Laurent Hugot et Laurence Tranoy publient les Actes de la journée d’études qu’ils avaient organisée à l’Université de La Rochelle en janvier 2008. Leur objectif était de mettre au point une stratégie de recherche adaptée aux ports de l’arc atlantique et plus spécifiquement applicable au site de Barzan/Moulin du Fâ sur lequel L. Tranoy poursuit des recherches. Un bilan s’imposait et de ce fait ces Actes offraient l’occasion de mises au point sur des recherches en cours. Trois des sept communications publiées portent sur des secteurs littoraux s’échelonnant entre le détroit de Gibraltar et la Bretagne. Celle de C. Alonso et L. Ménanteau qui porte sur la côte andalouse présente les résultats de recherches qui, s’appuyant sur la lecture géoarchéologique du paysage actuel, propose une interprétation des structures portuaires de la ville de Baelo Claudia identifiées dans l’anse de Bolonia sur le territoire de l’actuelle Tarifa. La communication de M.-L. Pinheiro croise les données de la cartographie du littoral avec l’iconographie des paysages urbains pour dégager les potentialités du paysage nautique du littoral portugais. Dans une troisième, F. Tassaux revient sur la question du trait de côte du littoral charentais entre Sèvre et Gironde. La compréhension des fonctions portuaires de Barzan nécessitait de le replacer dans « les potentialités portuaires » offertes par la façade maritime du territoire santon. Or au XIX e s., E. Desjardin s’appuyant sur les cartes géologiques avait restitué dans sa partie nord un « golfe des Pictons » dont le contour était donné par des argiles grises bleutées quasi imperméables, d’une épaisseur moyenne de dix mètres. Constituées de sédiments très fins issus de l’érosion marine et terrestre (« bris » fluvio-marin ou slikke), elles étaient attribuées à une transgression dite flandrienne dont le maximum aurait correspondu à l’époque romaine. Mais, les prospections archéologiques et les études sédimentologiques prouvent que, dès le second âge du Fer, au moins la moitié orientale de ce mythique golfe était colmatée, ce qui contraint à renoncer au mythique plan d’eau qui aurait marqué la limite entre ce peuple et les Santons. Dans ces conditions, pour éclairer la vie littorale et les potentialités portuaires, il suggère de rechercher les attestations des activités d’exploitation de la mer sur les sites littoraux parmi lesquels d’éventuelles attestations de bassins de salaison comme on en connaît au Pays Basque et en Bretagne méridionale. Il est de fait certain que l’explication de leur absence sur le littoral entre l’embouchure de l’Adour et le golfe du Morbihan est d’ordre naturel et non culturel : ils ont été recouverts par les massifs dunaires de la côte landaise et par les atterrissements du rivage charentais. Les questions méthodologiques sont au cœur de quatre autres communications. Deux d’entre elles sont consacrées à l’apport de la géophysique. Celle-ci a servi à délimiter un paléoestuaire colmaté par un complexe dunaire et une longue plage de sable correspondant à un site de naufrage situé sur la côte portugaise. Après cette communication de A. Kermorvant placée en annexe à celle de M.-L. Pinheiro, V. Mathé, M. Druez, M.P. Jezegou et C. Sanchez présentent les résultats des études géophysiques conduites pour la recherche de structures portuaires à Barzan/Moulin du Fâ dont il vient d’être question, à Brion dans le Médoc et à Mandirac dans l’Aude. Brion où l’on situe Noviomagus, la seconde ville des Bituriges Vivisques, avait été un temps considéré comme un possible avant-port de Bordeaux dans l’estuaire de la Gironde. Mais la poursuite des recherches montre que cette ville était au bord d’un marais colmaté depuis l’antiquité. Quant à Mandirac, c’est un 174 revue des etudes anciennes des sites du complexe portuaire de Narbonne pour l’étude duquel les mêmes auteurs se sont adjoints la contribution d’un cartographe, L. Cavero. H. Günter-Marton et K. Storch s’y sont ajoutés pour des prospections géophysiques subaquatiques. L’alternative