Ce volume rassemble les communications présentées lors de deux manifestations scientifiques consacrées, sur des thématiques proches, aux figurines de terre cuite dans l’Antiquité. La première, organisée les 7 et 8 décembre 2011 à Villeneuve d’Ascq par les membres de l’équipe de recherche lilloise sur la coroplathie grecque, Christine Aubry, Stéphanie Huysecom-Haxhi et Arthur Muller, dans le cadre des manifestations du centre de recherche HALMA UMR 8164, était intitulée « Figurines en contexte : iconographie et fonction(s) » ; la seconde, organisée à Philadelphie le 6 janvier 2012 dans le cadre des rencontres de l’Archaeological Institute of America, par Caitlín E. Barrett, Clarissa Blume et Theodora Kopestonsky, du Coroplastic Studies Interest Group, était intitulée « Silent participants. Terracottas as Ritual Objects ». Les organisateurs expliquent, dans l’avant‑propos introductif (p. 7-9), que la proximité de problématique, s’ajoutant aux liens noués lors du colloque international d’Izmir de juin 2007 (voir compte rendu), les a poussés à publier dans un même volume les communications de Lille et de Philadelphie, sous un titre qui rende compte de chacune des manifestations. Les études réunies dans ce volume ont pour objectif de s’interroger sur les raisons pour lesquelles, d’une extrémité à l’autre de la Méditerranée antique, les populations placèrent des figurines de terre cuite à des endroits précis, dans des sanctuaires surtout, dans des tombes et encore dans des maisons : il s’agissait donc de rechercher la signification de ces figurines, en s’appuyant sur leur iconographie en lien avec leur contexte.
Le volume rassemble vingt-quatre études, pourvues d’un résumé et d’une liste de mots clefs en français et en anglais, réparties en quatre chapitres. Le premier, sous le titre « Interpréter des terres cuites figurées » (p. 13‑140), regroupe huit communications qui s’attachent à interpréter des thèmes avec l’appui du contexte, lorsque celui-ci est connu; les trois autres sont centrés sur la nature et les spécificités du contexte, avec cinq communications chacun : « Sanctuaires : pratiques rituelles, sphère d’activité des divinités dédicataires » (p. 143‑229), « Terres cuites figurées en contexte funéraire » (p. 233‑317) et « Quelles fonctions pour les terres cuites en contextes profanes ? » (p. 321-419). Concluant le volume, les éditeurs, Stéphanie Huysecom‑Haxhi et Arthur Muller, reviennent sur la problématique qui sous-tend l’avant-propos et les communications, sous le titre « Figurines en contexte, de l’identification à la fonction : vers une archéologie de la religion » (p. 421-438).
Dans le Chapitre 1, Marina Albertocchi, à partir de groupes de terre cuite le plus souvent modelés allant de l’âge du Bronze à l’époque archaïque, voire au début du IVe siècle, représentant des rondes formées de figures féminines, étudie le rôle de la musique et de la danse dans les rituels religieux du monde égéen : la prise en compte des lieux de trouvaille, des sanctuaires, conduit à mettre en rapport ces rondes avec des rituels féminins dans des sanctuaires d’Héra, des Nymphes et d’Artémis (p. 13-24). Antonella Paussato, s’attachant à un type iconographique fréquent dans les figurines archaïques du dépôt votif de Catane mis en relation avec le sanctuaire de Déméter et Coré, la jeune fille tenant un pavot, examine les propriétés du pavot dans l’Antiquité pour conclure à un lien entre le pavot et la condition des jeunes filles avant le mariage (p. 25-34) ; Véronique Dasen traite des figurines archaïques de « nains ventrus » produites en Grèce de l’est, variantes hellénisées de l’iconographie du dieu égyptien Bès et de la divinité traditionnellement appelée Ptah-Patèque (p. 35-51). Violaine Jeammet présente ses recherches