En 1998, Annick Fenet (ici AF) a soutenu une thèse à Paris X-Nanterre intitulée Caractères et cultes marins des divinités olympiennes dans le monde grec d’Homère à la fin de l’époque hellénistique. Contribution à l’étude de la religion des marins grecs. Ce travail avait été préparé sous la direction de Pierre Cabanes. Sa publication était attendue par la communauté scientifique car AF abordait une thématique importante de l’histoire religieuse et maritime du monde grec. Plusieurs publications de l’auteure, notamment un article du ThesCRA sorti en 2011[1], en avaient donné une idée. Elles avaient aussi permis à AF de proposer une réflexion plus globale sur les cultes liés aux voyages en mer et de montrer le chemin qu’il restait à parcourir par rapport à la dernière contribution importante sur le sujet, celle que Dietrich Wachsmuth avait fait paraître en 1967[2]. Madeleine Jost n’a eu de cesse d’apporter son concours à la publication de ce livre qu’elle a préfacé. Qu’il paraisse dans la collection prestigieuse de l’École française de Rome est un signe de l’intérêt porté d’emblée à ce travail. Le temps écoulé depuis la thèse n’a pas été perdu, d’autant que personne n’a entre-temps publié de synthèse sur le sujet[3]. L’auteure a actualisé sa documentation et ses problématiques.
L’introduction (p. 1-14) explique les ambitions d’AF et on doit en prendre la mesure car on ne peut raisonnablement attendre d’une thèse qu’elle soit une synthèse exhaustive sur un sujet comme la religion des marins en Grèce, ce qui ne peut être que l’aboutissement d’une vie de recherche. Ces ambitions apparaissent clairement dans le titre : Les dieux olympiens et la mer. Cela signifie que l’approche se fait à partir d’un groupe de dieux, les Olympiens qu’AF nomme en combinant deux listes de douze dieux (p. 5-6), alors qu’ils ne forment qu’une partie des dieux marins (halioi theoi). Elle se donne donc pour but « de voir de quelle manière ces dieux Olympiens participent également à la vie maritime des Anciens, comment leur emprise a pu s’étendre sur un domaine particulier, celui de la mer, parfois éloigné de leur personnalité première ; d’étudier les rites et les pratiques religieuses qui leur étaient voués dans ce contexte précis. » (p. 6). De là, la notion de « culte marin », qui est nécessaire pour repérer dans le cas des Olympiens ce qui relève d’un rapport avec la mer. Pour AF (p. 7-8), c’est un culte qui se déroule en mer ou au bord de la mer, ou bien qui se traduit dans l’épiclèse de la divinité, ou bien qui est lié à un contexte marin, par exemple à une navigation que l’on entreprend. La première partie ne peut donc aborder qu’un « échantillon » de divinités (p. 242), dans un ensemble plus large de puissances divines en rapport avec la mer. Cela détermine la sélection du matériel de la deuxième partie, puisque celui qui provenait de sanctuaires de divinités situées hors échantillon ne pouvait figurer que pour comparaison. Un autre choix d’AF est d’ordre historiographique. P. 8-9, elle écrit ainsi : « Notre démarche ne s’inscrit donc pas dans le pur courant structuraliste des études anciennes – même si nous retenons dans une certaine mesure le principe de “mode d’activité” des dieux en l’appliquant à la “sphère d’activité” maritime –, mais plutôt dans une position positiviste ». Quels que soient les termes employés par AF pour définir son positionnement historiographique et la façon qu’ils ont de figer les débats dans une querelle des anciens et des modernes que l’on tend maintenant à dépasser, on comprend (et on constate ensuite) qu’il y a dans ce livre une part de synthèse entre ces deux courants, ce qui correspond d’ailleurs aux tendances de l’historiographie actuelle. L’auteure n’hésite en effet pas à avoir recours à des raisonnements anthropologiques, même si c’est avec une prudence parfois un peu timide[4]. Jamais, d’autre part, elle ne tient en lisière les travaux relevant de l’anthropologie historique.