suivante résume la problématique de ces travaux : Narbonne était-il encore à l’époque romaine un port maritime auquel les navires de haute mer accédaient par un chenal ou bien l’essentiel des marchandises était-il débarqué dans des avant-ports ? La communication fait ainsi le point des travaux en cours sur la ville sur la plaine fluviomaritime qui succédant à une lagune colmatée par les apports de l’Aude recouvrirait les vestiges des avant-ports du complexe. La méthodologie occupe une place centrale dans la communication du collectif qui présente des résultats acquis sur « l’archéologie estuarienne portuaire entre Loire et Seine » et les relie à des questions méthodologiques (R. Arthuis, D. Guitton, M. Monteil, J. Mouchard et O. de Peretti). Les deux sites antiques pris en exemple, Aizier dans l’Eure et Rezé en Loire-Atlantique se trouvent l’un sur l’estuaire de la Loire, l’autre sur la Seine, deux grands fleuves donnant accès à l’intérieur de la Gaule, l’un en face de Nantes à une trentaine de kilomètres de l’embouchure, l’autre bien à l’amont de Rouen, à 80 km de l’embouchure. Leur relation avec la thématique océanique de la journée est liée à la problématique estuarienne qui différencie fondamentalement les conditions de fonctionnement des ports méditerranéens et atlantiques comme Laurent Hugot et Laurence Tranoy l’avaient souligné dans l’introduction (p. 11). Un estuaire fonctionne comme un entonnoir canalisant l’onde de marée et l’amplifiant de sorte qu’elle peut remonter très loin à l’intérieur des terres. Ce phénomène qui impose les conditions d’un port maritime à des ports fluviaux était parfaitement connu des anciens. Strabon en décrit les effets sur la vie portuaire littorale du bas Guadalquivir Turdétanie dans un passage que commentent C. Alonso et L. Ménanteau. Il prolonge les conditions océaniques dans des anses estuariennes maintenant atterries de la basse Andalousie actuelle (p. 15). Le terme qui désigne l’embouchure en grec est « ecbolé ». Strabon appelle ces anses « anachusis », un terme proche d’anachuma, qui est traduit par « étier ». Ainsi Bordeaux, que présente F. Gerber, se trouve à 26 km de la Gironde et à 95 km de l’embouchure. L’amplitude de la marée y varie entre 2 et 6 m et la ville avait deux ports comme le souligne le titre de sa communication ; un port de Garonne et un « port d’estey ». Ces deux communications et celle de C. Alfonso et L. Ménanteau posent une importante question d’ordre technique. Sur une berge soumise au rythme de marées importantes, on s’attend à ce que la préférence soit donnée à l’échouage, à l’exemple de ce que l’on sait des ports médiévaux des villes de l’Europe du Nord-Ouest. Cette technique paraît en effet la mieux adaptée à un rivage soumis au rythme de marées importantes : la base des quais étant à sec à marée basse, les navires ne peuvent s’amarrer qu’à marée haute. Mais, dans une communication présentant les résultats des fouilles conduites par l’INRAP sur le port de Bordeaux, F. Gerber décrit des quais d’accostage. Ce constat s’accorde avec les aménagements portuaires romains identifiés sur les berges de la Seine sur le site de Vieux-Port à Aiziers et à Rouen. À Gesoriacum dans le Boulonnais, le port de ce qui fut la base continentale de la classis britannica est implanté au fond de l’estuaire de la Liane où un assemblage d’énormes blocs de pierres brutes pourrait correspondre à un quai. À Vannes (Darioritum), un des rares ports sur lequel on dispose de données, la présence de poutrages à son emplacement supposé suggère la construction de quais. Ces exemples montrent que les ingénieurs romains ont équipé de quais certains ports de l’Océan à l’image de ceux de Méditerranée. Mais on aurait tort de généraliser. À Rezé, une zone d’atterrissage fut équipée sur plusieurs mètres de long d’un revêtement de coMptes rendus 175 dalles suivant une déclivité régulière. C. Alonso a reconnu une rampe portuaire à Baelo dans un sondage (fig. 12 et 13 p. 34-35). Ainsi, comme l’observent R. Arthuis