Issu d’une thèse de doctorat soutenue en juin 2007 à Paris, cet ouvrage réunit un corpus (p. 161-236) de médaillons-portraits lagides (138 documents, souvent illustrés, classés par matériau et ordonnés par type iconographique), précédé d’une riche introduction (p. 15-29) sur le portrait et la miniaturisation du portrait dans la société hellénistique et dans l’histoire de l’art, et d’une synthèse articulée en trois parties : I. Représenter le souverain lagide (p. 31-56) ; II. Fonctions, contextes et enjeux des « médaillons-portraits » miniatures des Lagides (p. 57-96) ; III. Reconnaître le roi et la reine : mise en scène et attributs du pouvoir (p. 97-147).
Estelle Galbois (dorénavant E.G.) explique d’entrée de jeu que l’image royale est à la fois individualisée et conventionnelle, puisqu’elle donne à voir une idéologie royale déterminée. Comme les Ptolémées sont hommes et dieux à la fois, leurs portraits renvoient de fait à une triple dimension : corporelle, royale et divine (p. 16‑20). Les ouvrages modernes sur les portraits des rois hellénistiques ont privilégié l’étude des effigies monétaires et sculptées, au détriment des « portraits-miniatures ». Or, ceux‑ci ont été très en vogue dans les royaumes hellénistiques et furent dès leur apparition à la cour macédonienne de Philippe II et d’Alexandre intimement liés à la représentation du pouvoir royal, tout comme les portraits‑miniatures à la cour des Tudors au XVIe s. (p. 21-22). Paradoxalement absents sous les Antigonides et très rares chez les Séleucides et les Attalides, les portraits-miniatures sont plus abondants chez les Lagides. E. G. s’est attelée avec méthode au recensement et à l’analyse de ces très petits objets, dispersés dans les collections du monde entier.
Reproduit sur des supports de nature et matériaux très divers (sceaux, bagues, intailles ; emblemata de vaisselle en métal, argile et faïence ; éléments de mobilier, etc. : cf. p. 36‑44), le portrait-miniature royal se caractérise par sa présentation de profil, de face ou de trois-quarts, inscrit dans un cercle ou, plus rarement, un ovale. Grâce à leur petitesse, les médaillons-portraits lagides ont connu une large diffusion en Égypte et dans les possessions extérieures (Chypre), mais ils ont été retrouvés à l’étranger également, de Carthage à la mer Noire et à l’Arménie (cf. p. 57-59 et la carte des lieux de découverte publiée après la p. 262). Les contextes d’utilisation de ces portraits‑miniatures sont multiples et se rapportent en premier lieu au fonctionnement de la royauté : les bagues sigillaires, qui étaient un véritable insigne royal, au même titre que le diadème et la pourpre, et les crétules, étaient employées dans la correspondance ; des bagues précieuses à l’effigie du roi étaient offertes en don à des alliés et à des courtisans, d’autres, en os, trop petites pour pouvoir être portées, étaient peut-être des ex-voto ; les coupes à emblema en faïence, décorées parfois avec les portraits-miniatures des rois et des reines lagides, étaient probablement utilisées, comme les célèbres œnochoés, par les particuliers dans le cadre du culte domestique du souverain. Mais bagues et pendentifs ornés de camées et d’intailles, coupes en métal précieux, appliques de mobilier, statuettes « d’appartement » en bronze pouvaient aussi n’avoir qu’une relation très superficielle avec la dynastie des Ptolémées et répondre à un phénomène de mode, une véritable « Lagidomanie » (p. 78). L’analyse iconographique (p. 97-147) montre la grande variété des attributs royaux et divins qui caractérisaient les « médaillons-portraits » miniatures des souverains lagides. E. G. analyse le matériel en le classant sous trois catégories, selon que le roi et la reine sont portraiturés dans leur costume gréco-macédonien, pharaonique ou divin. En tant que basileus, le roi est représenté avec le diadème et la kausia (plus rarement avec la kausia diadematophoros) ; dans quatre documents de la basse époque hellénistique, il est vêtu du costume militaire, une rareté qui semble spécifique des « médaillons-portraits » (p. 115). La basilissa est très souvent parée du diadème, ce qui reflète probablement, dans le contexte lagide, son égale dignité avec le roi (p. 115-116) ; elle est parfois voilée et dotée d’un sceptre ; la coiffure habituelle en chignon peut être remplacée par d’autres modes capillaires, signe d’une plus grande liberté de représentation. En tant que pharaon, le roi porte diverses types de couronnes (derechet, hedjet, pschent) et le cache-perruque (némès) à partir de Ptolémée VI ; ce type de costume est cependant attesté dans la statuaire d’Alexandrie et des cités grecques dès le IIIe s. a.C. Bien que les reines aient été représentées à l’égyptienne sur des statues colossales, les témoignages sont rarissimes dans la catégorie des petits portraits. Enfin, en tant que dieu, le roi est rapproché, à l’aide de quantité d’attributs, d’Ammon (et d’Alexandre le Grand), Zeus, Hélios, Dionysos, les Dioscures, Apollon, Hermès, Héraklès ; par la stéphanè, les reines sont rapprochées de plusieurs déesses. D’autres insignes (carquois, myrte, épis de blé, etc.) permettent de préciser le référent divin (Artémis, Aphrodite, Déméter, etc.). L’assimilation à Isis est caractérisée par une forte ambiguïté, puisque si les reines adoptent la couronne hathorique traditionnelle à la déesse, celle-ci leur emprunte, au IIe s., une couronne dite basileion (p. 139-140). Après cet exposé, que nous avons très fortement résumé, E. G. fait un retour en arrière pour expliquer que les portraits royaux avec les attributs pharaoniques relèvent en fait de la catégorie de portraits hybrides, qui combinent iconographie grecque (modelé du visage, chevelure, pas de barbe postiche) et iconographie égyptienne (p. 141‑143). Le phénomène de l’hybridation touche par ailleurs aussi le groupe des portraits royaux avec attributs divins (p. 143-147).
