre les deux premiers édifices cités montre que les thermes de Capito sont bien datables de l’époque de Claude ce que l’épigraphie ne peut pas prouver à elle seule. Le troisième problème méthodologique abordé concerne la deuxième phase du front de scène du théâtre et la datation ce celle-ci. C’est à partir de l’analyse stylistique de la « frise de la chasse » (comparaison avec les décors de sarcophages) qu’une datation au milieu du IIe siècle p. C a été proposée qui correspondrait logiquement aux travaux d’agrandissement de la cavea. L’étude de la décoration architecturale indiquerait plutôt pour cette phase une datation au IIIe siècle p.C.
Les six communications suivantes concernent l’occident romain (Espagne et Italie). J. Lehmann expose les difficultés de classement chronologique que pose la décoration architecturale en Hispanie (République – époque flavienne). Les chapiteaux corinthiens sont au cœur de l’analyse. Une partie importante de la contribution concerne un groupe de chapiteaux corinthiens « normaux » d’Obulco (Bétique).
L’ornementation du complexe formé par la basilica Aemilia et le portique donnant sur le forum romanum est réévaluée dans son contexte urbain par J. Lipps. L’étude du matériel architectural attribuable à la basilique, en dépit de nombreuses variations dans le décor qui auraient pu être considérés comme autant de critères chronologiques différents, indique une phase unique de construction à l’époque augustéenne. Comment alors expliquer cette hétérogénéité ? Dans le cas de la basilique, on peut invoquer des différences de main ou d’ateliers. La situation est autre dans le portique dont la décoration architecturale (ordre dorique toscan) très différente de celle de la basilique (ionique et corinthien) traduit un choix délibéré du maître d’œuvre. Selon l’auteur, les raisons tiennent à la différence de fonction des deux édifices : la basilique est un édifice fermé sur lui-même qui s’expérimente « de l’intérieur », au contraire du portique, ouvert sur le forum et auquel il doit être intégré visuellement.
L’étude d’un petit groupe de chapiteaux italo-corinthiens d’Italie du Nord constitue le point de départ de la contribution de P.-A. Kreuz. Les difficultés inhérentes à toute étude de décoration architecturale régionale sont soulignées dans une première partie, l’auteur s’intéressant ensuite à une problématique plus urbanistique, la perception par le spectateur du décor dans l’architecture monumentale au regard de la profondeur de l’histoire.
A travers l’étude du décor de monuments datables de la fin de l’époque républicaine D. Maschek s’attaque à l’idée généralement acceptée d’un modèle d’hellénisation (conséquence du travail d’ateliers grecs itinérants) qui expliquerait à lui seul la diffusion de formes et de styles grecs en Italie centrale. Le décor très particulier du sanctuaire de Préneste (« superposition » et hiérarchie des ordres dont l’ordre italo-corinthien, mosaïque de l’aula absidata…) est adapté à la topographie cultuelle du monument ce qui limite les possibilités de comparaison avec d’autres ensembles contemporains. L’auteur évoque ensuite le cas du temple rond du forum boarium en rapprochant certains de ses chapiteaux corinthiens « normaux » (« groupe A » déterminé par Heilmeyer) de modèles d’Asie Mineure. Mais qu’il s’agisse de la conception générale de l’édifice ou des détails de son ornementation, il est impossible de conclure à un simple transfert d’influences du monde grec vers l’Occident, il s’agit davantage d’adaptation et d’innovation. Cependant la large utilisation du chapiteau corinthien « normal » à l’époque tardo-républicaine n’exclut pas celle du chapiteau italo-corinthien « indigène » dans les temples d’Italie centrale, jusqu’au Ier siècle a.C. Il n’y a pas d’hellénisation linéaire des formes.
S’agissant de la restitution de l’ « hippodrome » du Palatin, K. Iara montre bien les possibilités offertes par l’étude de l’ornementation de l’ensemble monumental, tout en soulignant ses limites (peu de fragments architecturaux conservés au regard des dimensions de l’édifice, problèmes d’attribution pour certains d’entre eux…). On se rend par ailleurs compte notamment que le décor n’est ni particulièrement soigné (traces d’inachèvement), ni particulièrement novateur. Son analyse ne peut donc être dissociée de l’étude du monument lui-même et de sa mise en contexte par l’intermédiaire de comparaisons avec d’autres jardins de même type.
Une étude très détaillée du décor de la Domus Aurea par A. Haug vient clore l’ouvrage. Matériaux, lumière, couleurs qui absorbent ou réfléchissent celle-ci, images (thèmes dionysiaques, homériques…) sont autant d’apports qui concourent à créer une atmosphère dans les pièces d’apparat et à impressionner le spectateur. La perception du décor et de l’atmosphère qu’il crée est fonction de l’expérience du destinataire : ressenti comme remarquable ou conventionnel, comme local ou exotique, le décor produit un ordre qui n’est pas seulement visuel mais qui détient également une signification sociale.
Les différentes communications regroupées dans cet ouvrage, sans mésestimer ses limites méthodologiques, illustrent bien l’apport de l’étude de l’ornementation à la compréhension globale des édifices antiques, qu’il s’agisse d’identifier les différentes phases de construction, d’isoler des ateliers, de faire la part des influences locales et extérieures, d’en proposer des restitutions même si, dans certains cas, elles sont très hypothétiques en raison du peu d’éléments conservés. Par ailleurs, la thématique plus nouvelle des stratégies visuelles et de la relation interactive entre décor et spectateur ou de la perception par ce dernier des atmosphères spatiales est traitée de façon convaincante. Le livre offre ainsi une très utile mise au point sur l’état de la recherche et sur les axes actuellement privilégiés dans ce champ d’étude.
Laurence Cavalier
mis en ligne le 4 juillet 2016