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Passionné par la médecine grecque, à laquelle il a consacré de nombreuses études, Antoine Pietrobelli s’intéresse ici au livre I du Commentaire au Régime des maladies aiguës d’Hippocrate écrit par Galien. L’A. procure une nouvelle édition munie d’une introduction, suivie d’une longue notice, d’une traduction commentée et de notes complémentaires.
L’introduction présente une esquisse claire et rigoureuse de l’évolution lexicale de la tisane depuis Hippocrate jusqu’à son sens actuel. L’A. met en évidence comment les enjeux médicaux s’associent à la tradition de ce texte et comment un usage alimentaire de la Grèce classique a survécu grâce à Galien jusqu’au XVIIIe s., à l’aube de l’invention de la médecine moderne.
L’introduction est suivie d’une longue notice de plus de deux cents pages. Elle comporte sept chapitres consacrés à des aspects divers du commentaire hippocratique et sur l’histoire de son texte.
Le premier chapitre étudie l’ordre des commentaires hippocratiques, la datation du traité In Acut. et ses liens avec d’autres textes du corpus. L’examen de la liste A et de la liste B fournies par Galien concernant l’ordre de rédaction de ses commentaires hippocratiques fait ressortir que In Acut. occupe la cinquième position dans la liste A et la septième position dans la liste B, ce qui est un indice de l’absence de linéarité dans la rédaction des commentaires.
La datation de In Acut. entre 179 et 182 à l’aide de l’étude des renvois qui relient entre elles les œuvres de Galien, d’une part, et de la mention de C. Aufidiamus, préfet de Rome (ca. 122- ca. 185), de l’autre, amènent l’A. à préciser sa position dans le corpus galénique et à établir des repères pour d’autres traités galéniques.
Parmi ces traités, les quatre suivants entretiennent des rapports thématiques étroits avec In Acut. : le Régime des maladies aiguës selon Hippocrate conservé en arabe (éd. Lyons), le Régime des maladies aiguës selon Hippocrate conservé en grec (éd. Westenberger), le Livre IX du Sur les doctrines d’Hippocrate et de Platon et l’opuscule Sur la ptisane attribué à Galien.
Le second chapitre décrit l’effort déployé par Galien afin de définir le genre du commentaire médical. En tant que médecin et philologue, Galien définit le commentaire médical comme un ὑπόμνημα, à savoir « un recueil de notes et de textes discontinus que l’on veut garder en mémoire pour son usage privé mais aussi un texte non mis en page » (p. LXXIII). L’ὑπόμνημα est marqué par l’intégration des pratiques lettrées des grammairiens alexandrins, ce qui indique l’influence exercée par ceux-ci sur la formation philologique de Galien, et par l’introduction de nouveaux principes, propres à l’auteur et à la discipline médicale. Le commentaire galénique vise à la clarté d’explication, à l’apprentissage des théories d’Hippocrate et à leur mise en pratique ainsi qu’à la présentation du texte par le biais du système d’annonces et de renvois.
Ces principes vont de pair avec la pratique d’exégète de Galien, qui tout au long de la production de ses commentaires, n’a pas cessé de prendre en considération le niveau de connaissance du destinataire auquel il s’adresse.
Dans le troisième chapitre, Pietrobelli se penche sur la ptisane et les maladies aiguës. Après avoir indiqué les traits cliniques de ces maladies chez Hippocrate, parmi lesquels il faut compter la fièvre continue, la crise rapide et l’impact mortel, l’A. présente les conseils pratiques fournis par Galien sur la préparation de la ptisane. Ensuite, il fait l’esquisse de l’éloge de ses qualités tant dans le corpus hippocratique que dans le corpus galénique. Cela lui permet de mettre en lumière la divergence des doctrines qu’Hippocrate et ses disciples, d’une part, et Galien, de l’autre, ont établies au sujet des propriétés de la ptisane. Par opposition aux premiers qui considèrent la ptisane comme un simple aliment bénéfique dans les maladies aiguës, Galien pense que la propriété majeure de celle-ci est de régler le bon fonctionnement de l’organisme et du système humoral.
Le chapitre suivant fait état de la méthode logique d’Hippocrate. Grâce à celle-ci le médecin peut passer du cas particulier de chaque patient à la thérapie générale des maladies aiguës à l’aide d’un procédé conceptuel que Galien dénomme ‘diorisme’ (‘distinction’, ‘différenciation’). Fondée sur le principe de la prise en compte de toutes sortes de maladies ou des différentes natures des patients, la méthode hippocratique est reprise par Galien. En présentant sa démonstration sous la forme d’un problème mathématique, en dressant deux portraits antithétiques des malades pour s’interroger sur l’application d’un unique traitement, Galien devient l’inventeur de la médecine en pratica geometriae.