Le plan de la première partie (p. 15-242) est organisé par divinité. Pour chacune des divinités, le plan est identique. Des paragraphes d’introduction rappellent l’historiographie consacrée à cette divinité et la place qu’elle a reconnue à son éventuelle dimension marine. Le lecteur trouvera là des bilans bien informés, plus récents que ceux du LIMC, et qui seront utiles en eux-mêmes. Puis, AF présente les sources en commençant par l’épopée. Ensuite, elle passe à l’inventaire des témoignages cultuels qui se présente comme un inventaire raisonné des sanctuaires où la divinité étudiée présente un caractère marin. Plans et photographies rendent le texte facile à suivre (voir les cartes de localisation par divinité, à partir de la p. 521). La bibliographie archéologique dépouillée est abondante et très diverse. Là encore, le livre d’AF rendra de grands services même si on ne l’utilise que comme un répertoire. Le classement des sites est géographique et s’étend jusqu’aux confins du monde grec, incluant aussi les côtes de la Méditerranée occidentale fréquentées par les Grecs ou même l’océan Indien (par ex. p. 127-128, à propos d’Aphrodite). L’analyse qui achève chaque rubrique consacrée à une divinité essaie de dégager les points forts sur le plan géographique et la dimension marine de chaque personnalité divine. La perspective est historique, AF s’efforçant en effet de montrer comment telle divinité a vu son caractère marin se renforcer, s’affaiblir ou évoluer. Pour chaque divinité, AF essaie de dégager de grandes catégories de fonctions par rapport à la mer.
Le chap. I, À la conquête de la mer (p. 21‑81), regroupe Athéna et Héra. La surprise est immédiate : on s’attendrait évidemment à ce que Poséidon soit le premier dieu évoqué, ce qui n’est pas le cas, et c’est Athéna qui se présente d’abord, non sans raisons[5]. La déesse apparaît comme étant dès les poèmes homériques associée aux bateaux et à leur construction ; le cormoran (aithyia) est parfois lié à elle et le nom de cet oiseau peut devenir une épiclèse de la divinité[6]. À Athènes, Athéna joue un rôle dans les cultes marins de manière régulière. Héra, en comparaison, fait plus pâle figure. La déesse peut être Épiliménia (à Thasos) et certains de ses sanctuaires sont en position littorale, comme celui de Pérachora. Cette dimension marine d’Héra s’atténue en outre après l’époque archaïque. Le chap. II (p. 83-138), La maîtrise des éléments, une donnée essentielle à l’euploia, comporte deux divinités très liées à la mer, Zeus et Aphrodite, auxquelles s’ajoute, mais comme simples comparses, Déméter et Korè. Zeus est le dieu qui gouverne les phénomènes atmosphériques. Ses épiclèses en lien avec la mer sont multiples : il peut être Ourios (du bon vent), Liménoscopos (gardien du port), Apobatêrios (du débarquement), Thalassios (marin) et surtout Sôter (sauveur). Aphrodite présente un caractère marin moins affirmé que la légende de sa naissance ne le laisserait supposer. Elle peut cependant être Pontia, Euploia ou Liménia. Son lien à la mer est plus dense dans les régions périphériques du monde grec et se renforce à l’époque hellénistique. Déméter et Koré, en revanche, ne semblent entretenir aucun lien avec la mer. Dans le chap. III, La domination de la mer (p. 139-187), Apollon apparaît avec un caractère marin un peu partout dans le monde grec, sauf en Occident. Il garantit la réussite des voyages, comme son association au dauphin le laisse deviner et, dans les sanctuaires apolliniens, les ex-voto liés à la vie maritime, à la pêche, aux batailles navales sont nombreux. La surprise – et elle est de taille – arrive cependant avec Poséidon dont les rapports avec la mer sont moins denses qu’on ne pourrait l’imaginer. Ce dieu est aussi inquiétant, fauteur de tempêtes et maître tyrannique des navires (le δεσπόταν ναῶν de Pindare, Pythiques, IV, 207). Il occupe peu à peu les caps[7]. Le dernier chapitre de cette partie, (IV, Les frontières de la mer ou la mer domestiquée, p. 189-239), aborde Artémis, Dionysos et Hermès. Seule la première de ces trois divinités entretient avec la mer des rapports nourris quoique secondaires dans ce qui compose sa personnalité divine ; elle est notamment associée à des caps, des îlots et des mouillages (on pense à l’Artémision d’Eubée). Assimilée à Diktynna, elle évoque la pêche. Dionysos évoque le mythe des pirates tyrrhéniens, mais l’aspect marin de son culte est cependant faible. Hermès, comme Déméter, semble très étranger à l’élément marin.