Une synthèse conclusive (p. 149-159) expose plusieurs considérations générales (les effigies des « médaillons-portraits » des Lagides, « véritables vecteurs de l’idéologie aulique », p. 149 ; relations entre victoire et légitimité, entre tryphè et évergétisme, p. 152 ; idéologie du couple royal et de la cohésion familiale, p. 154-155 ; pluralité des assimilations divines) et rappelle quelques acquis de la recherche d’E.G. : pérennité du portrait en basileus grec avec le diadème ; absence d’iconographie spécifique pour les reines ; originalité des portraits monétaires du roi avec la kausia diadematophoros ou cuirassé (p. 159).
Le texte est généralement soigné, une relecture plus attentive aurait permis cependant d’éliminer un certain nombre de coquilles et quelques maladresses, notamment dans la translittération des mots grecs (p. ex. p. 100 : Kallos ; p. 159 : Eucaristos, Epaminas Te Aigypto) ou dans l’emploi des noms géographiques (n. 88, p. 46-47 : Amisène). La cité de Kallion‑Kallipolis, correctement localisée en Étolie, est une fois assignée à l’Éolide (p. 62).
Le plan de l’ouvrage, en apparence très clair, masque en réalité un texte foisonnant, où l’étude matérielle et iconographique, dont la qualité est indiscutable, se combine avec une multitude d’observations de type sociologique ou historique tirées de lectures étendues, qui dénotent un souci très louable d’élargir l’horizon de l’enquête, mais auraient parfois demandé un peu plus de circonspection (ainsi sur le problème de la distinction entre les dédicaces épigraphiques « en faveur des rois » ou « aux rois », p. 53[1]). L’analyse hésite entre l’importance accordée à la pluralité des supports et aux contextes matériels ou fonctionnels, qui ne disent rien ou presque sur les utilisateurs (élites gréco-macédoniennes ; élites égyptiennes ; milieux modestes ?) de l’objet « médaillon-portrait », et la recherche des motivations qui présidaient à la fabrique, à la mise en circulation et à l’appropriation de cet objet si particulier : idéologie aulique, donc, mais aussi systèmes de fidélité des courtisans, culte domestique des souverains, attachement personnel des sujets, diplomatie, puissance politique, effet de mode, etc. Ces explications sont disséminées tout au long du texte et le lecteur aurait apprécié qu’elles soient intégrées in fine dans une véritable synthèse historique, mettant en valeur les principaux résultats de l’analyse iconographique.
L’ouvrage d’E.G. recèle une mine d’informations pour l’historien de la royauté lagide en particulier et des royautés hellénistiques en général, ainsi que plusieurs mises au point intéressantes, par exemple sur les couronnes sacerdotales ornées d’un médaillon‑portrait royal, attestées par l’édit d’Antiochos III instituant en 193 a.C. le culte de la reine Laodikè, mais dont aucune représentation figurée n’a été découverte à ce jour (p. 67-72 ; concernant l’inscription de Pergame OGIS 332, l’auteure n’a pas connu la restitution décisive de P. Hamon[2]) et sur l’évolution du médaillon‑portrait miniature au médaillon monumental dans un décor architectural (p. 44‑56). Le catalogue, où la délicate question des attributions des portraits à tel roi ou telle reine est traitée avec une prudence tout à fait justifiée, sera un outil de travail précieux.
Au total, on saura gré à E. G. d’avoir rassemblé et analysé avec finesse une documentation à tort considérée mineure, qui vient enrichir nos connaissances sur l’empreinte des rois et des reines dans la vie culturelle des sociétés hellénistiques.
Ivana Savalli-Lestrade, CNRS-UMR 8210 AnHiMA
(Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques)
Publié dans le fascicule 2 tome 121, 2019, p. 527-529
[1]. Cf. Fr. Kaiser, Bull. ép. 2007, 540 ; J. Ma, Statues and Cities : Honorific Portraits and Civic Identity in the Hellenistic World, Oxford 2013, p. 18 et s.
[2]. Chiron 34, 2004, 179 ; cf. SEG 54. 1241.