< Retour

Le présent ouvrage est la version remaniée de sa thèse, effectuée sous la direction de M. Provost et soutenue en 2003. L’ouvrage est très bien mis en page et d’une lecture aisée. Les sources, littéraires ou épigraphiques, sont citées en latin, traduites et clairement mises en évidence. Il comporte une liste des sources et une bibliographie abondante, suivies d’un index locorum, d’un index nominum et de deux tables pratiques : celle des inscriptions et des citations commentées et celle des illustrations qui correspondent au corpus des 170 documents qui fondent la recherche. Entre la soutenance et cette publication, l’auteur a participé à nombre de colloques et tables rondes, en a organisé aussi et il a, aussi bien dans cet intervalle qu’avant la soutenance, rédigé des communications et des articles de détail qui ont largement contribué à amender sa réflexion d’ensemble et affiner ses conclusions. L’inconvénient, pour un lecteur régulier, est d’avoir ponctuellement l’impression de déjà lu ou entendu. Mais ce n’est qu’un inconvénient mineur. L’intérêt du livre est de nous livrer une synthèse claire sur l’exercice du pouvoir local en Gaule romaine à partir des sources des Gaules confrontées à la lecture des sources romaines et de fonder l’évidence du métissage résultant de la rencontre des réalités politiques gauloises et romaines qui englobent les institutions, la religion, la société.
Après une courte introduction (p. 11‑14) qui situe la recherche dans les courants historiographiques, l’ouvrage est divisé en trois parties qui consistent d’abord en l’examen des expressions du pouvoir suprême local (parties 1 et 2) puis en celui des moyens d’exercice du pouvoir par la puissance publique et notamment de ses moyens de coercition (partie 3). Dans la première partie sont examinées les formules du cursus honorum et les différentes magistratures connues, les curateurs des cités, les administrateurs des Gaules et les juges des cinq décuries en termes généraux. Dans la deuxième, les principes, les vergobrets, préteurs et magistri, l’usage de l’image du torque et de la royauté à l’époque de la domination romaine et pour finir la questure comme moyen de retrouver les arcantodans. Dans la troisième partie, l’auteur essaie d’évaluer l’étendue de la potestas des magistrats municipaux dans les cités des Gaules et la question du maintien de l’ordre. Cette partie se différencie des deux autres par la présence de plus de textes littéraires parmi les sources convoquées, ce qui présente une difficulté supplémentaire : ils nous renseignent plus souvent sur des faits extraordinaires que les sources épigraphiques. Néanmoins, ils soutiennent la démonstration en complétant l’épigraphie. Le dossier du maintien de l’ordre est en effet typique de l’Empire, c’est‑à-dire d’un monde provincial où fonctionnent pleinement des pratiques locales dans un cadre général romain. Il n’est donc pas illogique de consacrer une partie spécifique à ce thème qui permet d’examiner l’exercice des pouvoirs exprimés par les mots et les images. Les signes du pouvoir – lances notamment, mais aussi glaives -, plus ou moins discrètement représentés sur les monuments (p. 257-285 et p. 341-342), montrent comment les modèles romano-italiens ont pu pénétrer dans le monde gaulois. Mais on bute toujours, dans la confrontation avec l’Italie et la comparaison avec les sources littéraires, sur les mêmes difficultés : la différence de types d’informations selon que les monuments appartiennent à la Narbonnaise ou aux Trois Gaules ; l’impossibilité de savoir comment exactement étaient assurés concrètement la sécurité et le maintien de l’ordre dans les cités. On ne dispose jamais que d’exemples d’événements ponctuels, d’indices iconographiques locaux, dispersés chronologiquement et géographiquement. On peut considérer ce livre comme un essai d’histoire régressive et comparative. Il est une leçon de méthode prudente d’autant plus utile que les sources sont relativement rares, parfois postérieures aux faits et qu’il fallait essayer de décrypter, dans la survivance de noms antérieurs à la