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Hommage à Jean-Louis Ferrary (1948-2020), le volume rassemble trente-deux contributions, pour la plupart en français, mais aussi en italien, allemand, anglais et latin. Organisé en quatre grande sections de tailles inégales (droit et pouvoir à Rome, l’Orient et le monde des cités, imperium romanum, sources latines), il couvre les grands domaines scientifiques qui furent pratiqués par Jean-Louis Ferrary, mais de manière inégale. Les rapports entre monde grec et monde romain sont naturellement au cœur de l’ouvrage ainsi évidemment que le droit romain. En revanche l’intérêt de Jean-Louis Ferrary pour l’historiographie et la survie du monde romain dans l’érudition humaniste n’est véritablement représenté que par l’article de Michaël Crawford au sujet de Cola di Rienzo et la lex de imperio Vespasiani. De fait, il était difficile, même pour un volume déjà fort épais, de couvrir de manière équilibrée les différents champs dans lesquels Jean-louis Ferrary s’était illustré. De même, si certaines contributions se complètent ou se répondent, si certaines thématiques sont récurrentes – on pense notamment à la forte présence de Cicéron dans le volume – l’ouvrage est nécessairement disparate, c’est une règle du genre et la conséquence de la fécondité et de l’ampleur des travaux du savant honoré. Découle aussi de la nature de l’ouvrage, une grande diversité dans le genre des contributions qui vont d’études très précises (publication d’une inscription, éclaircissement d’une question ponctuelle, étude de cas) à des réflexions plus tournée vers la synthèse. Des indices des noms de personnes, des noms géographiques et des matières facilitent la consultation du volume et rendront sans doute de grands services. Il faut souligner toutefois que cette grande variété des nombreuses composantes du volume n’entame jamais la qualité scientifique irréprochable de l’ensemble et l’intérêt individuel des différents articles. De même, mais l’observation est plus subjective, les auteurs se sont efforcés au mieux de jouer le jeu des mélanges : même les études les plus pointues s’attachent en général à retrouver les perspectives plus générales ouvertes par le travail de Jean-Louis Ferrary, et les études plus synthétiques démontrent une attention aux sources, caractéristique de sa méthode. Les contributeurs se sont donc attaché à illustrer la méthode pratiquée par Jean-Louis Ferrary, ainsi, par exemple, Philippe Moreau (sur la litis aestimatio dans la loi Cornelia), Michel Humbert (sur la magie criminelle et particulièrement le terme occentare) et Alberto dalla Rosa (sur Cassius Dion et la politique augustéenne du consensus) font écho à ses travaux sur la fabrication de la loi. Cette riche variété associée à la qualité font que le volume intéressera nombre de chercheurs, le risque étant cependant que certaines de ces études ne trouvent pas leur voie vers leurs lecteurs, nous donnons donc ici une brève analyse des diverses contributions. Après un avant-propos et une évocation de la personne et du parcours de Jean-Louis Ferrary par Pierre Ducrey, c’est – assez logiquement du point de vue romain – au Capitole que s’ouvre le volume ; John Scheid examine en effet la triade capitoline et ses interprétations, illuminant ainsi certains aspects du polythéisme mais aussi ce qui nous semble des hésitations au sein des pratiques antiques. Plusieurs autres contributions concernent le domaine religieux. Nicole Belayche analyse les consultations oraculaires dans le cas des stèles dites de confession en Lydie et Phrygie. Les stratégies narratives des textes sont mises en évidence ainsi que le rôle des prêtres dans les villages. S’il était logique que Claros et ses oracles (p. 380-384) soient présents, nous le verrons, les honneurs divins rendus aux empereurs ne sont pas non plus absents, grâce à la contribution de Christopher Jones qui cherche à cerner au mieux les décisions prises par Auguste dans l’hiver de 30 à 29 en réponse aux demandes de l’Asie et des Bithyniens. Naturellement nombre de contributions concernent des questions ayant trait au droit, et beaucoup interrogent son articulation à la politique. Ainsi Aldo Schiavone le fait à propos de la notion d’égalité, explorant les réflexions antiques à son sujet. De son côté, c’est avec la figure du romain nomothète que Jean-Michel David le fait, s’intéressant à l’activité de constituant des législateurs romains, notamment les fondateurs de cités et de colonies, mais aussi sur la place de la figure du nomothète, en particulier avec Sylla, à la fin de la République. L’héritage de Sylla marque aussi la contribution de Yann Rivière, consacrée à la dictature et montrant comment l’épisode syllanien a déformé l’histoire des origines de cette fonction, à laquelle il faut restituer ses