La deuxième partie (p. 243-507) est synthétique. Elle s’intitule Pratiques cultuelles marines et comporte deux chapitres. Elle offre un panorama très complet de cette religion du bateau et des marins et c’est sans doute ces pages qui seront les plus souvent citées, tant elles apportent aux études sur la religion grecque. Le propos s’organise en deux chapitres de longueur légèrement inégale. Le premier (chap. V : Présence des dieux sur le bateau, p. 245‑347) étudie d’abord la façon dont les divinités (images, noms, attributs) sont présentes à bord. Deux espaces apparaissent comme densément sacralisés : la proue et la poupe du navire. Dans le cas de la proue, c’est la partie haute de l’étrave (stolos), la caisse de rame avec le parasème et l’éperon qui concentrent les références aux divinités. À la poupe, c’est la hampe de stylis qui joue le même rôle. Suit un développement sur les noms théophores des bateaux, puis un autre sur les ancres, qui apparaissent comme des éléments souvent très sacralisés de l’équipement, puisqu’elles portent fréquemment des noms de divinités et des décors à dimension religieuse. La conclusion de ce chapitre est qu’il n’y a généralement pas un lieu du bateau qui concentre toute la dimension sacrée, ni un dieu et un seul qui serait attaché à chaque navire. Le bateau tout entier semble marqué par la sacralité, tant il est crucial pour les marins de conjurer le danger qui les guette et d’attirer la bienveillance des dieux. Une fois encore, AF souligne le moindre rôle de Poséidon au profit de divinités comme Zeus, Aphrodite ou Athéna. Le second chapitre de la synthèse s’attache aux pratiques exercées à terre par les gens de mer (chap. VI : Les ex-voto à terre, p. 349-507). Le titre indique qu’il s’agit de voir comment se manifeste la gratitude des marins au retour de voyage. L’analyse se fait par type d’objet consacré, à commencer par les navires eux-mêmes, pratique aux racines mythiques et qui a laissé des traces textuelles et même archéologiques si l’on prend en compte les édifices qui ont pu servir à abriter ce type d’offrandes, comme dans les sanctuaires de Samos ou de Délos. AF aborde ensuite les consécrations de modèles réduits de navires, puis d’images de bateaux. Vient ensuite l’étude de consécrations de parties de bateaux, comme des éperons, principalement dans de grands sanctuaires (Acropole d’Athènes, Delphes, Délos etc.). Les navires sacrés font l’objet d’une étude spécifique et c’est l’occasion de disposer d’un bilan sur les trières sacrées athéniennes et sur les bateaux de procession, notamment dans le cas des Panathénées (p. 437‑446). Les pages sur l’offrande des ancres seront elles aussi particulièrement utiles, d’autant qu’AF se fonde sur un dépouillement des attestations archéologiques de cette pratique (voir le catalogue, p. 563 sq.), les remettant en contexte et analysant avec grande prudence l’interprétation même de certains vestiges comme des jas d’ancre, car il est difficile de différencier les jas des argoi lithoi. La pratique de la consécration des jas d’ancre est assurée dès le VIe s. a.C. et particulièrement développée dans les sanctuaires grecs de Sicile, d’Italie du Sud ainsi qu’à Égine. Le chapitre VI s’achève par d’autres types de consécrations de marins, plus rares ou moins visibles dans les sources (coquillages, poissons …).
