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En mai 2017 s’est tenu à Izmir, sous l’égide de l’université Dokuz Eylül, un grand colloque international consacré aux études lydiennes. Un certain nombre de chercheurs et de spécialistes de la Lydie, issus de différentes disciplines ont pu offrir plus d’une soixantaine de communications concernant la région et Sardes aux différentes époques. Le présent ouvrage est directement dérivé de ce colloque, reprenant son titre, Studies on the History and Archaeology of Lydia from the Early Lydian Period to Late Antiquity. Il est édité conjointement par son organisateur Ergün Laflı, de l’Université d’Izmir, et Guy Labarre, professeur d’histoire ancienne de l’université de Franche-Comté.
Le livre est composé de 47 articles rédigés en anglais. Ceux-ci sont directement tirés des communications présentées lors du symposium. Face à la difficulté d’élaborer une monographie constituée uniquement de contributions d’auteurs différents, issus de disciplines aussi variées, E. Laflı et G. Labarre ont choisi d’organiser leur ouvrage de manière chronologique afin de donner à l’ensemble une certaine unité. Ces études lydiennes diachroniques, réunies dans cet ouvrage, s’étendent de la protohistoire de la Lydie au début de la période byzantine.
Dans une première partie sous forme d’introduction, A. Gonzales expose clairement les objectifs de l’ouvrage, à savoir offrir une analyse multidisciplinaire et sur le long terme d’une région au passé mouvementé, l’auteur insistant sur la nécessité d’une approche plus moderne de l’histoire lydienne. En effet, la variété des articles réunis ici illustre bien tout le potentiel des recherches lydiennes. E. Laflı propose ensuite une brève introduction aux études concernant la Lydie, en y exposant le cadre géographique et historique, et en proposant une courte historiographie des recherches archéologiques menées dans la région depuis les années 1950.
La première partie Lydia in the third and second millenia B. C. est l’une des plus brèves. Elle comporte deux articles consacrés à la protohistoire en Lydie. Le premier article, de N. Akıllı, expose les fouilles et trouvailles archéologiques faites sur le site protohistorique de Hastane Höyük à Akhisar, l’actuelle Manisa, proposant un aperçu des cultures s’y développant à la toute fin du néolithique et à l’âge du Bronze. Le second article, écrit par M. R. Cataudella, s’intéresse quant à lui à la désignation géographique de la Lydie dans les textes anciens et plus particulièrement à l’Aššuwa apparaissant dans la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C., notamment dans les sources hittites, et à l’Asia des premiers Grecs.
La seconde partie, comme attendu, est l’une des plus fournies, traitant de l’une des périodes les plus connues de l’histoire lydienne, celle de Gygès et de Crésus. Historical and other aspects of the Lydian period and the early Lydians propose au lecteur 14 articles aux approches et thématiques très différentes. A. Portalsky offre tout d’abord un essai de chronologie précise des différents représentants de la dynastie des Mermnades, en essayant de passer d’une « floating chronology » à une datation plus réaliste du règne de chaque roi lydien, en utilisant les chronologies connues des dynasties égyptiennes ou babyloniennes contemporaines. A. Payne et D. Sasseville mettent ensuite en lumière l’existence d’une déesse lydienne méconnue, Malis, aux allures d’Athéna, grâce à une minutieuse analyse épigraphique. D. Schürr reste dans le domaine de la religion en s’intéressant à la transmission et à la transcription de certains dieux lydiens dans la langue grecque et vice-versa, démontrant par-là la porosité des deux cultures. Pour rester dans la sémantique, F. C. Woudhuisen, offre ensuite quelques remarques sur le « signe flèche » dans l’écriture lydienne et phrygienne, en essayant d’en déterminer le sens et la valeur dans les deux langues. Plus loin, T. P. Kisbali se penche sur l’analyse d’un naïskos sculpté, appelé « l’autel de Cybèle », retrouvé à Sardes et datant des années 540-530 av. J.-C., mettant en exergue les influences orientales et grecques à travers l’analyse iconographique et artistique de la stèle. Y. Pikoulas présente ensuite quelques remarques sur la route royale perse, mêlant source écrite et archéologie, artère antique majeure, qui selon Hérodote traversait de part en part la Lydie. A. Paradiso poursuit avec une étude littéraire qui s’intéresse à l’oracle d’Halys dans le texte de Diodore, tout comme J. Roy qui s’arrête un instant sur Pindare et le mythe lydien de Pélops. La diffusion des sceaux lydiens à l’époque romaine dans la région ouest de la mer noire est mise en exergue par C. Chiriac et L. Munteanu. L. M. Iancu, quant à lui, dans un article particulièrement fouillé, s’intéresse à Gygès, à ses origines et ses liens avec la Carie. A. Sina analyse ensuite l’importance politique d’Artémis en Lydie et ses liens particuliers avec la déesse d’Éphèse, qui accueille de nombreuses chorales de jeunes filles lydiennes, témoignant d’un lien fort entre Sardes et l’Ionie. C. S. Bearzot s’intéresse à la Lydie sous domination achéménide en revenant, à travers de nombreuses sources littéraires, sur le règne du satrape Pissuthnes, dans la seconde moitié du Ve siècle av. J.-C., et sa politique régionale. Pour poursuivre au sein de la satrapie achéménide de Lydie, F. Colas-Rannou propose dans son article très fourni et très bien illustré, une approche comparée des arts lydiens et lyciens dans l’Anatolie sous domination perse, mettant en évidence une production très proche et des influences stylistiques communes entre les deux régions. Pour clore cette partie, l’article suivant détonne : E. Laflı et M. Buora proposent de très intéressantes observations sur le trafic d’antiquités moderne, et plus précisément ici sur les contrefaçons contemporaines de bijoux et trésors antiques lydiens et leurs diffusions en Turquie et à l’international.
