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Ce volume réunit les actes du 3e colloque sur les « religions orientales dans le monde gréco-romain ». Il va de soi que les promoteurs de ce projet qui réunit principalement des savants français, allemands et italiens ont d’abord réfléchi dans le cadre des deux premières rencontres sur le concept de « religions orientales », popularisé par le célèbre ouvrage de Franz Cumont, dont la première édition date de 1906, et réactualisé par la grande collection des Études préliminaires aux Religions orientales dans l’Empire romain dirigée et publiée à Leyde par M.J. Vermaseren. Ils proposent (p. 12) de s’intéresser ici à une approche dynamique de ces cultes en prenant comme objet la transmission, l’acculturation, la conversion, la mutation de l’identité religieuse ; ou, avec une formulation un peu différente, religion et contact, interférence et interaction. Ce programme ambitieux donne lieu à une vingtaine de contributions, dont les sujets, les approches, les sources et la méthodologie sont très variés. Comme il se doit également dans ce genre d’entreprise, sont rapprochés ici des travaux de chercheurs confirmés et de savants en devenir.
L’ouvrage s’organise autour de trois thèmes : Parcours et diffusion ; « cultes orientaux », paganisme, judaïsme, christianisme ; religions en contact. Chacune des « journées » est précédée par une note de synthèse introductive qui met en situation les différentes interventions (J. Rüpke, N. Belayche – É. Rebillard, Chr. Auffarth – S. Ribichini).
Il est évidemment impossible de rendre compte de tout, chacun retiendra d’abord ce qui rencontre ses propres centres d’intérêt.
M.-Fr. Baslez traite du montanisme, que l’on désignait dans l’Antiquité sous le nom de « religion phrygienne » ; elle montre combien ce mouvement a un enracinement local, géographique certes, mais aussi dans une grande continuité par rapport au culte de la Grande Mère phrygienne et au rôle (redéfini par rapport aux clichés issus de la littérature romaine) de ses desservants (les galles). B. note des similitudes en ce qui concerne la possession divine, les « transports divins », la mortification, elle souligne le rôle tout particulier du prophétisme féminin.
C. Macris étudie les « hommes divins » autrement définis comme « charismatiques itinérants » (parmi les plus connus, Apollonios de Tyane, dont Philostrate donne une image très positive, Alexandre d’Abonouteichos brocardé par Lucien). Ces hommes se distinguent des sorciers dans la mesure où leur action se caractérise par les bienfaits qu’ils prodiguent à la communauté. M. fait entrer dans cette catégorie Eunous, Syrien originaire d’Apamée, chef de la première révolte servile en Sicile qui se disait possédé du dieu et en état de transe divine, du feu sortait de sa bouche (trucage selon Diodore…). Ce groupe doit intégrer le plus célèbre de ces « hommes divins », Jésus de Nazareth.
Chemin faisant divers « outils » d’analyse sont proposés. Le plus intéressant paraît être le concept de « market-place in religions » qui permet de concevoir comment la démarche de toutes les religions dans un Empire romain désormais unitaire les conduit à plus de traits similaires sans qu’on puisse systématiquement parler de syncrétisme ; pour autant, cette démarche n’exclut nullement une concurrence très vive pour prendre des « parts de marché ». La mise au point de tels référents nous montre que les spécialistes de l’Antiquité ne sont pas déconnectés de l’actualité mais aussi combien il faut être lucide par rapport aux phénomènes de mode qui sous-tendent nos disciplines…
Enfin en une sorte de conclusion dont le titre est « religio migrans », Chr. Auffarth replace les « religions orientales » dans le contexte global des religions antiques en mettant en scène des concepts généraux : exotisme et acculturation en donnant de l’épaisseur à son exposé par l’apport constant de l’historiographie et en particulier aux points de vue de Max Weber. Il montre les différents canaux par lesquels les religions « migrent » (individus, groupes constitués mais aussi institutions).
On est passionné à la lecture de textes parfois austères mais si pleins de sève. Les références constantes aux perspectives et aux projets témoignent d’une belle confiance dans l’avenir de l’entreprise et nous laissent donc espérer une suite à ce 3e colloque.

Pierre Debord