sur une catégorie particulière de figurines de la seconde moitié du IVe siècle, d’origine attique mais répandue en Béotie, représentant une tête de femme isolée ; elle souligne la difficulté à saisir la symbolique de ces spécimens peu nombreux, qu’elle rapproche des représentations de l’épiphanie d’Aphrodite sur les vases (p. 53‑70). Stéphanie Huysecom-Haxhi s’intéresse aux protomés-bustes masculines béotiennes tenant un œuf et un coq ou un canthare, à provenance surtout funéraire ; dans les effigies barbues, elle propose de reconnaître, plutôt que des représentations divines – en général interprétées comme Dionysos – « une version abrégée des banqueteurs », représentation de l’homme comme citoyen et chef d’oikos (p. 71‑89). Maria Chiridoglou traite de figurines eubéennes d’époque classique et hellénistique, dont des types, variés, ont été retrouvés dans des contextes aussi bien funéraires que votifs (p. 91-106), tandis qu’Angela Bellia s’interroge sur l’identification et la signification des groupes en terre cuite de trois musiciennes, aux provenances variées ou incertaines, datant des IVe et IIIe siècles et originaires de Sicile et de Calabre (p. 107-126). Dans la dernière étude du chapitre, Antoine Hermary pose la question de la possibilité d’une étude contextuelle des terres cuites de Délos, publiées en 1956 par Alfred Laumonier dans l’EAD XXIII (p. 127-140). On notera que cette connaissance du contexte, scientifiquement primordiale, manque parfois cruellement aux figurines de musées, issues pour certaines de collections anciennes, sans indications de provenances ou aux indications peu fiables : les catalogues de musées, même pour des objets sans contexte connu, peuvent pourtant apporter une contribution à ces recherches. Ainsi, les rondes de figurines de Grèce continentale et insulaire pourraient être rapprochées de productions de Chypre : on signalera notamment ici, dans la publication des terres cuites chypriotes du Louvre[1], deux groupes modelés du Ve siècle à propos desquels Sabine Fourrier fait référence au sanctuaire d’une divinité masculine, l’Apollon Hylatès à Kourion, où un cercle pavé garde trace d’emplacements réservés vraisemblablement à des arbres autour desquels des danses étaient effectuées. Dans ce même catalogue on remarque, à côté de Ptah‑Patèques de fabrication chypriote, une figurine importée à Chypre, sans doute de fabrication rhodienne[2].
Dans le Chapitre II, centré sur les caractéristiques qu’induit la provenance d’un sanctuaire, Jaimee P. Uhlenbrock soulève la question des fonctions dans le sanctuaire de Déméter et Perséphone à Cyrène de quelques figurines bien antérieures à la fondation du sanctuaire et de la cité (p. 143-156) ; Sandrine Huber et Pauline Maillard quant à elles démontrent le lien qu’établissent entre la personnalité d’Athéna, honorée sur l’acropole d’Érétrie, et les fonctions de chacun dans la cité, des offrandes de figurines féminines et des éléments de décor architectonique figurant des guerriers (p. 157-177). Gina Salapata s’intéresse, à propos des offrandes de figurines, aux pratiques cultuelles du dédicant moyen, qui pouvait acheter des figurines en groupes pour les disposer ensemble dans le sanctuaire, de manière à constituer éventuellement des représentations en rapport avec sa propre situation (p. 179‑197). La communication collective de M.C. Marín Ceballos, A.M. Jiménez Flores, M. Belén Deamos, J. H. Fernandez, F. Horn et A. Mezquida examine des figurines en terre cuite offertes à la déesse punique Tinnit dans une grotte de l’île d’Ibiza (p. 199-229), pendant que celle de Belisa Muka traite de figurines hellénistiques découvertes en Illyrie, près du lac de Seferan, offertes sans doute à des divinités féminines en relation avec l’eau (p. 219-229).