La troisième partie de l’ouvrage, Historical and other aspects on Hellenistic and Roman Lydia, recueille huit articles portant, comme mentionné, sur les époques hellénistique et romaine et s’inscrivant dans une démarche de recherche historique. Le premier de ces articles, écrit par F. Delrieux, revient sur la période mouvementée de la première guerre mithridatique et son impact sur les cités grecques de Lydie, offrant une étude historique très documentée sur la conquête de la région lydienne par le roi du Pont. Le second article du chapitre porte sur la géographie historique de la Lydie. P.-O. Hochard tente de dresser un portrait cartographique de la région aux époques hellénistique et impériale en mobilisant les sources littéraires et la numismatique, et met en lumière les difficultés à saisir précisément les limites et frontières de la région. É. Wolff, quant à lui, s’arrête sur des questions de littérature latine, et notamment sur les expressions idiomatiques et les proverbes lydiens qui la parsèment. G. Arena nous fournit ensuite une analyse de l’épitaphe, gravée sur un autel en marbre retrouvé à Thyateira, d’un physicien romain du nom d’Haleis, en en proposant une nouvelle datation issue de l’examen des autres testimonia existant sur le sujet. Pour continuer dans le thème de la médecine antique, M. G. Cassia propose quelques pages concernant la médecine dans la Lydie romaine et ses relations intimes avec le pouvoir impérial. H. Üreten et Ö. Güngörmüş s’arrêtent ensuite sur quelques remarques concernant le culte impérial en Lydie, mobilisant les sources textuelles classiques, et ciblant plus particulièrement les pratiques existantes dans l’antique cité lydienne de Philadelphie. Restant dans le champ des études cultuelles, G. Labarre propose ensuite une longue analyse du culte du dieu Men, divinité lunaire méconnue, en Lydie et aborde la question de l’origine et de la diffusion du culte dans la région. Toujours dans le domaine cultuel, C. Guittard s’intéresse à l’oracle d’Apollon à Claros et aux différents dieux qui sont vénérés dans le sanctuaire de Colophon, en analysant un passage des œuvres de Macrobe s’y référant.
La quatrième partie de l’ouvrage se penche également sur la Lydie hellénistique et romaine, mais cette fois-ci d’un point de vue archéologique. Material culture of Hellenistic and Roman Lydia, se compose de sept articles. Le premier, de l’éditeur de l’ouvrage, E. Laflı, est l’un des plus conséquents du livre. Il s’agit d’un important rapport préliminaire des découvertes archéologiques les plus récentes faites en Lydie et dans la haute vallée du Caÿstre, entre 2003 et 2022. L’article se décompose en 14 sections, chacune consacrée à une découverte archéologique faite en territoire lydien ; ces trouvailles courent du VIIe/VIe siècle av. J.-C. au début de la période byzantine. Puis M. Kantirea s’intéresse dans un court article à une sélection d’inscriptions gravées sur quelques monuments de la Lydie romaine. E. Hrnčiarik et L. Nováková présentent ensuite une brève exploration des pratiques funéraires dans la région. Les deux auteurs s’arrêtent plus précisément sur l’utilisation de tumulii, attestée depuis l’âge du Bronze et devenant le mode d’inhumation le plus courant au cours du VIe s. av. J.-C., transcendant les frontières de la Lydie pour se répandre en Ionie, Carie et Lycie… O. Koçyiğit propose un rapport préliminaire sur les céramiques romaines découvertes sur le site de Tabae. Pour continuer dans la même veine, J. C. Martin s’intéresse quant à elle à l’utilisation des briques cuites romaines en Lydie et dans les régions avoisinantes. Enfin, pour achever cette quatrième partie, D. Glad offre quelques pages sur les manufactures d’armes à Sardes. Il démontre que la cité, forte d’une antique tradition métallurgique et d’un emplacement stratégique, devient, à partir du règne de Dioclétien, le fournisseur d’armes officiel des auxiliaires romains de la partie orientale de l’Empire.
