Paru en mars 2024, Combattre de loin chez les Romains. Réalités et représentations culturelles (Ier siècle a.C. – IIIe siècle p.C.), est une version remaniée de la thèse soutenue en 2019 par B. Lefebvre. Cet ouvrage vient combler une lacune historiographique puisqu’il s’agit de la première synthèse sur le combat de loin chez les Romains. Il comporte par ailleurs de nombreuses illustrations et tableaux, dont un tableau des unités d’archers de l’armée romaine sous le Haut-Empire (p. 265-273), une riche bibliographie très à jour (p. 275-324) ainsi qu’un index, y compris épigraphique, très utile à la fin du volume (p. 257-264). L’ouvrage, qui s’inscrit pleinement dans la « nouvelle histoire militaire », se décompose en deux parties chacune composée de trois chapitres. La première partie (p. 23 à 148) s’intitule « Combattre avec des projectiles à l’époque romaine : armement, évolutions tactiques et batailles », la deuxième, quant à elle, se nomme « Combat de loin et réflexions romaines sur l’art de la guerre » (p. 151-251).
Dans l’introduction (p. 9-19), l’auteur souligne d’abord que l’étude du combat de loin chez les Romains a souvent été délaissée car il a été longtemps admis que la puissance militaire romaine reposait avant tout sur le légionnaire armé d’un glaive. B. Lefebvre dresse ensuite un bilan historiographique bien mené qui lui permet de s’inscrire dans la lignée de chercheurs qui ont récemment défendu l’idée que les armes de jet jouèrent un rôle plus important qu’on ne l’a longtemps cru dans une guerre antique qui ne peut être réduite à l’étude de la seule bataille rangée. Il s’attache également à définir le terme de projectile, dont il choisit de retenir une acception large allant de la flèche à la tuile arrachée d’un toit, tout en écartant de son analyse les armes de siège, qu’il évoquera cependant ponctuellement, parce qu’elles impliquent d’autres questionnements. B. Lefebvre y justifie également le choix des bornes chronologiques de son étude, à cheval entre la République et l’Empire, par la nécessité d’analyser sur un temps long le renforcement de la place des projectiles dans la guerre romaine sans chercher à identifier une césure nette.
La première partie de l’étude s’ouvre sur un chapitre (p. 23-71) dans lequel l’auteur réalise une étude très précise des armes de jet utilisées par les troupes romaines en évoquant, entre autres, les matériaux dont elles étaient composées, les hypothèses concernant leur portée et leurs méthodes de fabrication. Il s’attache ensuite à étudier la place tenue par quelques unités spécialisées dans le maniement d’armes de jet (frondeurs baléares, archers crétois et archers orientaux) au sein de l’armée romaine, mais également le développement de leur figure dans la littérature antique. Dans le deuxième chapitre (p. 73-117), B. Lefebvre étudie la place des armes de jet dans les tactiques romaines, mais aussi chez leurs adversaires. Après avoir souligné que le nombre d’unités de tireurs au sein de l’armée romaine a connu une augmentation au cours de la période étudiée, l’auteur s’intéresse à la place que tient le maniement des armes de jet dans la définition et dans la représentation du commandant chez les Romains. Plus largement, il signale que le maniement des armes de jet faisait partie de l’instruction militaire des soldats romains, y compris des légionnaires, qui devaient régulièrement s’entraîner au maniement de plusieurs armes de jet. Cela amène B. Lefebvre à relativiser l’opposition tactique, longtemps défendue par certains chercheurs, entre des légionnaires armés pour le combat au corps-à-corps et des auxiliaires davantage dédiés au combat de loin. Pour finir, il souligne que les armées romaines ont, dès l’époque julio-claudienne, peu à peu diversifié leur armement, en particulier au sein des légions, ce qui leur a offert une plus grande flexibilité tactique leur permettant de s’adapter à leurs adversaires. L’auteur achève sa démonstration par l’étude de la place du combat de loin chez les principaux adversaires des Romains ce qui l’amène à nuancer de nombreux topoï transmis par les sources littéraires. Dans le troisième chapitre (p. 119-143), il se penche sur l’utilisation des projectiles dans trois formes particulières de combat : le combat urbain, la guerre de siège et la bataille rangée. Il propose une analyse poussée de la place du combat de loin lors de ces différents types d’affrontement en traitant à la fois des acteurs qui y étaient impliqués, des multiples projectiles qui pouvaient être utilisés et des différentes modalités d’usage des armes de jet dans ces combats. Parmi les multiples démonstrations menées dans ce chapitre, on peut, entre autres, retenir celle qui aborde la place des tireurs lors de la bataille rangée. Il signale ainsi que, contrairement à une opinion longtemps admise, les tireurs ne participaient pas seulement aux phases du combat qui précédaient l’engagement des fantassins ou aux actions d’escarmouche mais qu’ils demeuraient sans doute actifs une fois l’affrontement au corps-à-corps engagé.
