Édité par trois chercheurs du centre Camille Jullian, Souen Fontaine, Stéphanie Sartre et Amel Tekki, cet ouvrage est la publication du colloque international consacré à « La ville au quotidien, regards croisés sur l’habitat et l’artisanat antiques (Afrique du Nord, Gaule et Italie) », qui a eu lieu les 23 et 24 novembre 2007 à Aix-en-Provence. Outre d’une part une introduction et d’autre part un dernier texte rédigé par Jean-Paul Morel, auteur d’un article de référence sur la topographie de l’artisanat dans la Rome antique faisant office de conclusion, il compte trois parties et regroupe 18 contributions, chacune accompagnée d’un abstract, d’une bibliographie succincte et d’un corpus documentaire {{1}}.
L’objectif de ce colloque, rappelé dans l’introduction, était de proposer un « cadre de réflexion sur les liens entretenus par l’habitat et l’artisanat dans le centre et la périphérie des villes durant l’Antiquité », plus particulièrement en Afrique du Nord, en Gaule et en Italie. Si ce cadre géographique a, bien entendu, considérablement limité scientifiquement les interventions à la civilisation italique, de la période préromaine à la fin de la période romaine, il semble que restreindre l’étude de l’artisanat urbain à ces trois seuls territoires de la Méditerranée occidentale constitue un choix fort judicieux tant la masse documentaire sur ce thème traitée par les différentes interventions est hétérogène et éparse. Il faut rappeler en effet que ces difficultés documentaires sont inhérentes au thème de l’artisanat antique en général et plus particulièrement dans les provinces de l’Occident romain où les témoignages archéologiques constituent quasiment l’unique source sur cette thématique tant les sources littéraires restent lacunaires.
Plus précisément, cet ouvrage aborde les problématiques liées à la topographie des activités artisanales dans le tissu urbain antique. Cet axe de recherche s’est considérablement développé ces dernières années grâce à la recrudescence des chantiers archéologiques en milieu urbain que ce soit par exemple à Narbonne avec la mise au jour de zones portuaires antiques ou encore à Bordeaux lors de la mise en place des lignes du tramway sur les sites, entre autres, de Chapeau Rouge, du Grand Hôtel et de la Place Pey Berland. Ces investigations ont permis aux chercheurs de compléter les plans des villes antiques déjà connus pour la majorité mais dont subsistaient de nombreuses lacunes. Ces nouvelles investigations ont également amené les archéologues à réinterpréter certaines structures à la lumière des nouveaux éléments mis au jour. En effet, les résultats matériels fournis par les fouilles préventives ont permis de revenir sur des « certitudes » sur la topographie des activités artisanales urbaines issues de l’historiographie du XIXe et du XXe siècles telles que par exemple la relégation des activités artisanales à la périphérie ou dans les quartiers suburbains de la ville antique ou encore, d’un point de vue plus épistémologique, l’exclusion des activités liées à « l’artisanat alimentaire » de la définition traditionnelle de l’« artisanat antique ».
En examinant l’historiographie récente, nous pouvons noter que l’approche topographique est de plus en plus présente dans les publications actuelles. Parmi les dernières parutions, citons l’ouvrage de Nicolas Monteix sur les lieux de métier d’Herculanum {{2}}, dans lequel la prise en compte de la topographie de cette cité vésuvienne permet de mener une étude beaucoup plus complète des ateliers et boutiques, et plus particulièrement des interactions de ces unités artisano-commerciales avec l’habitat dont elles dépendent souvent d’un point de vue architectural. Cependant il faut souligner que l’Italie constitue encore trop souvent l’un des seuls territoires de l’Empire romain où des études synthétiques sur la topographie de l’artisanat urbain ont été réalisées, les autres études se limitant à une échelle locale sans véritable volonté de comparaison avec d’autres sites environnants voire des régions avoisinantes.
Un état de la question et une confrontation de l’ensemble des résultats des dernières investigations étaient par conséquent nécessaires afin de proposer un bilan intermédiaire de l’artisanat urbain antique, la documentation archéologique actuelle sur l’artisanat se résumant malheureusement trop souvent à des études locales ou régionales ou à des ouvrages dédiés à un seul ars en particulier : métallurgie, poterie ou encore tissage {{3}} . Il convenait de faire le point sur les liens entretenus entre la ville antique, au sens large du terme c’est-à-dire le noyau urbain mais également le suburbium, et l’artisanat c’est-à-dire les unités artisano-commerciales mais également les artisans. Aborder ce thème dans le cadre de la cité antique a par conséquent amené les chercheurs à se poser de nombreuses questions concernant l’insertion des ateliers dans le tissu urbain et leurs relations avec les autres unités architecturales de la ville antique. Ainsi les interventions de ce colloque ont démontré que majoritairement l’étude des indices topographiques découverts sur les sites étudiés permettait de trouver des éléments de réponse.
