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Ce onzième volume de la série Isthmia, site archéologique proche de Corinthe et abritant le sanctuaire de Poséidon où se déroulaient les jeux isthmiques est le dernier volume écrit par John W. Hayes avant sa disparition le 27 février 2024, en collaboration avec Kathleen Warner Slane. Cet archéologue britannique a étudié à Cambridge et fut le conservateur du Musée royal de l’Ontario à Toronto à partir de 1968. Il me tient à cœur de rendre ici hommage à ce grand chercheur qui a révolutionné les études céramologiques en particulier pour des périodes longtemps laissées de côté telle que l’époque impériale en Méditerranée orientale.

Cet ouvrage entend donc nous présenter comme le précise l’avant-propos (p. IX-XI), les céramiques issues des fouilles menées par l’université de Chicago depuis 1952, d’abord sous la direction d’O. Broneer puis celle d’E. Gebhard. La grande quantité de matériel découvert lors des fouilles (plus de 1000 caisses) n’a été traitée par John W. Hayes qu’à partir des années 1980 aidé par Kathleen Slane qui reprendra le travail par la suite pour le mener jusqu’à la publication. D’autres chercheuses l’ont également secondée pour étayer la bibliographie. Ainsi la préface rédigée par John W. Hayes et amendée par Kathleen Slane nous explique bien que l’unique but de la publication est de présenter le matériel découvert dans les fouilles du sanctuaire, du théâtre et d’autres fouilles périphériques sans volonté de rediscuter les datations ou encore le classement typologique des époques hellénistique et romaine. En effet, le matériel le plus significatif a déjà été publié dans des monographies de référence comme celle d’O. Broneer[1] traitant des lampes en terre cuite en 1977 ou les publications de J. Marty et Peppers en 1979[2] et 1993[3]. Enfin, la première des limites de cette étude est énoncée ici soit la sélection des tessons qui a été faite lors des fouilles comme il était souvent d’usage à l’époque par manque de place, c’est pourquoi il n’est pas possible d’effectuer une quantification précise de chaque catégorie de matériel présente dans les sanctuaires.

L’introduction (p. 1-10) revient donc sur le fait qu’il s’agit ici de présenter la céramique en usage dans un contexte de sanctuaire, en l’occurrence ceux de Poséidon et du dieu Palaimon, protecteur des marins. Le premier aurait été fondé à l’époque archaïque puis maintes fois reconstruit, la dernière fois au Ier siècle p.C. pour finir démantelé à la fin de l’époque impériale. C’est aux périodes classique et hellénistique que des terrasses attenantes au temple ont été construites qui ont permis la découverte de tas de cendres sacrificiels riches en matériel votif ainsi que des céramiques de banquet. 24 dépôts sont associés au sanctuaire de Poséidon (14 de la fin de l’époque classique et de la période hellénistique et 10 de la période impériale), ainsi que trois puits du Palaimonion en contexte sacrificiel et des couches liées à sa construction et son utilisation qui fonctionnèrent à partir du Ier siècle p.C. Si la décision a été prise de publier ensemble les époques hellénistique et romaine bien qu’il y ait de fortes discontinuités entre elles, ceci se justifie par le changement de nature de la céramique en contexte religieux à partir du IVe siècle a.C. Il est d’ailleurs précisé que le matériel archaïque et classique sera publié dans un autre volume. En effet, même si les vaisselles à boire continuent à dominer, elles changent de forme passant du kotyle archaïque à la coupe et au canthare hellénistiques puis aux bols à reliefs hellénistiques. Il en est de même pour les figurines et autres vases miniatures qui disparaissent progressivement à partir du IVe siècle a.C. Ainsi à compter de la période hellénistique, le matériel votif ne diffère en rien de celui de tous les jours observé dans les cités proches de Corinthe ou du port de Kenchreai. L’introduction se termine par un court rappel des publications céramiques sur la région de Corinthe et sur la façon dont le catalogue a été conçu.