Le cinquième chapitre de l’ouvrage, relativement bref, a trait à la dernière époque étudiée dans le livre. Early Byzantine Lydia, propose deux articles de recherches protobyzantines. La première contribution, issue des recherches de D. P. Drakoulis, prend la forme d’un survol précis de l’aspect géographique et archéologique de l’implantation humaine dans la région au début de la période byzantine. Le second article s’intéresse également au début de la période byzantine, mais cette fois-ci W. Seibt, utilise une approche sigillographique de la zone, mettant en lumière les activités commerciales de la région à la toute fin de l’Antiquité.
La partie VI du volume n’aurait pas déparé un volume de périodique. Varia Anatolica Occidentalia présente deux articles sans liens directs avec le sujet. Le premier article, de G. Rizzo, porte sur le commerce des amphores d’Éphèse à la période impériale, et plus exactement sur leur présence à Rome. Le second, rédigé par D. Tinterri, porte également sur le commerce, cette fois-ci entre Chios et Phocée à l’époque byzantine, et l’autrice y expose notamment sa méthode de recherche qui croise sources écrites et sources matérielles.
Pour finir, le chapitre VII de l’ouvrage apparaît comme inhabituel. En effet, Selected abstract on recent research in Lydia, propose, pour clore l’ouvrage, un florilège de résumés d’articles, certains émaillés d’illustrations. Il s’agit d’abstracts d’une douzaine d’articles très récents, évoquant les recherches en cours dans la région.
Cet ouvrage, ainsi que le symposium qui l’a engendré, s’inscrivent directement dans la lignée de deux précédents colloques consacrés à l’empire Lydien et sa capitale, s’évertuant à présenter au public, comme ses prédécesseurs, les toutes dernières avancées des multiples recherches liées à la Lydie. Le site de Sardes et la région sont fouillés depuis le début du XXe siècle par les Américains. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, les fouilles à Sardes s’ouvrent à d’autres équipes internationales et de nombreux scientifiques et chercheurs, représentant une grande variété de disciplines, s’emparent de ce vaste champ de recherche que constitue la Lydie. Cette ouverture donne aux recherches lydiennes un nouvel élan. Le premier colloque qui présente le foisonnement et le renouveau de ces recherches, s’est tenu à Münster en 1994 et fut publié, dans la série des AMS, en 1995. Un second symposium s’est déroulé à Rome en 1999, réunissant également les plus éminents chercheurs mondiaux et spécialistes de la Lydie et de la Lycie, présentant leurs nouveaux axes de recherches. Le présent ouvrage vient enfin remettre à jour les connaissances scientifiques accumulées depuis ces vingt dernières années sur la Lydie.
D’un point de vue formel, l’ouvrage est très soigné et bien référencé. On retrouve au début du livre une table des matières claire, organisée comme nous l’avons vu, de manière chronologique, permettant d’accéder facilement à chaque article. Une table des figures succède à la table des matières. Celle-ci est également très précise, offrant, dans l’ordre et par article, un référencement clair des illustrations, avec légendes. Les planches sont nombreuses, venant parfaitement soutenir la compréhension du texte, et sont par ailleurs de très bonne qualité et beaucoup sont en couleur. En ce qui concerne les sources et références, une bibliographie concise vient clore chaque article et permet d’ouvrir au lecteur le champ de recherche souhaité. Les références sont précises et la navigation aisée, facilitée par la toute dernière partie de l’ouvrage. Celle-ci compile les résumés et mots clés de chaque article présentés ici, en anglais et en turc, classés par ordre alphabétique des noms d’auteurs.
Ce volume se veut donc un mélange d’articles portant sur autant de thèmes variés et pointus, empruntant à un grand nombre de disciplines. Il s’agit là d’un travail scientifique remarquable et à la pointe de l’actualité. L’ouvrage n’est certainement pas à approcher comme une monographie que l’on peut lire d’un bout à l’autre, mais plutôt comme un volume de revue ou la publication des actes d’un colloque, ce qu’il est essentiellement. L’unité géographique des articles est le seul dénominateur commun entre ceux-ci. La grande variété des points de vue, des disciplines mobilisées, des sujets et des époques traités permet d’offrir un vaste panorama de la richesse des études lydiennes. Nous pouvons juste regretter que l’organisation chronologique puisse parfois paraître légèrement artificielle, tout comme l’équilibrage des parties du livre. En effet, comme nous avons pu le voir, la plupart des articles de l’ouvrage se concentrent sur la période hellénistique et impériale tandis que les périodes protohistorique et byzantine restent très peu représentées ; de même la partie VI paraît légèrement en dehors du sujet, tout en offrant quelques articles archéologiques dignes d’intérêt. L’ouvrage de E. Laflı et G. Labarre ravira les spécialistes de tous horizons et ses 47 articles sont autant de coups de sonde dans différents domaines très spécifiques de la longue histoire de la Lydie, tout en représentant la multiplicité des recherches les plus récentes et de celles toujours en cours.

 

Antonin Jourdren, Université Bordeaux Montaigne, Ausonius – UMR 5607

Publié dans le fascicule 1 tome 126, 2024, p. 281-285.