Les livres VII-IX de l’Histoire ecclésiastique constituent le dernier des quatre volumes que les éditions du Cerf ont, depuis 1983, consacrés à cet ouvrage de Sozomène. Un Index général clôt ce tome.
Né près de Gaza, avocat de profession ayant exercé à Constantinople, Sozomène a rédigé son Histoire entre 440 et 450, le dernier livre étant d’ailleurs inachevé. Les événements relatés courent entre 379 (règne de Gratien, qui associe très vite Théodose à son pouvoir, VII, 2) et après 423, (découverte du prophète Zacharie et du protomartyr Etienne, ce qui suivrait de peu la date de la mort de l’empereur Honorius). L’ouvrage de Sozomène traite des affaires politiques et militaires (dynastie théodosienne), en s’inspirant de l’Histoire d’Olympiodore de Thèbes, et, surtout, religieuses : s’y affirment toute la place et l’identité de Constantinople, la « nouvelle Rome » (VII, 9, 2-3). Les grandes questions qui ont agité le IVe siècle chrétien figurent dans la récit : ainsi l’hérésie arienne et le conflit théologique opposant les Homéousiens et les Homoousiens (VII, 4-7), la date et les modalités de la célébration de Pâques (VII, 18), la position des Macédoniens, opposés à la consubstantialité du Saint-Esprit (VII, 7,2), l’édit de Thessalonique de 380 (VII, 4) et le concile oecuménique de Constantinople de 381 (VII, 7 et 9), sans oublier la description des pénitents (VII, 16). Le livre VIII est quant à lui tout entier consacré à la vie et à l’oeuvre de Jean Chrysostome, en forme d’éloge « dans la tradition classique de Xénophon, d’Isocrate ou même de Polybe », G. Sabbah, p. 35, ce qui oppose la vision de Sozomène au jugement, hostile, de Socrate de Constantinople.
La méthode historique de Sozomène est elle‑même intéressante, témoignant des exigences de l’auteur et, en même temps, de sa foi et de ses inclinations. Le principe privilégié est celui de l’ « autopsie », telle que la définit G. Sabbah (pp. 30-32), c’est-à-dire la connaissance par soi-même ou par l’audition de témoins directs, des lieux, des personnages et des événements. Ensuite, Sozomène ne s’en tient pas à l’histoire officielle, mais il prête une attention véritable aux populations, à la « société » : ainsi aux femmes, illustres ou non, telles la très riche et très généreuse diaconesse Olympias (VIII, 9), l’impératrice Pulchérie (IX, 1), ou encore la vertueuse femme romaine qui résista à un soldat d’Alaric (IX, 10). Mais ce qui peut davantage caractériser l’oeuvre de Sozomène est l’interprétation chrétienne qu’il donne aux événements. La croyance en une intervention de Dieu dans les affaires de l’Empire, destiné, avec Théodose, à se christianiser complètement, avec une foi plus authentique et plus répandue, est omniprésente. Une telle croyance ouvre même à l’occasion la voie au récit fantastique, comme en VII, 24, 6 lorsque est mentionnée la victoire remportée en 394 par Théodose sur Eugène : « les traits et javelots lancés contre les Romains rebondissaient comme sur des obstacles solides et revenaient frapper les corps des archers ». Ce qui pourrait n’être qu’un fort coup de vent (voir p. 196, n.1) devient, chez Sozomène, la marque d’une intervention divine en faveur de l’Empereur.
Ces trois livres de Sozomène sont présentés ici avec une traduction due à André-Jean Festugière, o.p., et Bernard Grillet, et établie à partir de l’édition J. Bidez- C.G. Hansen (corpus de Berlin, les Griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte). La reprise de cette édition explique l’absence d’apparat critique dans ce volume. Les seules informations éditoriales fournies sont Bidez 302-408 et PG 67 (1417-1630). Des précisions sur les manuscrits auraient pourtant été utiles, ainsi en VII, 6,2 ou IX, 12, 4, où seule une note fait état de divergences dans les manuscrits à propos de Bçerwna, (Vérone) sans doute confondue avec Liber)wna (Libarna, localité de Ligurie). D’une façon générale, la traduction est extrêmement fidèle au texte, peut-être même trop parfois, ce qui nuit à la fluidité et au naturel. Le respect systématique des temps verbaux par exemple induit des phrases assez peu cohérentes en français : Alaric « vint à Rome et assiégeait la Ville. Sur un côté, il s’empare de Portus… », IX, 8, 1. Le lecteur attentif regrettera également quelques expressions ou tours curieux, comme « chasser les barbares par des coups de foudre », IX, 2, 7 ; ou bien : « certains » évêques « pris de peur, ne prirent pas le chemin du retour », VIII, 17, 9 ; ou : « il rentra en lui-même et se retira, tout pénétré de repentance », VII, 25,2 ; et « la nuit précédente –après laquelle, dès le jour suivant, eut lieu la sédition », VII,23, 4, pour dire : la nuit d’avant, celle qui précéda le jour de la sédition. Je noterai pour terminer quelques inexactitudes dans la traduction : le ge du VII, 22, 3, traduit par « au surplus », alors qu’il signifie plus certainement, avec le màhn : en tout cas, ou au moins il est sûr que ; de même, le verbe éepçathsen traduit par « il foula » le pied de Cyrinus, pour dire sans doute « écrasa », si l’on en juge par les conséquences (gangrène et amputation de la jambe), VIII, 16, 5. Enfin l’on s’étonnera de lire, p. 407, n. 4, le renvoi anonyme à une traduction de ad correptionem superbae (…) civitatis (Orose, Histoires, VII, 39, 18) par « pour la correction de la cité orgueilleuse ». Correptio, signifiant la « prise », a-t-il été entendu dans le sens de correctio ?
Ces quelques remarques à part, la traduction reste de qualité ; elle est, de plus, servie par des notes infra-paginales nombreuses, extrêmement claires et utiles, dues à Laurent Angliviel de la Beaumelle et Guy Sabbah, ce dernier étant l’auteur également d’une excellente introduction (pp. 8-58).
Au total, excepté quelques erreurs typographiques (Tryptique, p. 19 ; eut pour eût, p. 37, n.3 ; les élément, p. 49 ; chistianiserait, p. 55 ; disaient-il, p. 201 ; la meurtre, p. 200, n. 2 ; Grand Bains, p. 135, n.6, transmis pour transmises, p. 347, n.4 ; un ferrure, p. 387 ; leurs territoire, p. 402, n.1 ; tombant sur le coup de la loi pour sous le coup, p. 439, n.3), les éditions du Cerf -Sources chrétiennes- nous proposent là un ouvrage de bonne facture. Aussi bien le texte lui-même de Sozomène que sa traduction et sa présentation intéresseront, à juste titre, un large public, y compris le plus exigeant.
Christian Bouchet