La deuxième partie de l’ouvrage débute par un chapitre (p. 151-180) dans lequel B. Lefebvre se propose de (re)penser la bataille antique à l’aune du combat de loin. Il insiste, entre autres, sur les conséquences de l’utilisation de traits sur la durée des combats, sur la place du mouvement dans les affrontements et sur l’insécurité ressentie par les combattants. Il porte également son attention sur la « zone de combat » en rappelant que la nature du champ de bataille avait des conséquences sur la place tenue par le combat de loin et que les Romains n’hésitaient pas à y recourir lorsque le terrain s’y prêtait. Il aborde également les conséquences de l’usage de projectiles sur la cohésion des rangs et revient à cette occasion sur l’importance de l’équipement qui permet au soldat de se protéger des blessures causées par les projectiles dont il étudie ensuite la nature et la gravité. Plus largement, il souligne que le développement de l’usage de projectiles dans les combats a sans doute amené les Romains à s’interroger sur certaines de leurs valeurs et à redéfinir leur approche du courage à la guerre. B. Lefebvre poursuit sa réflexion dans un quatrième chapitre (p. 181-201) en portant cette fois-ci son attention sur la violence de guerre produite par l’usage d’armes de jet. Il souligne alors les particularités de la violence produite par le combat de loin et mène une réflexion stimulante sur les conséquences morales et psychologiques de la violence causée par l’usage de projectiles aussi bien pour celui qui l’exerce que pour celui qui la subit. Dans le dernier chapitre (p. 203-251), B. Lefebvre rappelle que l’étude des sources invite à nuancer l’idée que les Romains méprisaient le combat de loin. Certes, il relève l’influence d’une tradition hostile qui remonte aux époques grecques archaïque et classique. Il ajoute que le combat de loin fut souvent associé à des pratiques guerrières mal considérées par les Romains, car ne relevant pas du iustum proelium, et régulièrement présentées par les sources comme caractéristiques de leurs adversaires barbares, alors que le combat au corps-à-corps aurait constitué, dans la représentation que les Romains se faisaient d’eux-mêmes, l’un des fondements de la culture militaire romaine. Cependant, il signale que ce discours a coexisté avec un autre, plus mélioratif. Ainsi, le tireur, tout en demeurant une figure associée à l’étranger, devint de plus en plus familier aux Romains sous le Haut-Empire et gagna en légitimité par la reconnaissance de son savoir-faire militaire.
Ainsi, l’ouvrage de B. Lefebvre constitue une synthèse stimulante et de qualité qui embrasse de larges aspects d’un sujet complexe grâce à la mobilisation de tous les types de sources et des apports, entre autres, de l’anthropologie. Cette étude rendra sans nul doute de grands services aux chercheurs.
Charles-Alban Horvais, Université de Rouen Normandie , UR 3831 – GRHis
Publié dans le fascicule 2 tome 126, 2024, p. 642-644.