Le Chapitre III réunit les communications consacrées aux figurines en contexte funéraire. Agnes Schwarzmaier étudie des figurines d’époque classique retrouvées dans des tombes d’enfants et de jeunes gens de la nécropole de Lipari, mobilier funéraire mis en relation avec les rituels du mariage que les défunts n’avaient pu connaître (p. 233-243). Néguine Mathieux s’attache au type iconographique hellénistique de l’enfant tenant une grappe de raisin, fréquent dans les tombes de Myrina ; la prise en compte du matériel associé dans les tombes, de la peinture de vases et des textes démontre l’importance de Dionysos, mort enfant, dans le contexte funéraire des aôroi (p. 245-263). Prenant pour objet d’étude le monde indigène ibérique, du VIe au IIe siècle av. J.‑C., Frédérique Horn évalue la position sociale des défunts qui étaient enterrés avec des figurines de terre cuite en tenant compte du mobilier funéraire associé : il en ressort que ces figurines étaient placées dans les tombes de personnes occupant une situation sociale élevée (p. 267-287). Solenn de Larminat s’intéresse aux figurines de terre cuite découvertes dans les nécropoles d’Afrique romaine et, malgré la dispersion dans divers musées, met en évidence les types de figurines les plus fréquents et analyse l’emplacement des figurines dans les tombes et les gestes associés (p. 289-303). Pour clore ce chapitre, Stephanie A. Hagan examine trois figurines de courotrophes provenant de sépultures de la période byzantine (330-638 ap. J.-C.) à Beth Shean, antique Scythopolis, en Israël : elle ne reconnaît en elles ni Isis lactans, ni Marie, mais la nymphe Nysa, qu’elle met en relation avec Dionysos, fondateur mythique de la cité ; soulignant qu’elles sont arrivées indépendamment l’une de l’autre à la même conclusion, elle renvoie (n.30 p. 310) à la communication de Renate Rosenthal – Hegginbottom, qui avait traité des mêmes figurines au colloque sur les terres cuites d’Izmir en juin 2007, publié seulement en 2015 (p. 305-317).
Il est question, dans le Chapitre IV, de ce que pouvaient être les fonctions des terres cuites en contextes profanes, de l’époque mycénienne à l’époque romaine, et dans des régions aussi variées que la Grèce continentale, l’Italie du sud, la Syrie ou l’Égypte. Ann-Louise Schallin examine un assemblage de figurines provenant d’un atelier de potier d’un site mycénien d’Argolide, Mastos et, par des comparaisons avec les ensembles mycéniens de Phylacopi et de Midéa, en conclut qu’un lieu de culte domestique ou un sanctuaire, à la localisation encore inconnue, a dû exister à Mastos durant l’Helladique récent (p. 321-336) ; c’est aussi sur l’époque mycénienne que Melissa Vetters fait porter sa recherche, en étudiant des figurines provenant de contextes d’habitat à Tirynthe de manière à dégager la spécificité des rituels domestiques mycéniens par rapport aux rituels publics ou communautaires (p. 337-360). Rebecca Miller Ammerman s’intéresse à des figurines des IVe et IIIe siècles mises au jour sur le territoire de Métaponte, ville et chôra, dans des contextes d’habitats et aussi dans les sanctuaires urbains et ruraux : le caractère extensif des prospections permet d’obtenir un bon panorama des pratiques religieuses des Métapontins, du niveau privé de l’oikos au niveau le plus officiel de la cité (p. 361-383). Heather Jackson analyse, à partir de fragments de terres cuites figurées d’époque hellénistique provenant d’un quartier d’habitation du site de Jebel Khalid sur l’Euphrate, en Syrie du nord, les préférences culturelles des habitants (p. 385‑400). Enfin, Caitlín E. Barrett, co‑organisatrice de la journée d’étude de Philadelphie consacrée aux terres cuites comme objets rituels, montre comment l’examen de la documentation que constituent les figurines de terre cuite, ici celles de l’Égypte gréco-romaine, permet de contribuer aux recherches sur l’« archéologie du rituel » : les figurines servaient en effet dans les maisons à des rituels divers, en relation avec le culte domestique, le culte royal et la magie (p. 401‑419).