Le second chapitre (p. 11-73) s’attache à nous décrire la céramique de la fin de l’époque classique et de la période hellénistique. Comme pour le troisième chapitre sur la période impériale (p. 73-152), l’auteur commence par une introduction sur l’assemblage céramique de ces époques et des dépôts. Dans le chapitre deux, une courte partie est consacrée à l’histoire d’Isthmia entre 198 a.C. et 43 p.C. En effet, cette période est complexe tant dans l’histoire du site puisque probablement dévasté par L. Mummius en même temps que le sac de Corinthe en 146 a.C. et peu réoccupé jusqu’à la reprise des jeux isthmiques en 43 p.C. que dans le catalogage entre les deux époques qui voit les sigillées orientales du IIe siècle a.C. souvent classées dans la période impériale. Enfin les deux chapitres se terminent par le classement des céramiques en différentes catégories selon les époques. Le classement par dépôts paraît peu judicieux pour quiconque souhaite trouver des points de comparaison à son propre matériel et qui, de ce fait, se voit contraint d’éplucher l’ensemble du catalogue. Un tableau synoptique par horizon ou à défaut par époque aurait été le bienvenu pour mieux appréhender les assemblages céramiques d’une période donnée. Par ailleurs, aucune étude de pâtes n’ayant été réalisée, le matériel ne peut être classé par groupe de production ce qui empêche une réflexion poussée sur la production locale et les circuits d’échanges parvenant à Isthmia.

Pour ce qui est des catégories étudiées dans cette étude, l’époque hellénistique traite des céramiques fines corinthiennes qui ne se démarquent de l’époque classique que par la plus grande finesse de leurs parois et surtout par leur système décoratif de ronds peints en alternance de noirs et de réservés sur le fond des vases ainsi que du vernis noir sur toute la surface parfois rehaussé de points blancs dans la technique du West Slope attique. Il s’agit essentiellement de plats et de bols ouverts plus que de coupes à boire ce qui marquerait un changement dans les habitudes des visiteurs du sanctuaire. Les importations proviennent majoritairement de l’Attique qui trouve à Isthmia un marché privilégié bien après la chute de ses exportations partout dans le monde grec. Puis les importations d’Égée orientale prédomineront au IIe siècle a.C. Les bols à reliefs ainsi que les céramiques culinaires sont les deux catégories les plus communes au IIe siècle a.C. Ici, J. W. Hayes assume que les bols à reliefs hellénistiques seraient des vases personnels pour les libations apportés par les participants aux festivités ce qui est toutefois soumis à discussion car aucune étude précise n’a été menée sur ce point et J. W. Hayes ne livre aucune explication probante permettant d’aller dans son sens. Les culinaires auraient quant à elles une fonction dans les activités du sanctuaire vu leur nombre élevé, par exemple dans les banquets organisés au théâtre de manière périodique. Enfin, les amphores se divisent en trois séries corinthiennes : corinthienne A et A’ de la fin Ve siècle-IVe siècle a.C. qui transportaient de l’huile. Les corinthiennes B sont mieux représentées par les timbres que les deux autres séries même s’il est toujours aussi incertain que ces dernières aient pu réellement être d’origine corinthienne. Elles servaient au transport du vin. Elles sont à dater des IVe-IIIe siècles a.C. Quant aux amphores hellénistiques importées, elles proviennent aussi bien de sources occidentales (gréco‑italiques) qu’orientales (Thasos, Rhodes, Cnide), transportant le plus souvent du vin.

En ce qui concerne les céramiques d’époque impériale, il s’agit surtout de sigillées du Ier siècle p.C. lors du retour de l’activité sur le site, c’est‑à‑dire essentiellement des sigillées d’Arezzo et d’Italie centrale ainsi que du sud de la Gaule mais également d’ESB2 orientales. À partir du IIe siècle p.C., ce sont les sigillées pergaméniennes, pontiques et de çandarli qui sont prédominantes. La vaisselle cnidienne est également bien représentée notamment grâce aux coupes cnidiennes à anses en PI. Peu de sigillées tardives sont à noter (africaines, phocéennes ou chypriotes). Les céramiques les plus populaires semblent donc être celles fabriquées régionalement à l’image des engobées corinthiennes ou encore des bols à reliefs corinthiens ainsi que des productions de cités du golfe Saronique. Comme pour l’époque hellénistique, les culinaires et les céramiques communes sont largement représentées qu’elles soient locales ou importées. Certaines vaisselles montrent un caractère spécial dans leur fonction tels que des pichets ou des bols votifs. Enfin les amphores viennent clore le chapitre sur le matériel d’époque impériale.