ruptures pour l’affranchir des lectures rétrospectives projetant sur ses origines « une vocation répressive qu’elle n’a jamais eu ». Dario Mantovani s’intéresse aux préfaces des ouvrages des juristes à travers les exemples de Paul et de Maecianus (sur ce dernier et sa carrière on pourra renvoyer en outre aux travaux de Michel Christol), et pointe la très faible conservation de ces textes en même temps que leur importance. Le monde de la partie hellénophone de l’empire romain occupe logiquement lui-aussi une vaste partie du volume – au moins la moitié – avec des textes variés. Les Grecs ne sont pas le seuls concernés. Maurice Sartre dresse une synthèse des lieux de pouvoir hérodien en Syrie du sud, examinant du point de vue de la géographie historique l’investissement des Hérodiens dans les terres qui leur avaient été confiées par Rome. S’appuyant sur le travail du futur volume XVI des IGLS, l’article signale plusieurs inédits et offre des mises au point bienvenues (comme l’utile tableau p. 210). Le pays fut quadrillé administrativement mais la trace de la présence hérodienne se lit aussi dans l’onomastique. La contribution de Glen Bowersock porte le lecteur plus au sud en examinant le cas des Nabatéens sous Auguste. Prenant en compte l’inscription de Ṣirwāḥ, il reconsidère le récit de l’expédition d’Aelius Gallus et avance l’hypothèse d’une brève annexion pour expliquer une lacune dans le monnayage d’Aretas IV entre 3 et 1 av. n.è. Le cœur du monde grec fait l’objet de nombreux travaux. Gabrielle Frija scrute la notion d’aristocratie provinciale à travers le cas du koinon d’Asie, les biais de la documentation sont mis en évidence : les cités répugnaient à mettre en avant les honneurs provinciaux, la domination sociale des notables semblait d’autant plus légitime qu’elle était identifiée, par le discours politique, et par son reflet dans l’épigraphie, à l’intérêt de la cité. Les autorités romaines n’en avaient pas moins donné un nouveau cadre à la compétition des élites locales. Malgré ces proclamations d’intérêts communs et malgré les éloges épigraphiques et leur vocabulaire, bien visible dans l’article d’Anna Heller et Arnaud Suspène, la gestion des cités par les notables avait des aspects plus sordides. Anne-Valérie Pont les donne à voir à travers les cas de malversations dans les finances civiques. Si la présence romaine eut des effets, le bilan en est nuancé : les débordements excessifs étaient réprimés, mais le contrôle quotidien semble s’être allégé. À partir du IIe s. p. C., la possibilité d’un contrôle romain sur les finances des cités fut incarnée par la figure du curateur, son intervention pouvait être grandement appréciée de la cité comme il ressort de l’inscription de Thasos publiée par Julien Fournier et faisant connaître Publius Sentius Secundus Sabinus, personnage qu’il faut aussi ajouter à la liste des rhéteurs connus par l’épigraphie. La présence de Rome se manifestait aussi par celle de ses citoyens. À une date assez haute, le texte republié, cum grano salis, par Denis Rousset témoigne de nos difficultés à comprendre certaines situations : comment le locridien Damotimos pouvait-il être « Romain » ? Faut-il penser, en raison de l’absence de patronyme, que son statut avait été à l’origine servile et qu’il aurait obtenu une manumission à Rome ? L’attrait de la citoyenneté romaine est bien illustré par l’article de Ségolène Demougin qui envisage le problème pour les femmes du monde hellénophone, tant au niveau individuel qu’à celui des groupes familiaux et s’attarde sur le cas, très documenté grâce aux papyri, de Claudia Isidora.  C’est aussi une histoire de famille, celle des Domitii Sallentini à Byllis, qui constitue l’essentiel de la contribution de Rudolf Haensch qui améliore la lecture de deux inscriptions et replace cette famille dans son contexte civique. L’auteur revient ensuite sur l’inscription de Memmius Iulius Maioriarius (AE 2014, 1031) rectifiant certaines interprétations, en particulier à propos du nom Dynamis. Deux dossiers reçoivent un éclairage assez fouillé. Il faut en effet souligner la complémentarité des contributions de Christel Müller et d’Élizabeth Deniaux, à propos d’Oropos et du sanctuaire d’Amphiaraos, ainsi que de Michel Amandry et d’Antony Hostein et Jérôme Mairat, à propos des monnayages de Colophon. Ces derniers éclairent par la monnaie le contexte du sanctuaire de Claros auquel Jean-Louis Ferrary avait consacré une publication monumentale et modèle. C’est le dynamisme de Colophon au IIIe s. qui se manifeste, et dont il faut désormais tenir compte pour interpréter les documents concernant les oracles de Claros. Ces deux dernières contribution, comme celle d’Anna Heller et Arnaud Suspène, rappellent aussi l’intérêt du dédicataire du volume pour la numismatique. La contribution de Michel Christol