L’ouvrage analysé ici est la version publiée d’une thèse de PhD soutenue en 2020 à l’Université de Melbourne (Australie). Comme on le voit à la similitude des titres, il se veut l’équivalent pour Rome d’un ouvrage ancien au sujet des oiseaux en Grèce, celui de John Pollard[1], et qui est toujours consulté, malgré le développement que la recherche sur les animaux dans les cultures anciennes de la Méditerranée a connu depuis 25 ans environ. Concernant les oiseaux, les études marquantes ont été nombreuses. On pense à celles de Nan Dunbar[2], à celle de W. Geoffrey Arnott[3] ou encore à un ouvrage qui s’adressait au grand public, celui de Jeremy Mynott[4]. Le quasi-monopole anglo-saxon en matière d’ornithologie historique n’est pas surprenant et reflète la « bird-loving culture » anglaise. L’idée d’Ashleigh Green est justement de reconnaître Rome comme une autre « bird-loving culture » (cf. p. 162).
L’étude d’Ashleigh Green se concentre sur la fin de la République et les premières décennies du Principat, ainsi que sur l’Italie. Les autres périodes de l’histoire romaine ne sont pas totalement absentes et le Tarif de Dioclétien est cité quand il faut parler du rôle des oiseaux dans la culture alimentaire romaine (p. 116). Les autres régions du monde romain sont aussi évoquées à l’occasion, par exemple l’Afrique, les provinces rhénanes et surtout la Bretagne. L’Orient romain est en revanche peu présent, sans que l’on sache si c’est parce que l’autrice considère que l’héritage de l’hellénisme aurait brouillé sa réflexion ou pour un autre motif. Le livre est aussi centré sur la variabilité des rapports entre les différentes couches de la société romaine et les oiseaux et le lectorat trouvera, au fil des pages, de pertinentes remarques à ce sujet à propos de la consommation alimentaire ou de l’intérêt pour les oiseaux parlants, les couches populaires romaines possédant des corvidés, les élites plutôt des perruches. Certaines pages proposent une approche genrée bienvenue des rapports anthropozoologiques (p. 177-178). Cette problématisation par des filtres empruntés à l’histoire sociale traduit bien le fait que le livre d’Ashleigh Green s’inscrit dans le courant des Animal Studies où les animaux sont étudiés par rapport aux hommes (courant Human first), non d’abord pour eux-mêmes (courant Animal first).
Le plan de ce livre, qui commence avec les vautours de Romulus et Rémus et se termine avec l’oiseau de Lesbie selon Catulle, se structure en cinq chapitres, sans compter l’introduction et la conclusion. La logique du plan est cependant peu évidente et j’ai été surpris de trouver d’abord deux chapitres sur les rôles des oiseaux dans la divination à Rome : 1. Omens, Augury, and Auspices (p. 9-61) ; 2. The Augural Chickens (p. 62-87). Ils occupent presque la moitié du développement. Ces deux chapitres sont peut-être les moins centrés sur les animaux dans la mesure où c’est la valeur de signe attribuée à certains oiseaux qui compte. L’autrice s’efforce assurément d’examiner les espèces impliquées, mais il faut reconnaître que les p. 74-77, sur l’évolution du savoir augural et sa récupération par le pouvoir impérial, sont à la limite du hors-sujet. Au passage, et à propos de la mosaïque de l’invidia d’El Djem (Tunisie ; ici, p. 42), on ajoutera qu’elle fait référence à une technique de chasse longtemps pratiquée, la chasse à la pipée, qui consiste à exposer un rapace nocturne attaché que les petits oiseaux que l’on cherche à capturer viennent houspiller. C’est une méthode sur laquelle Ashleigh Green revient plus loin dans son livre (p. 150). Nous possédons une documentation gréco-romaine importante à son sujet et qui mériterait d’être un jour analysée attentivement. Pour la divination ex tripudiis, qui fait l’objet du deuxième chapitre, Ashleigh Green remarque que sa popularité croissante s’explique aussi par la facilité de sa mise en œuvre et sa disponibilité à tout moment (p. 63 et 82). C’est très convaincant : il faut ajouter que ce genre de divination permettait de prendre le public à témoin du signe donné et le rendait moins contestable par exemple qu’un rêve. Les trois chapitres suivants font vraiment entrer dans la question des formes de rapports entre les Romains et les oiseaux. Le troisième (Farming and Aviculture, p. 88‑127) fait le point sur les élevages d’oiseaux et traite de la question par espèce, ce qui sera utile. Sur ce point, on doit préciser que l’on ne peut pas considérer, comme le fait l’autrice (p. 103), que l’élevage des poules et leur exploitation alimentaire et économique ne prend de l’ampleur que dans le monde romain, car c’est négliger les évolutions que le monde grec a connues à l’époque hellénistique. Nous avons aussi des indices que les emplois alimentaires de l’espèce Gallus gallus étaient déjà centraux dans les rapports que les Phéniciens entretenaient avec cette espèce. Un quatrième chapitre traite de la chasse aux oiseaux (4. Fowling and Birdcatching, p. 128-160). Il aborde la question aussi bien en fonction des techniques de chasse que des rapports entre la chasse et la société romaine. Pour la chasse, l’Ixeutique du pseudo-Dionysios aurait pu être exploité de manière plus systématique que cela n’est le cas (voir cependant p. 145). Le moindre recours à ce texte peut cependant s’expliquer par sa date tardive qui ne cadre pas avec la période qu’étudie l’autrice. Le dernier chapitre concerne les oiseaux comme animaux de compagnie (5. Pets and Pleasure, p. 161-201). On y trouve les développements attendus sur les volières dans le monde romain, mais aussi des passages sur les combats de coqs, sur les oiseaux parlants. À propos du passer de Lesbie, qui serait bien un moineau selon Ashleigh Green, un lecteur européen, et en particulier français, sera surpris des lignes (p. 191) qui rappellent que les moineaux avaient une image positive en Italie ancienne à la différence de ce qui se passe aujourd’hui. Cette image est en fait restée largement positive sur le vieux continent (les piafs), à la différence de celle qui s’est développée dans les régions où le moineau a été introduit, comme sur le continent américain ; là, de fait, il est souvent regardé comme un nuisible envahissant.
