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F. J. González Ponce (= FJGP), depuis son excellent Avieno y el Periplo de 1995, a continué à explorer la périplographie grecque à travers de nombreux et savants articles : l’édition du corpus des périplographes grecs, de l’époque archaïque à la fin de l’Antiquité, dont ce livre est le premier tome, est donc une forme d’aboutissement. FJGP s’est fixé pour but de rassembler ces textes dispersés, de les traduire et les commenter. Comme l’écrit F. Prontera, dans le prologue : « Le caractère fragmentaire de ces textes rend difficile de tracer le profil littéraire de leurs auteurs, mais dans ce cas, l’ample commentaire et la mise à jour critique sur l’état de la recherche offrent aux lecteurs les données essentielles à la compréhension des problèmes d’interprétation [ce qui en fait] un important instrument de travail pour qui s’occupe de Géographie antique ».
Très peu de ces textes sont en effet complets, et la plupart sont des fragments conservés par leurs utilisateurs anciens. Certains ont été édités (en particulier par Jacoby), certains ont été traduits et analysés (en particulier, en français, par J. Desanges (1978) : Recherches sur l’activité des Méditerranéens aux confins de l’Afrique (VIe siècle av. J.-C. – IVe siècle ap. J.‑C.), Collection de l’École française de Rome, n° 38, Rome). La collection rassemblée par FJGP vise à les rassembler tous dans un corpus unique.
Ce projet de FJGP est ainsi légèrement différent de celui des Géographes grecs de D. Marcotte : alors que ce dernier vise à publier l’ensemble des textes géographiques complets transmis par la tradition manuscrite, et que l’édition de ces manuscrits en constitue l’apport essentiel, FJGP cherche à rassembler en outre l’ensemble des fragments consacrés comme périplographiques par la tradition indirecte, et à en donner la traduction et le commentaire historique, pour un projet qui n’est pas sans rappeler celui de Jacoby avec les fragments des historiens grecs. Par ailleurs, le plan de Marcotte (p. LXXXIV-LXXVI) est géographique (de la mer Intérieure vers la mer Extérieure) quand celui de FJGP est chronologique.
Le premier tome de la collection est une réussite, en particulier dans les synthèses qui accompagnent l’Épitomé du Périple de Ménippe de Pergame, de Marcien d’Héraclée – judicieusement placé en introduction au corpus –, le Périple d’Hannon et les fragments de Skylax de Caryanda, d’Euthyménès de Massalia, de Philéas d’Athènes et de Damastès de Sigée.
Après le Prologue de F. Prontera (9-11), l’Introduction générale (17-44) définit le projet, détaille tradition manuscrite et bibliographie critique (19-27, très belle synthèse), les principes de constitution du corpus, puis tire de très intéressantes conclusions générales (32‑39). Les pages 39-44 présentent l’édition, et les pages 45‑48 (indispensables et précieuses) établissent le corpus des périplographes et leur répartition dans les différents volumes de la collection.
L’édition des textes qui suit présente le texte grec, les testimonia et l’apparat critique sur la page de gauche, et la traduction et les notes en regard, ce qui rend l’ensemble très commode d’utilisation. À titre de Proemium, vient d’abord Marcien d’Héraclée, Épitomé du Périple de la mer Intérieure de Ménippe de Pergame, I, 1-5, 50-69 (Texte, traduction et notes). Lui succède le seul texte intégralement conservé de la période, le Périple d’Hannon (73‑151), précédé d’une très complète introduction (73‑115). Puis viennent, selon les règles fixées à la collection, les auteurs fragmentaires, F1, Skylax, 155‑177 ; F2, Euthyménès, 179-191 ; F3, Philéas 193-213 ; Damastès, 215-231 : les fragments conservés de ces auteurs sont chaque fois précédés d’une synthèse détaillée.
Le livre se termine sur les plans et cartes (235- 251), un index des sources
(253-254), des noms propres (255-261), une bibliographie, le catalogue des plans et cartes (283-284), et la table des matières (285-286). L’ensemble est de présentation agréable, et philologiquement impeccable, et on peut considérer que le but que s’est fixé FJGP est atteint pour ce volume.
Sa manipulation, et celle de l’ensemble de la collection demanderont cependant quelques précautions sur lesquelles je souhaite attirer l’attention ici.
1. La première précaution à prendre concerne la juste appréciation du corpus rassemblé. Expliquant les principes qui ont présidé à son élaboration, FJGP souligne (p. 33) :
– que dès ses premières traces conservées, la périplographie grecque se présente comme un genre mûr et de nature principalement littéraire, avec de larges perspectives et des intérêts qui dépassent ceux d’un simple manuel de pilotage.