Le dernier chapitre (p. 153-202) reprend la même structure que les deux autres et traite des découvertes du sanctuaire du Palaimonion. Il s’agit principalement de lampes probablement utilisées pour les processions nocturnes accompagnées de quelques vaisselles rituelles utilisées pour le culte. Les premières ont déjà été largement étudiées dans la publication de O. Broneer dont l’appendice 2 vient seulement compléter la classification déjà établie. En ce qui concerne les vases, il s’agit surtout de vaisselles engobées ou communes locales telles que des coupes et des bols.

Le volume se termine par quatre appendices. Le premier d’E. Gebhardt (p. 207-213) établit une nouvelle chronologie pour le Palaimonion originellement publié par O. Broneer en 1973 en reprenant les différentes phases de construction et d’utilisation du sanctuaire ainsi que la stratigraphie. Le second écrit par J.W. Hayes (p. 215-222) nous propose des informations complémentaires sur les deux types de lampes impériales les plus fréquentes dans le sanctuaire du Palaimonion. Dans l’appendice 3 (p. 223‑245), K. Warner Slane publie des timbres amphoriques initialement étudiés par V. Grace et C. Koehler. La plupart sont d’époque hellénistique et proviennent de l’aire égéenne (Rhodes, Cnide ainsi que les corinthiennes B dont la provenance n’est toujours pas assurée). Enfin, le dernier appendice (p. 247-249) revient sur quelques vases significatifs datés des dernières périodes d’occupation du site.

Les illustrations représentent sept plans des différents sanctuaires et zones de fouilles et 130 planches de dessins et photos qui clôturent ce volume. Si la grande majorité des dessins est de qualité, il est regrettable que certains fragments paraissant dans le catalogue ne soient représentés ni par un dessin ni par une photo ou encore seulement par une photo (N° 894 par exemple) nous empêchant ainsi d’en connaître le profil véritable notamment celui de la lèvre souvent indispensable pour établir des parallèles.

Il est enfin nécessaire de préciser que cet ouvrage bien que paru en 2022 n’a en fait pas été repris depuis 2006 ce qui nous est expliqué dès l’avant-propos par K. Warner Slane. En effet, elle n’a effectué qu’un travail éditorial sur le manuscrit de J. W. Hayes car s’il avait fallu reprendre la bibliographie, l’étude entière aurait dû être refaite. En effet, étant donné le nombre de publications de qualité parues ces 20 dernières années, il lui aurait été immanquablement nécessaire de revoir les parallèles avec un grand nombre de sites égéens ainsi que sans aucun doute leur identification voire leur datation. C’est pourquoi, il faut bien consulter cet ouvrage comme un catalogue des céramiques hellénistiques et romaines d’Isthmia permettant d’avoir de nouveaux parallèles en particulier pour le matériel en contexte de sanctuaire et non comme un ouvrage récent dans lequel de nouvelles réflexions tant sur le commerce, la production locale ou encore l’utilisation de certaines catégories de vases auraient été abordées.

 

Cécile Rocheron

Publié dans le fascicule 1 tome 126, 2024, p. 332-335.

 

[1]. O. Broneer, Terracotta Lamps, Isthmia III, Princeton 1977.

[2]. J. Marty Peppers, Selected Roman Pottery, Isthmia excavations, 1967-1972, dissertation University of Pennsylvania 1979.

[3]. J. Marty, « Three Pottery Deposits and the History of Roman Isthmia » dans T.E. Gregory, The Corinthian in the Roman Period, Cambridge 1993, p. 115-129.