domination romaine (vergobret, arcantodans), des éléments d’une organisation sociale ou politique mal ou méconnue quand elle n’est pas déformée par le prisme romain. Pour dépasser cette difficulté et cet inconvénient, l’auteur est allé chercher en Italie, dans des textes ou des événements contemporains, des éléments de comparaison. C’est notamment le cas, au début, dans l’importante partie sur les principes où des documents difficiles d’interprétation – voir le dossier des princes cisalpins, d’Albanus, fils de Bussullus (CIL, XII, 80) – sont analysés avec efficacité. La distinction entre princeps, signe d’aristocratie, et princeps, indice d’un magistrat suprême, est bienvenue. Il fallait aussi parfois aller chercher bien avant la conquête romaine des Gaules. Le dossier du torque avec l’interprétation du surnom Torquatus, p. 149 et suivantes, est de ce point de vue un passage intéressant qui montre combien l’historien du politique ne peut réussir à démêler l’écheveau des influences et des survivances qu’en élargissant son horizon géographique et documentaire. Le pouvoir local en Gaule romaine n’est pas seulement une question politique romaine. C’est au prix d’une méthode rigoureuse qu’est éclairée la question de la succession de certaines magistratures (préture, édilité) et du substrat gaulois possible (voir le problème chez les Voconces, p. 130‑133). Néanmoins on peut regretter que dans quelques cas L. Lamoine ne se soit pas affranchi du parti qui consiste à citer la traduction à la suite immédiate du texte. La rigueur n’en eût pas souffert. Dans plusieurs cas, notamment les passages de la Guerre des Gaules, quand des expressions sont minutieusement étudiées, par exemple p. 74‑77, il n’était pas nécessaire de citer dans le corps de la démonstration la traduction de L. A. Constans puisque, au terme d’une analyse fouillée et argumentée, une meilleure ou plus pertinente traduction est proposée. Enfin, deux points me semblent devoir être précisés. Argiotalus, fils de Smertulitanus (CIL, XIII, 6230,Worms/Borbetomagus) est un pérégrin d’origine namnète et non un Vangion porteur des duo nomina comme le laisse supposer la présentation qui en est faite page 102. Il faut désormais se reporter à l’article de J. Santrot, A. Morin et M. Grünewald, RAO, 25, 2008, p. 187-208. S’agissant de Q. Acceptius Firminus et Satria Firmina, morts autour d’un an, il faut nettement dire qu’ils ont été élevés par Q. Acceptius Firminus et Satria Venusta qui avaient perdu leur fils de 11 ans, décurion de la colonie (p. 334). Ils les ont élevés en tant que parents nourriciers (nutriti mentionne l’inscription). Cela évite la distinction obscure faite entre « leur fils de 11 ans » et « leurs enfants » et conforte pleinement la conclusion de l’auteur : ce texte, comme celui de Saint-Cézaire-sur‑Siagne (ILN, II, Antibes, 94) témoigne du souci de la représentation sociale.
Le sujet était difficile ; on aurait pu craindre qu’il fût impossible tant une évidence s’impose à tout historien qui travaille sur les Gaules de la période romaine : l’extrême rareté des sources textuelles émanant des indigènes. Définir les origines de l’organisation du pouvoir local, ses formes d’expression et ses ressorts, c’est ici travailler sur des traces rares dont l’origine première est presque indiscernable tant il y a eu de va et vient entre les Gaules et Rome, de réactions réciproques et de transformations au contact les uns des autres. Ainsi, la notion de princeps a certainement évolué entre l’époque des premiers contacts avec Rome, au IIe s. av. J.‑C. et l’époque augustéenne. C’était une gageure. Même si finalement tout n’est pas éclairé faute de documents, l’auteur y réussit plutôt bien : dans l’évolution des magistratures, du vergobrétat, en tant que pouvoir suprême auquel ont pu accéder des principes, que César appelle summus magistratus, aux magistri helvètes en passant par la questure locale comme moyen de retrouver les Arcantodans, il évalue la part possible du substrat gaulois et la permanence de besoins de gestion administrative et financière des communautés.

Nicolas Mathieu