Les trois derniers chapitres traitent de la tradition manuscrite directe, de la tradition indirecte et des éditions imprimées.
Dans un premier temps, l’A. procède à la présentation et au classement comparatif des manuscrits qui nous ont transmis In Acut. Cette démarche lui permet d’en distinguer deux familles, la famille A comprenant les manuscrits L, B, Vlat., C, R et U, et la famille B comprenant les manuscrits T, M, S, A, et de dégager la relation entre les manuscrits de chaque famille.
Dans un second temps, l’A. explore les
textes antérieurs aux manuscrits, à savoir les citations d’Oribase dans ses collections médicales, la traduction arabe de l’école de Hunayn Ibn Ishaq et les anciennes traductions latines.
En dernier lieu, l’A. retrace l’histoire des éditions imprimées de In Acut. depuis la fin du XVe s. jusqu’à l’édition critique moderne d’Helmreich. En effet, il parcourt minutieusement les éditions produites avant l’Aldine, les éditions grecques du XVIe s., les trois Nouae Translationes, dont la traduction latine de Jean Vassès (Paris, 1531), celle de Nicolas Lavachius (Florence, 1533) et celle de Paulus Juliarius (Vérone, 1542), le commentaire de Brasavola (1546), la traduction de Giambattista Rasarius (1562-1563), les éditions imprimées annotées, l’édition et la traduction de René Chartier (1649) et l’édition de G. Helmreich (1914), qui a apporté des progrès considérables dans l’établissement critique du texte.
À la notice s’ajoute un conspectus siglorum constitué des codices, des translationes, de la memoria secundaria et des editiones.
La suite de l’ouvrage est consacrée à l’édition critique du texte pour laquelle l’A. a fait le choix d’un apparatus criticus qui comprend les variantes significatives de dix manuscrits fournissant le texte complet du livre I ; la traduction arabo-latine de Galien de Crémone ; les trois manuscrits d’Hippocrate [Hipp. (V) : Hipp. (M) et Hipp. (A)] ; les citations des lemmes dans d’autres ouvrages de Galien ou du Pseudo-Galien, celles d’Hippocrate arabe [Ar. (Hipp)] (Trad. de Lyons) et celles de la traduction arabo-latine [Ar. (Lat.)].
Pour la présentation du texte, l’A. suit le découpage des paragraphes et la ponctuation établis par Helmreich. Dans sa traduction, il respecte l’ordre des mots et la syntaxe du grec. Les traductions d’In Acut. produites par Émile Littré, Charles Daremberg et Robert Joly lui servent de modèle pour la traduction des lemmes. Tout au long de l’élaboration de son édition, l’A. fait preuve d’un effort particulièrement remarquable à faire concorder la traduction de l’Hippocrate des lemmes avec la lecture qu’en faisait Galien.
Le commentaire, qui s’appuie sur une grande maîtrise de la bibliographie, aborde l’ensemble des notions indispensables à l’étude d’un texte de genre médical et stochastique (contextualisation, étude du lexique, remarques et linguistiques et stylistiques, commentaire ecdotique, commentaire épistémique et médical).
La bibliographie (pp. 197-262), abondante et très compète, permet au lecteur d’avoir à sa disposition tant les éditions et les traductions des auteurs anciens que les études des auteurs modernes.
L’ouvrage se termine par un index nominum (p. 263) et un index operum (p. 265). On regrette l’absence d’un index verborum qui permettrait de retrouver les références des notions précises.
Au demeurant, l’édition proposée par Pietrobelli a le grand mérite d’être fondée sur une collation personnelle de l’ensemble des manuscrits grecs conservés et sur une répartition méthodique. L’intégration des leçons du Laurentianus plut. 75, 5 daté du XVIIe s. et celle du manuscrit Thessalonicensis Vlatandum 14, qui fut découvert par l’A. en 2005, prouvent la nouveauté de cette édition. Cela est également confirmé par l’exploration systématique et rigoureuse de la tradition indirecte.
Nous devons savoir gré à Antoine Pietrobelli de nous avoir fourni une édition critique qui est un modèle exemplaire pour la qualité de l’établissement du texte, la précision scrupuleuse de la traduction, la clarté de l’introduction et la richesse de la notice, comme des commentaires.

Hélène Perdicoyianni-Paléologou, Department of Sciences and Technology Studies, University College London

Publié dans le fascicule 1 tome 122, 2020, p. 362-364