Les différents intervenants se sont interrogés sur la répartition spatiale des activités artisanales et leur insertion dans le tissu urbain des villes occidentales romaines. Ces 18 contributions ont été réparties autour de trois axes thématiques ou, plus précisément, de trois échelles d’analyse : « Habitat et artisanat entre ville et périphérie », « Habitat et artisanat à l’échelle de la ville » et « Habitat et artisanat dans l’unité architecturale ». Il serait trop long de rendre compte de chacune des communications, même si leur apport scientifique respectif pour l’étude de l’artisanat urbain antique est indéniable. Nous proposerons ici une présentation des trois sections.
La première partie correspond à une approche macro-économique de l’artisanat urbain. Les activités artisanales sont abordées à l’échelle de la cité antique et de ses quartiers suburbains, que ce soit à Carthage à l’époque punique lors de l’intervention d’Amel Tekki ou encore dans le quartier Galbert de Boutae (Frank Gabayet et Sébastien Gaime), mais également à l’échelle d’un ensemble de villes voire d’une province : celle de l’Aquitaine romaine (Isabelle Bertrand) et celle de Carthage et Timgad (Julio Cesar Magalhães de Oliveira). Les chercheurs se sont interrogés sur les choix des implantations de structures artisanales dans ou hors la ville, à proximité immédiate ou à l’écart des secteurs d’habitat mais également sur les phénomènes de déplacement des ateliers des zones urbaines vers les zones suburbaines. Ces changements modifient considérablement le noyau de la ville puisque dans de nombreux cas, ces zones artisanales intra-urbaines sont remplacées par des quartiers résidentiels. Notons qu’aucune des communications ne traite de l’Italie romaine.
Dans la deuxième partie de cet ouvrage, les interventions portent sur la répartition de l’habitat et de l’artisanat dans la trame urbaine. Il s’agit de comprendre comment s’articulent les secteurs résidentiels et les secteurs artisanaux dans un même espace, celui de la ville, mais également de discuter de la pertinence de la notion de quartiers spécifiques ou spécialisés. Plus concrètement, Mounir Fantar et Nicolas Monteix s’interrogent sur les facteurs d’implantation des ateliers en milieu urbain, l’un à Kerkouane, l’autre à Herculanum. Contrairement à la première intervention qui montre que seules les activités artisanales « polluantes » sont reléguées à la périphérie de la ville, la communication d’Adrien Malignas, de Stéphanie Raux, de Grégory Vacassy et de Ghislain Vincent sur le site du Castellas tend à montrer que la mise à l’écart de ce type d’artisanat n’est pas toujours la règle dans les villes romaines puisque des ateliers de potiers ont été retrouvés dans la « Ville Haute ». À une échelle plus réduite, celle des îlots qui composent le site de Saint-Florent à Orange, Jean-Marc Mignon et Philippe Prévot se sont interrogés sur la manière dont s’articulaient les espaces domestiques avec les espaces de production mais également de vente. Cette dernière intervention soulève le problème de la polyfonctionnalité d’un espace au cœur de la ville et de la difficulté souvent fréquente de différencier les activités domestiques des activités artisanales. Au sein de cet ensemble cohérent de communications sur les interactions entre l’habitat et les ateliers de production en milieu urbain, une intervention, pertinente sur le plan scientifique, se distingue de l’ensemble des autres textes présents dans ces actes de colloque par le sujet qu’elle aborde. Loin des problématiques d’insertion des activités artisanales dans la ville, Ludivine Pechoux propose une étude plus sociale qu’archéologique des lieux de culte des artisans, grâce à la documentation épigraphique et à la prise en compte de leur emplacement dans la ville gallo-romaine.