La conclusion (p. 511-519) synthétise les principaux apports du développement et ouvre quelques perspectives nouvelles, ainsi sur les circonstances de ces cultes marins et sur les fidèles. Des cartes permettent de localiser les lieux de cultes mentionnés dans la première partie. Une série d’annexes ajoute de précieux éléments. D’abord, un petit choix de sources littéraires peu connues, comme des scholies ou des extraits de la rhétorique tardive. Un peu plus loin, un bilan des ex-voto navals des inventaires déliens fait lui aussi connaître des documents difficiles d’accès. Dans les deux cas, les textes sont donnés en grec et en traduction. On trouve d’utiles index, notamment celui des épiclèses, attendu dans un livre de ce type, et l’index général. L’index des sources littéraires est le seul qui pose un problème à cause du choix d’une présentation thématique, c’est-à-dire par sujet depuis l’entrée ancre jusqu’à Zeus, et sans renvoi aux pages du livre où les passages sont étudiés. Il n’y a pas d’index épigraphique. Plus d’une quarantaine de pages (p. 563-605) sont consacrées au catalogue des ancres de plomb avec des inscriptions théophores et des décors. On le voit : les annexes s’adressent aussi bien à des historiens qu’à des archéologues, faisant connaître aux uns et aux autres des documents dont ils n’auraient pas aisément connaissance d’eux-mêmes. La démarche, implicite, témoigne des intentions de l’A. et de sa méthode. Une longue bibliographie achève le volume.
Une chose en effet frappe à la lecture approfondie de ce livre : il repose sur la prise en compte méthodique de toutes les sources qu’on peut utiliser, pas seulement de celles qui sont les plus familières aux historiens. Les sources textuelles (inscriptions comprises) et matérielles sont convoquées ensemble ou alternativement dans le raisonnement. Elles sont utilisées à parts égales pour répondre aux problématiques posées. Il faut bien souligner cette qualité, car elle n’est pas si fréquente dans la production des antiquisants, même lorsqu’ils ont dépassé la confrontation de principe des disciplines. Quand AF manie une documentation archéologique, elle travaille alors en archéologue, établissant un catalogue, contextualisant les objets[8]. On sait combien ces étapes préalables exigent de temps en raison de la dispersion des publications et de la grande variété des langues employées en archéologie. Face à ce problème, le réflexe des historiens est souvent de préférer une méthode fondée sur une sélection plus ou moins arbitraire de quelques exemplaires, en en postulant la valeur démonstrative et souvent sans remonter aux artefacts eux-mêmes. Dans le livre d’AF, la mise en série est bien là. Le résultat est donc un livre qui sera utile aussi bien aux archéologues qu’aux historiens. Chaque discipline y trouvera ce qu’elle attend. Mais, en outre, l’historien aura très vite le sentiment qu’il pourra faire confiance à l’auteure dans ses passages plus archéologiques, comme l’archéologue, dans le sens inverse. Par ailleurs, l’illustration est abondante et en général de bonne qualité autant que l’auteure pouvait.