Le volume se conclut sur une étude de Stéphanie Huisecom-Haxhi et Arthur Muller, co-organisateurs du colloque de Lille, intitulée « Figurines en contexte, de l’identification à la fonction : vers une archéologie de la religion » (p. 421-438). Il ne s’agit pas à proprement parler d’une conclusion générale qui reviendrait sur les documents étudiés dans les communications, mais d’une étude indépendante conçue comme une argumentation à visée conclusive portant sur une époque et des types de figurines précis : les auteurs reprennent en fait, conformément à la thématique du colloque, « la recherche de sens, à travers l’identification, la signification et la fonction des terres cuites figurées » (p. 438), le débat qu’ils ont mené dans des publications précédentes sur l’identification de certains types – « divinité ou mortel(le) ? » – datant de l’époque archaïque et du premier classicisme[3]. On peut regretter qu’ils n’énoncent pas d’emblée plus clairement, dès la page 422, lorsqu’ils disent prendre pour objets les « représentations anthropomorphiques que rien ne caractérise comme divinités », de quelle époque et de quels types il est question : c’est seulement ensuite, au gré d’indications souvent données en passant (p. 434 et 435 notamment, où il est explicitement question de la « plastique archaïque, grande et petite »), que le lecteur comprend que certains types de figurines, surtout en fait au VIe siècle et au premier classicisme, sont en jeu dans cette recherche sur leur identification et leur fonction. Plus que des figurines de simples « femmes drapées » qui, sous cette appellation courante, sont clairement identifiées et sans le moindre doute comme des mortelles, cela dès le Ve siècle au moins et même avant, les auteurs ont en vue, outre les protomés, les figurines de banqueteurs et de femmes assises ou trônantes, aux attitudes caractéristiques de l’époque archaïque (p. 431‑432). Lorsque le lecteur est au fait de la question, il suit plus aisément l’argumentation des auteurs, hostiles à la polysémie de figurines non caractérisées, qui voudrait que leur identification change en fonction du contexte. De manière générale, on suivra volontiers les auteurs lorsqu’ils proposent de reconnaître, à la page 429, des représentations de mortels, à l’époque archaïque, dans les figurines qui suivent les types iconographiques du banqueteur, du jeune homme debout, le kouros, de la femme trônant et de la jeune fille debout, la korè. Le rapprochement avec le groupe familial samien sculpté par Généléos est à cet égard tout à fait éclairant pour l’interprétation de la petite plastique de terre cuite : le banqueteur représente le chef de famille, la femme trônante, l’épouse et la mère, le kouros, le citoyen en devenir, et la korè, la jeune fille. La prise en compte de divers éléments, coiffure, gestuelle, attributs, tels que fleurs et fruits, oiseaux, etc., devrait permettre, selon S. H.-H. et A. M., d’aller au-delà de l’interprétation comme simples « adorantes » qu’avait proposée Blinkenberg et de reconnaître, y compris dans les personnages masculins, des « représentations, conventionnelles et génériques, de mortels dans leurs statuts sociaux et familiaux respectifs » (p. 431). Ainsi, dans les sanctuaires, les figurines de jeunes filles et de femmes assises représenteraient les dédicantes apportant leurs offrandes à des moments cruciaux de leur existence, comme le mariage ou l’accouchement, à des divinités protectrices des passages, « Artémis, Déméter, Aphrodite, Héra, les Nymphes et d’autres encore » ; l’entrée des garçons dans la phratrie ou des jeunes gens dans l’éphébie serait marquée par l’offrande de figurines, d’enfants, de kouroi, de banqueteurs, ou de vases à boire comme les coupes (p. 433‑434). Les terres cuites seraient ainsi un « substitut du dédicant », qu’elles « représentent dans le sanctuaire, au-delà de la fête ou du rituel, pour le placer durablement sous la protection de la divinité » (p. 434)[4]. Une interprétation semblable peut être donnée pour les figurines retrouvées en contexte funéraire. Celles-ci, infiniment moins nombreuses que dans les sanctuaires, ont été déposées surtout dans les tombes de défunts morts jeunes, qui n’ont pas connu l’accomplissement de leur vie d’adulte par le mariage ou l’accès à la citoyenneté : conformes aux mêmes types iconographiques que celles qui ont été déposées dans les sanctuaires, elles représenteraient les figurines que les défunts, s’ils avaient vécu, auraient eux‑mêmes dédiées dans les sanctuaires lors des étapes de leur vie (p. 434-435) ; ou encore, elles leur donneraient un substitut de ce dont ils n’ont pas eu leur part dans leur vie. Conformément à la thématique centrale du colloque – quelle fonction pour les figurines ? – les auteurs proposent enfin des « pistes de recherche et suggestions de méthode » pour sortir la figurine de terre cuite de son isolement et l’insérer pleinement, au-delà de la simple question de la fabrication, dans les pratiques religieuses de l’Antiquité (p. 438).