Tout au long de ces cinq chapitres, la méthode que développe l’autrice repose sur l’idée qu’il faut sortir la réflexion de la seule documentation à laquelle les historiens de l’Antiquité sont habitués, soit les textes, les images et l’archéologie dans sa forme ordinaire. La recherche doit être renouvelée par une prise en compte des apports de l’ornithologie et de l’archéozoologie (p. 5-7). La première permet de mieux identifier les espèces et d’adopter une « bird’s eye view » (p. 204). On ne peut que souscrire à cette position : un progrès essentiel des études historiennes sur les animaux est venu de la prise de conscience qu’il était nécessaire d’acquérir une bonne connaissance des espèces que l’on étudie. Les données archéozoologiques permettent, quant à elles, de renouveler la documentation. Au fil des pages, le recours aux données archéozoologiques reste inégal et ne prend pas la forme d’une exploitation systématique, mais sert plutôt de complément (p. 98-99, sur la place de la volaille dans les assemblages fauniques en Bretagne romaine ; p. 143 : sur la consommation des grives ; p. 145, sur celle des grues ; p. 175, sur les coqs de combat en Bretagne romaine).
La bibliographie, et donc la réflexion de fond, souffre d’un défaut très (trop ?) courant dans les ouvrages anglophones, à savoir la faible attention aux publications faites dans d’autres langues que l’anglais. Je ne signalerai ici que quelques manques, qui font que le texte n’est pas toujours à la pointe de la recherche. Le premier est le livre d’Hélène Normand, publié aux éditions Ausonius[5]. On regrette cette méconnaissance dans plusieurs développements du livre d’Ashleigh Green, par exemple p. 32-36, à propos de l’aigle romain et plus encore p. 45-46, lorsqu’il est question d’analyser le sens du zoonyme latin bubo qui ne correspond pas à une espèce unique de notre taxonomie. Ashleigh Green aurait aussi gagné à utiliser l’ouvrage collectif de J. Trinquier et C. Vendries[6], qui comporte plusieurs textes concernant les oiseaux, à commencer par celui de C. Vendries sur la chasse aux oiseaux dans le monde romain et qui parvient à des conclusions fermes et claires sur la valorisation de cette forme de chasse à Rome que l’on retrouve en partie dans l’ouvrage que nous analysons, mais de manière plus impressionniste (p. 131-138).
Matériellement, le livre est bien édité. Le texte s’appuie sur des illustrations qui en facilitent l’entendement. Les conclusions, sauf la conclusion d’ensemble (p. 202‑205), se présentent trop comme de simples résumés des développements qui précèdent pour avoir une efficacité logique réelle. Par ailleurs, certains sujets attendus sont absents, comme une présentation de l’ornithologie romaine, un développement sur la vision des oiseaux comme nuisibles ou un autre sur la place des oiseaux dans les sacrifices à Rome, mais Ashleigh Green en est consciente (p. 202). On notera aussi que le titre choisi par l’autrice risque de laisser sur sa faim un lecteur qui cherche des informations sur les oiseaux dans les mythes : la question n’est pas absente du volume, mais elle ne fait jamais l’objet de développements à part. Un dernier regret vient de l’absence d’un index plus précis et développé que celui des p. 224-227. Les lecteurs auraient gagné à disposer d’un index ornithologique avec la liste complète des zoonymes latins et grecs de l’Antiquité, leur identification en nomenclature linnéenne et leur traduction en anglais.
Ce livre sera indéniablement utile. Il vient non seulement en complément des outils traditionnels de travail sur les oiseaux dans la Méditerranée ancienne, mais offre aussi des synthèses sur de nombreuses questions.
Christophe Chandezon, Université Paul-Valéry Montpellier 3, EA 4424 – CRISES
Publié dans le fascicule 2 tome 127, 2025, p. 617-620
[1]. Birds in Greek Life and Myth, Londres 1977.
[2]. Aristophanes Birds edited with Introduction and Commentary, Oxford 1995.
[3]. Birds in the Ancient World from A to Z, Londres-New York 2007.
[4]. Birds in the Ancient World, Oxford 2018.
[5]. Les rapaces dans les mondes grec et romain : catégorisation, représentations culturelles et pratiques, Bordeaux 2015.
[6]. Chasses antiques. Pratiques et représentations dans le monde gréco-romain (IIIe siècle av. – IVe siècle apr. J.-C.), Rennes 2009.