et al., « les deux types de schéma d’implantation, liés l’un à l’accostage et l’autre à l’échouage, ont été perçus, en contexte fluvial » (p. 70). Les deux d’ailleurs ne s’excluent pas. Car défendre la berge d’un fleuve par un mur n’empêche pas d’en équiper la grève. Il faut donc nuancer le critère du quai retenu par H. Hesnard pour reconnaître un port atlantique comme « commercial ». A. Hesnard, qui avait été invitée à introduire le colloque, en tire les conclusions sous forme de recommandations. Mais plutôt que de s’aventurer dans des considérations méthodologiques qui auraient supposé une comparaison avec la Waterfront Archaeology évoquée par F. Gerber (p. 92), elle a choisi de faire l’historiographie de la question en Méditerranée. Il lui semblait essentiel que les archéologues qui l’avaient invitée comprennent pourquoi « il ne peut pas et il ne doit pas exister de manuels donnant des recettes de cuisine (sic !) d’archéologie maritime ». Elle justifie le principe de cette position par l’exemple d’une erreur d’interprétation commise par F. Benoit. Comme il ne plongeait pas, il ne se rendit pas compte que deux épaves étaient superposées au pied du rocher du Grand Congloué dans la rade de Marseille. Ce point de vue est contestable ; car ce n’est pas en plongeant, mais en relisant les carnets de F. Benoit que L. Long a identifié cette superposition. Par ailleurs et surtout, comme elle le souligne, les progrès récents de l’archéologie portuaire sont venus de la collaboration avec les géomorphologues qui, travaillant sur les littoraux, utilisaient conjointement les outils des géosciences de l’environnement. Les fouilles portuaires leur offraient la possibilité de caler leurs travaux sur les variations du niveau marin et celles de la ligne de rivage avec une précision supérieure à celle donnée par les chronologies isotopiques. Leur intervention s’inscrit dans une problématique rendue complexe par la difficulté d’établir une distinction entre des sites archéologiques situés en milieu maritime, mais dont la fonction peut n’avoir aucun rapport avec l’exploitation du milieu maritime, alors que des sites qui en relèvent se trouvent parfois très éloignés du rivage. De ce fait, une historiographie qui insiste sur les méthodes d’investigation en milieu subaquatique devra être complétée par lagéoarchéologie des ports antiques de Méditerranée qui constitue le premier chapitre du livre que Nick Marriner a consacré à la « Géoarchéologie des ports antiques du Liban » (Paris, L’Harmattan 2009). On y trouvera en particulier une typologie géoarchéologique des ports antiques que justifie le constat fondateur d’une archéologie des littoraux. Comme depuis deux mille cinq cents ans la quasi-stabilisation du niveau marin a permis l’atterrissement des anses qui constituaient les sites les plus favorables à l’implantation de ports, l’archéologie portuaire est devenue plus terrestre que subaquatique et maritime. Cette remarque peut être étendue à l’archéologie navale qui profite des fouilles des épaves trouvées dans ces ports. Les erreurs d’interprétation commises par des archéologues peu habitués à identifier le processus de constitution d’un gisement en milieu portuaire dont les fouilles des ports de l’Arno à Pise appartiennent à l’histoire de l’archéologie au même titre que celles des fouilles du Grand Congloué. De ce fait, plutôt donc que d’« archéologie et de géoarchéologie maritime » comme le fait A. Hesnard, il vaut mieux, me semble-t-il, parler d’une archéologie et d’une géoarchéologie des littoraux. C’est d’ailleurs le titre qu’a choisi l’INRAP dans un dossier de la revue Archéopage consacré à cette approche, où l’on retrouve les contributions de quelques-uns des participants à la journée de La Rochelle. On ne peut que souscrire à ce que dit Ch. Morhange, qui fut en France le pionnier de cette approche, dans la dernière phrase de l’entretien qu’il eut à cette occasion : « l’archéologie des littoraux est un formidable champ de recherche à venir ».
Philippe Leveau