L’identification de la plupart des figurines dépourvues d’attributs caractéristiques comme de simples mortel(le)s, femmes drapées debout ou assises, et banqueteurs masculins, nous semble juste ; du reste, elle prévaut généralement, si ce n’est dans les publications de sites où la connaissance de l’existence d’un sanctuaire attribué à telle divinité peut influencer les auteurs dans leurs propositions d’identification, du moins dans nombre de catalogues de musées où les auteurs identifient les figurines féminines d’époque archaïque, assises ou debout et tenant un oiseau ou une fleur, plutôt comme des mortelles, et les personnages masculins couchés, comme des banqueteurs[5]. La mise en relation de l’offrande de ces figurines avec des moments-clés de l’existence des mortel(le)s qu’elles représentent semble convaincante.
Sur quelques points cependant on émettra des réserves, ou on regrettera que les auteurs n’aient pas développé davantage leur argumentation. Le faible coût, qui serait un argument contre l’identification comme divinités des figurines dépourvues d’attributs (p. 426), n’a pas empêché les fidèles d’offrir dans les sanctuaires des figurines clairement désignées par leurs attributs ou leur vêtement comme des divinités. Les dieux ne pouvaient dédaigner qu’on leur offre des effigies d’eux‑mêmes dans un matériau modeste : la piété, au niveau des particuliers, n’exigeait pas la fortune. De même, il nous semble que rien n’empêchait que les terres cuites, vu leur prix, aient pu être offertes par les dédicants en dehors des grandes occasions, notamment dans les sanctuaires de proximité.
Que certaines divinités, telles Héra, Déméter ou les Nymphes, n’aient pas été systématiquement dotées, dans leur iconographie en général, d’attributs permettant de les identifier de manière indubitable ne doit pas non plus conduire à rejeter absolument la possibilité de leur représentation dans la coroplastique votive ou funéraire, puisque les fidèles ont bien offert, de manière sûre, des statuettes représentant d’autres divinités. Par ailleurs, l’interprétation du haut polos nous semble trop restrictive : cette coiffure peut apparaître, plus que le polos bas, comme une coiffure de déesse, ou tout au moins de prêtresse, et il nous semble que l’origine géographique, le contexte de trouvaille et l’époque sont essentiels dans l’identification des figurines qui en sont pourvues[6]. Enfin, la discussion sur les personnages que l’on regroupe commodément sous l’appellation d’« agents du culte », des mortel(le)s certes, mais qui se livrent à une activité spécifique en relation avec le culte rendu aux dieux, pourrait être davantage étoffée (p. 426).
De manière plus générale, les interprétations proposées, tout en étant séduisantes, nous semblent parfois trop systématiques. À propos du refus de la polysémie de figurines dont l’identification changerait selon le contexte, on rappellera que les mythes grecs connaissent des variantes, permises par la souplesse de représentations et de croyances qui ne sont pas des dogmes. Ainsi, dans une version de la légende d’Hélène portée sur la scène par Euripide, l’héroïne n’a jamais mis les pieds à Troie ; plus largement, les Grecs considéraient, au gré de cultes locaux, divinités et héros sous des aspects divers. Il nous semble donc qu’il faut éviter de se montrer rigide en affirmant que les personnages indifférenciés figurent toujours des mortels, et que la date des objets, ainsi que la notion de « contexte » qui est à la base du colloque, peuvent, si l’on est en capacité de prendre en compte tous les paramètres, aider grandement à l’identification – et cela, bien sûr, sans que toute figurine féminine trônante soit nécessairement identifiée comme Déméter simplement parce qu’elle provient d’un sanctuaire de la déesse.