Enfin les communications de la dernière partie proposent d’analyser les activités artisanales à l’échelle de l’atelier urbain et de son environnement proche c’est-à-dire de sa parcelle d’implantation que ce soit au niveau des maisons antiques ou à une échelle encore plus petite au niveau de l’organisation interne de l’espace de l’atelier. Hélène Dessales et Samir Guizani montrent comment s’organisent les ateliers urbains avec les domus implantées sur la même parcelle, la première en abordant le problème d’alimentation en eau de ces ateliers urbains à travers l’exemple des sites vésuviens et en mettant en lumière une gestion partagée de l’eau sur ce type de parcelle, le second grâce à l’observation de l’évolution du bâti sur ces parcelles en Tunisie où, ici comme ailleurs dans le reste de l’Empire romain, les ateliers urbains s’installent avec le temps dans des parcelles dédiées initialement uniquement à l’habitat mais où l’auteur a également observé le phénomène inverse. Cet empiètement de l’habitat sur les lieux de commerce et d’artisanat à l’intérieur d’une parcelle est également souligné dans la communication d’Anka Lemaire et de Renaud Robert sur le site de Paestum. Si ces activités artisanales ont laissé la place à l’habitat à l’intérieur de la ville, Masanori Aoyagi, Tomoo Mukai et Cohe Sugiyama nous rappellent à travers l’exemple de Somma Vesuviana que durant l’Antiquité tardive, nous observons souvent une réutilisation des édifices religieux pour abriter des activités artisanales. Les cinq dernières contributions de cette partie montrent l’évolution des quartiers où sont implantés les ateliers urbains. Cette problématique est abordée par le spectre de l’ars, dans le cas des boulangeries de Volubilis dans la communication de Mathieu Leduc, dans celui d’un atelier spécialisé de métallurgie à Bordeaux dans l’intervention de Christophe Sireix, de Frédéric Adamski et de Michel Pernot ou encore dans celui d’un atelier de potier découvert récemment à Aix-en-Provence dans l’article d’Audrey Copetti et de Céline Huguet, mais également d’un point de vue plus général, celui du quartier dit « artisanal » dans les contributions d’une part d’Hakim Ammar et Meriem Hansali pour Sala et d’autre part de Touatia Amraoui pour Timgad.
En dépit du souci notable dont ont fait preuve les éditrices scientifiques tout au long de cet ouvrage pour organiser ces nombreuses interventions, on regrettera qu’aucune synthèse thématique n’ait été proposée en conclusion de chaque partie. Il faut cependant souligner la qualité de l’article conclusif du volume de Jean-Paul Morel qui dégage les nombreuses problématiques soulevées par les différentes interventions. Il donne surtout d’autres éléments de comparaison pour essayer de synthétiser l’ensemble des informations livrées par les différents intervenants.
De plus si, d’un point de vue méthodologique, cette approche pluridisciplinaire a essayé de « remettre en contexte » l’artisanat urbain antique et par conséquent a permis aux chercheurs de se confronter à une documentation souvent éparse et hétérogène, cette démarche permettant de prendre de la distance avec les concepts d’artisanat et de ville durant l’Antiquité, il est dommageable que dans l’introduction d’un tel colloque sur l’artisanat urbain, aucun des auteurs n’ait essayé de définir, même très brièvement, ces deux notions, ne serait-ce que pour montrer la complexité de ces sujets. Il paraît en effet difficile dans le cadre d’un colloque avec autant d’intervenants, 30 au total, d’envisager de pouvoir donner sous la forme d’une conclusion synthétique des éléments de réponse aux nombreuses problématiques qui ont pu être soulevées grâce à la mise en interaction de ces deux concepts à travers ce « regard croisé », sans les avoir préalablement définis dans une présentation introductive. Cette démarche ne doit évidemment pas viser à figer une définition mais à proposer une base de travail aux discussions qui suivront les interventions, comme cela avait pu être fait il y a quelques années lors d’un colloque sur l’artisanat grec {{4}}.
Ces actes synthétisent néanmoins parfaitement les questionnements des chercheurs sur un axe de recherche en constante évolution depuis une vingtaine d’années : l’artisanat urbain antique. Notons qu’un second colloque organisé à Autun quelques mois auparavant avait d’ailleurs déjà essayé de dresser un bilan de ce thème sur les provinces gauloises {{5}. Si ces deux colloques se sont différenciés par leur approche, celui d’Autun présentant des interventions beaucoup plus technicistes que celui d’Aix-en-Provence où les thématiques des communications abordent l’artisanat urbain au sens large du terme c’est-à-dire d’un point de vue matériel mais également historique et sociale en s’appuyant sur les témoignages archéologiques, ils constituent à ce jour deux volets d’une même thématique de recherche qui ne saurait avancer sans le recours nécessaire à des bilans intermédiaires de ce type.
Aurore Saint-André
[[1]]1. J.-P. morel, « La topographie de l’artisanat du commerce dans la Rome antique » dans l’Urbs, espace urbain et histoire, Rome 1987.[[1]]
[[2]]2. N. monteix, Les lieux de métier. Boutiques et ateliers d’Herculanum, Rome 2011[[2]]
[[3]]3. Les 32 catégories répertoriées dans la bibliographie du groupe de travail Instrumentum sur l’Artisanat romain entre 1994-2001 peuvent en témoigner. [[3]]
[[4]]4. Fr. Blondé, A. muller éd., L’artisanat en Grèce ancienne. Les productions, les diffusions, Actes du Colloque de Lyon (10-11 décembre 1998) organisé par l’École française d’Athènes, la Maison de l’Orient méditerranéen Jean Pouilloux et l’Université Charles-de Gaulle — Lille., Villeneuve-d’Ascq 1998. 5. cHardron-Picault P. dir, Aspects de l’artisanat en milieu urbain : Gaule et Occident romain, Actes du colloque international d’Autun, 20-22 sept. 2007, Dijon 2010.[[4]]