Le nouveau livre de Lidia Palumbo est tout à fait intéressant même si l’on constate que l’ensemble ne correspond pas exactement à son titre, il est en effet très peu question de la Poétique qui reste à l’horizon de l’ensemble du propos (voir notamment les pages 172-182 qui sont une analyse de la phantasia comme capacité poétique, dans le De Anima surtout) mais n’est traitée spécifiquement qu’au chapitre VIII, le dernier de l’ouvrage (« Sulla Poetica di Aristotele »). Il ne s’agit pas, en effet, de présenter le texte d’Aristote, mais de comprendre comment se prolonge en lui la réflexion sur la notion de mimesis qui est centrale dans la philosophie de son maître (p. 488-489, une rapide discussion d’un article de Ricoeur, personnage dont on s’étonne qu’il soit, de fait, si peu cité). On apprécie la méthode qui se fonde sur une analyse finement présentée du vocabulaire (outre le passage que nous venons de citer qui traite du rapport de la phantasia à la mimesis, voir pour certains « mots clefs de l’ontologie platonicienne », koinônia, parousia, methexis, metalambanein, p. 463-470). Pour ce qui est de la doctrine, l’essentiel tient en ce que toute pratique contemplative ou discursive est pour Platon représentation, chaque représentation mimétique, à chaque niveau de conscience ou de diffusion, renvoyant à une représentation de niveau supérieur, mimesis de mimesis (p. 279), le sophiste étant celui qui, par malhonnêteté, prétend pouvoir abolir cette distance et fait se confondre la réalité avec l’apparence (p. 280, on appréciera le prolongement vers le Politique et la reprise en une note d’une contribution au III Symposium platonicum sur la nature du tyran dont il n’est que le phantasme comme le sophiste l’est du philosophe). Ce qui paraît le plus intéressant sur le point de la nécessaire mise en évidence de ces décalages par un auteur est qu’il est bien compris comment et pourquoi Platon se sait et se veut poète dramatique (p. 209, il n’aurait pas été mauvais de lire sur ce point le beau livre de L. Mouze, Le législateur et le poète), les dialogues étant représentation de la démarche philosophique par une mise en scène auquel le lecteur est associé (p. 256), cela débouchant sur la scène cosmique du Timée qu’anime l’intellect (p. 334, « una mimesis operata da un poeta che ha lo sguardo rivolto a un modello eidetico »). La place nécessaire tenue dans cette discussion par la nature du langage imposait qu’il fût fait une place particulière au Cratyle (le chapitre V V) dont on pourra regretter qu’il soit présenté de façon quelque peu archaïque au plan de la théorie linguistique et qu’il ne fasse pas au dialektikos la place qu’il mérite dans un système nécessairement dialogique au-delà de ce qui est retenu du dialogue. En bref, ce livre est riche, si tout n’y est pas neuf, rien n’est à négliger des discussions qu’il mène dans le cadre d’une importante bibliographie.
Jean-Marie Bertrand