fait écho à l’important article que Jean-Louis Ferrary avait consacré à la création des provinces. À partir d’une analyse serrée du texte de Tacite, de la documentation épigraphique et prosopographique, le raisonnement montre que la province de Corbulon en Anatolie devait au départ associer la Cappadoce à la Cilicie. Plusieurs contributions concernent des sources plus éloignées du monde grec, mais faisant écho, par l’attention à l’épigraphie et aux institutions, à d’autres travaux de Jean-Louis Ferrary. François Bérard présente les monuments des sénateurs à Lyon avec un intérêt remarquable pour les supports et les types de monument, dressant, malgré les grandes lacunes de la documentation, un bilan très suggestifs des commémorations dans la cité mais aussi au sanctuaire fédéral (signalons une petite inattention : p. 460, ligne 2 il faut lire M. Tritius Florens). Werner Eck examine la titulature des empereurs, et en particulier le terme de proconsul, dans les diplômes militaires, il en déduit les conséquences pour la chronologie des voyages impériaux.  L’étude n’est pas totalement coupée du monde grec puisqu’il apparaît qu’un empereur ne portait pas le titre de proconsul quand il était à Athènes. Domitilla Campanile revient pour sa part sur une période qui fut au cœur de Philhellénisme et impérialisme (1988), en examinant de près le serment d’Hannibal tel que reporté par Polybe et Tite Live, pointant une contradiction de ce dernier et soulignant les incertitudes de nos interprétations. Si la figure d’Auguste a plusieurs fois retenu l’attention des honorants, celle de Cicéron est, on l’a dit, plus prégnante encore dans le volume. Ainsi, Denis Knœpfler revient, à partir du réquisitoire de Calenus composé par Cassius Dion, sur les lieux où Cicéron se réfugia, le discours ne fait pas allusion à l’Eubée ni aux circonstances de 58, mais plutôt aux épisodes plus récents de la guerre civile dont le séjour à Brindes en 48. C’est à partir des Verrines que Philippe Moreau examine la question de la litis aestimatio. Pour sa part, Carlos Lévy interroge les silences de Cicéron à propos de ses sources philosophiques. À partir du cas du scepticisme et de la figure de Philon de Larissa, il montre avec prudence et précision l’existence de facteurs multiples. C’est la figure d’un autre orateur, Fronton, qui termine le volume avec l’analyse par Pascal Fleury d’un passage où le cirtéen considérait l’éloquence des empereurs, extrait où se dévoile l’originalité de Fronton. Saisissons l’occasion d’une digression. La note 4 p. 579 signale qu’ « une bonne partie des données utilisées dans cette démonstration ont été recueillies » par Valérie Pageau. Il est difficile au lecteur de juger ce qu’est « une bonne partie », et les données ne sont pas, évidemment, l’analyse, ni l’interprétation ; sans donc du tout vouloir remettre en question la signature de la contribution, il y a là l’occasion de s’interroger sur les critères de co-signature dans nos champs disciplinaires (après tout un volume d’hommage c’est aussi la collectivité scientifique qui s’autoreprésente à elle-même autour d’une de ses figures exemplaires). Les pratiques scientifiques ont évoluées, y compris dans le domaine si longtemps solitaire de la philologie, la construction et l’utilisation de banques de données a remplacé l’ancien « fichier ». Dans d’autres champs disciplinaires, la collecte d’une partie des données peut valoir inclusion dans la signature. La question de nos pratiques académique nous semble aujourd’hui posée : les pratiques de la co-signature et des articles à auteurs multiples semblent appeler à croitre aussi dans nos disciplines. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage témoigne bien de leurs évolutions, non seulement à travers l’usage de banques de données (p. 510), mais aussi par l’association de regards disciplinaires complémentaires comme lorsque Anna Heller et Arnaud Suspène confrontent les documentations épigraphiques et numismatiques pour éclairer le sens du terme hagnos sur les monnaies de Temnos en l’honneur de C. Asinius Gallus, regards croisés qui révèlent à la fois les rencontres mais aussi l’hétérogénéité des deux catégories documentaires. Signalons enfin que le volume publié est d’une très grande qualité formelle (nous n’avons relevé que trois coquilles p. 348 et p. 353, n. 13 et p. 546). Le volume avait été présenté par ses éditeurs en novembre 2019 au laboratoire Anhima, en présence de Jean-Louis Ferrary, juste hommage à ce dernier, il témoigne de la fécondité de ses méthodes et des nombreuses pistes ouvertes par ses travaux, ainsi que de la vitalité des champs scientifiques qu’il avait arpentés avec une érudition inégalable.

Benoît Rossignol, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / UMR 8210 Anhima

Publié en ligne le 29 janvier 2021