– que cela explique la variabilité des titres que la tradition donne à ces textes : trois d’entre eux par exemple (Skylax, Phileas et Ctésias) sont considérés indifféremment comme Périple ou Périégèse (synonyme de γῆς περίοδος) tandis que Damastès est également considéré comme un traité ethnographique.
FJGP explique donc qu’il a rassemblé tout ce que l’Antiquité a recensé comme περίπλους (ou comme Paraplous, Anaplous, Sur les ports, Stadiasme), mais qu’il a exclu d’une part les Anecdotai, Routes et Périples de cité, et d’autre part les textes classés comme périples, mais dont les auteurs soit se rattachent à un autre genre littéraire (comme Démocrite, Eudoxe, ou Ératosthène), soit ceux dont la trace est par trop fantômatique.
Le résultat est indiscutablement intéressant, mais pourrait induire la conclusion erronée que le périple est un genre littéraire, comme la tragédie ou la poésie épique. Or, comme l’a défini D. Marcotte, p. LX, le périple est l’une des formes de l’itinéraire, et l’un et l’autre peuvent se trouver épisodiquement dans des textes appartenant à des genres différents, par exemple des géographies comme celle de Strabon ou Ératosthène ou Eudoxe, des textes philosophiques comme ceux de Démocrite – ce pourquoi Marcien intégre ceux-ci dans sa liste de périplographes. À la différence de l’édition des Historiens grecs, ou des Comiques etc., l’édition d’un corpus des périplographes doit bien être considérée comme un instrument de travail, et non comme la reconstitution d’un genre.
2. Le deuxième point critique est la contrepartie de l’intense travail bibliographique de FJGP, en particulier sur les auteurs fragmentaires. Les fragments subsistants sont très pauvres : 13 pour Skylax, 4 pour Euthyménès, 13 pour Philéas, 7 pour Damastès. Et encore s’agit-il le plus souvent d’une simple allusion. Ainsi, des 13 fragments de Philéas, un seul (fr. 11) a un aspect proprement périplographique, alors que les autres discutent les légendes attachées à certains lieux, de questions de frontières, ou de lexicographie. Comment à partir de là reconstruire une γῆς περίοδος en trois 3 livres (Gisinger)? Quant à Damastès, seul Agathémère en fait un périplographe, et rien dans les fragments subsistants n’évoque un périple : le fr. 1 a le caractère d’une périégèse, le fr. 6 pourrait se rattacher aux travaux de Damastès sur l’Iliade. Enfin, la Souda attribue à Skylax un Περίπλους τῶν ἐκτὸς τῶν τοῦ Ἡρακλέους στηλῶν. À l’exception du fr 4, les fragments consacrés à l’Inde n’ont aucun caractère périplographique clair, et s’intégreraient tout aussi bien dans des Indica. Quant aux fragments 8 à 13, ils devraient être plutôt rapportés à un périple τῶν ἐντὸς τῶν στηλῶν qu’à un périple τῶν ἐκτός τῶν στηλῶν (des Indica auraient-ils d’ailleurs seulement leur place dans un tel périple à l’époque de Skylax de Caryanda ?). Est-il légitime de transformer le texte du manuscrit pour le conformer à sa représentation de l’oeuvre ? FJGP aurait eu meilleur compte, selon moi, à souligner les divergences entre les fragments proprement périplographiques et le Périple du Ps.-Skylax (F 8 du corpus), divergences qui confirment que le Skylax auquel renvoient les auteurs antérieurs à Marcien est différent de l’auteur de F8.
Il n’en reste pas moins que, ces caveat à l’esprit, les Periplos griegos constituent déjà, et constitueront une fois complétés un instrument de travail indispensable pour le lecteur savant, rassemblant des textes introuvables et une synthèse bibliographique sans équivalent. De tout cela, il faut remercier Francisco J. González Ponce.
[Note : À propos du Périple du Ps.-Skylax, FJGP cite un article de 1998 dans lequel je datais du début du régne de Philippe II la description de la Thrace égéenne. Une inscription récente m’a permis d’établir que la rédaction définitive de ce Périple ne pouvait être antérieure à la toute fin du III e s. ce qui s’accorderait d’ailleurs avec ce qu’il écrit de l’évolution du contenu des périples (p. 34). + Sur les Indica de Skylax, cf . Lenfant 1995, 309-336h, Topoi, 5]

Patrick Counillon