Les auteurs attirent avec raison l’attention, en l’absence d’attributs caractéristiques, sur l’impossibilité de s’appuyer, dans le cas d’objets isolés comme les figurines[7], sur le contexte narratif avec interaction entre personnages qu’offrent par exemple les scènes figurées sur les vases peints (p. 428-429). Il est clair qu’une divinité comme Héra, l’Épouse par excellence, ne peut être, en l’absence d’inscriptions, sûrement identifiée sur un vase que lorsque la scène peut être rattachée à un cycle mythique dans lequel elle intervient : ainsi, Héra peut être reconnue avec certitude dans des scènes du Jugement de Pâris parce qu’elle figure à côté d’Athéna, d’Hermès et de Pâris, clairement identifiables. Mais les scènes figurées sur les vases ne sont pas non plus toujours univoques, elles peuvent être dotées aussi, par la volonté du peintre, d’une certaine polysémie destinée à brouiller les frontières entre humains et dieux anthropomorphes : elles peuvent montrer des mortels vaquant aux mêmes occupations que les dieux, ou des dieux évoluant dans un décor humain, d’autant que dans les mythes et les croyances dieux et héros fréquentent les humains, comme l’attestent épopées, tragédies et autres sources textuelles. Sur nombre de vases attiques à figures noires, à une certaine époque donc, l’ambiguïté peut exister par exemple entre les personnages féminins indifférenciés que sont, entourant Apollon ou Dionysos, Muses, Nymphes, ménades – simples mortelles ; plus tard, sur les vases à figures rouges, les peintres aiment aussi à entretenir une certaine confusion, par l’ajout d’inscriptions, entre déesses se livrant à des activités typiquement féminines dans le gynécée, telles que toilette et musique, et femmes haussées dans le monde divin. Ainsi, si la polysémie ne peut être exclue absolument, du fait de la volonté du peintre et malgré l’aide apportée par la narration, pour certaines scènes figurées sur les vases, comment l’exclure absolument pour les figurines ?
Anne Queyrel Bottineau
[1] Musée du Louvre, Département des Antiquités Orientales, L’art des modeleurs d’argile, Antiquités de Chypre, Coroplastique, A. Caubet dir, S. Fourrier, A. Queyrel ed., F. Vandenabeele coll., Paris 1998, t.1, n°s 513 et 514, p. 317-318.
[2] Ibid., t.2, n° 564, p. 351 (= S. Mollard-Besques, Musée national du Louvre, Catalogue raisonné des figurines et reliefs, I, 1954, p. 38 n° B 222, pl. XXVIII, Rhodes ?) ; pour d’autres figurines de Bès et Ptah-Patèques, fabriquées à Kition et conservées au Louvre, voir t.1 p. 315-317 et t.2 p. 352.
[3] Voir dans le volume A. Hermary, p. 134 n.36 sur ce débat.
[4] Voir le compte rendu de Figurines de terre cuite en Méditerranée grecque et romaine, t. 2, Iconographie et contextes, A. Muller, E. Lafli dir., S. Huysecom-Haxhi coll., Villeneuve d’Ascq 2015 : L. Summerer rappelle, p. 581, la suggestion de J.B. Connelly sur le sanctuaire d’Ayia Irini à Chypre, selon laquelle les figurines représenteraient les dédicants adorant perpétuellement.
[5] Voir S. Mollard-Besques, op. cit., par exemple les figurines des pl. II (B1-B4, B6), III (B 7 et B 15), X (B 82-B 84), ou encore XXV (B 199) (femmes drapées, debout et assises) ; des pl. XXIV (B 190) ou XXXII (B 293 et B 294) (banqueteurs).
[6] S. Mollard-Besques, op. cit., qualifie, en soulignant la difficulté d’interprétation, de « femmes au polos », et non de « déesses », les figurines du Louvre B 202-204, pl. XXVI, et B 260-B 270, pl. XXXI.
[7] G. Salapata, p. 179-197, attire l’attention sur d’éventuelles offrandes groupées de figurines : l’intention du dédicant permettrait de rompre l’isolement apparent des objets.