L’ouvrage a été attentivement relu et les fautes sont très rares (voir Hadès cité deux fois dans une liste de la p. 241). Il est d’autant plus regrettable que le titre courant du chapitre IV soit erroné, car reprenant celui du chapitre I, ce qui gêne le maniement rapide du livre tant qu’on ne s’en est pas rendu compte. Un peu plus de maladresses d’expression subsistent, mais elles sont dans l’air du temps[9]. Parler de realia (p. 13 et 21) pour désigner les sources matérielles analysées est d’un autre temps et ce mot devrait être banni du langage scientifique, car il implique une hiérarchisation des sources, les textes dits littéraires en occupant le sommet, au détriment des expressions de la culture matérielle. Surtout, les transitions sont très scolaires et ne rendent pas justice à la progression du raisonnement. Chaque lecteur trouvera parfois selon son tempérament que certaines questions secondaires sont trop rapidement évoquées. P. 135, à propos des autres divinités auxquelles Aphrodite était associée, on se serait attendu à ce que le cas des reines lagides soit évoqué, ce qui aurait permis de revenir une fois de plus sur l’association Aphrodite-Isis[10].
Lorsque ce livre peut sembler être pris en défaut par le lecteur, c’est en fait plus sur ses principes que sur son information ou le choix des éclairages apportés aux divers sujets. Les deux écueils principaux étaient liés à la définition des sanctuaires et des cultes marins et au choix des divinités opéré par AF. Sur le premier point, les critères sont au bout du compte clairs et plutôt efficaces. Nous les avons signalés au début de ce compte rendu. Comme l’auteure use souvent de son sens critique, elle était à l’abri de rapporter trop de matériaux à son sujet et dans les passages où on la voit s’avancer en terre inconnue, comme à propos des ancres, on constate sa prudence. À propos du choix des divinités – car il fallait bien en faire un – les doutes sur les principes de départ ne sont pas totalement levés. Le choix des douze Olympiens est un problème réel. Il oblige AF à intégrer des divinités dont elle doit bien reconnaître qu’elles n’ont que peu à voir avec la mer, comme Hermès ou Déméter. Et, de manière plus grave, il l’amène à renoncer à des divinités n’appartenant pas au cercle des Olympiens, comme Isis qui avait pourtant une nette dimension marine à l’époque hellénistique. Isis n’apparaît que par son assimilation à Aphrodite (p. 135), d’une manière rapide et qui ne rend pas justice aux évolutions des cultes marins qui sont pourtant l’objet de ce travail. Le dynamisme de la religion grecque, auquel AF se montre pourtant si souvent sensible, est ici négligé dans l’une de ses expressions les plus intéressantes. Les Dioscures eux-mêmes sont peu présents et n’apparaissent qu’à quelques occasions comme à propos de leur évocation sur les décors de bateau (p. 255-256). L’auteure est consciente de ces difficultés et le lecteur comprend très bien qu’il lui était impossible de tout traiter dans le cadre qu’elle s’était donné. Mais on ne doit pas oublier que les choix faits pour la première partie conditionnent la seconde, même si, consciente de l’impasse, AF sort souvent de bon gré des limites qu’elle s’était fixées.
Dans le développement sur les bases naviformes en pierre (p. 385-387), on s’étonne ainsi de ne pas trouver la Victoire de Samothrace, si ce n’est au détour d’une courte note. Il faut faire un effort pour se souvenir que le sanctuaire dans lequel elle a été dédiée ne relève pas d’un des Olympiens. On voit ainsi les difficultés que s’était préparées l’auteure.
À la fin, ce livre solide et bien documenté donne l’impression qu’il ouvrira des débats, des nouvelles pistes de recherche et, outre les bilans qu’il propose, il y a les surprises qu’il apporte – à commencer par celle qui concerne Poséidon –, ce qui est déjà beaucoup ; il vaudra aussi par cela qu’il peut amener à reprendre des questions fondamentales. Redisons-le : une thèse aussi solide soit-elle ne peut pas être une synthèse sur une question aussi vaste que la « religion des marins ». La question même d’une religion des marins mérite d’être discutée, car elle déplace ces études d’histoire religieuse vers des perspectives sociales et économiques que l’on a peut-être trop oubliées et qui reviennent par exemple dans le choix des victimes de sacrifice. On devra alors se demander si on ne doit pas aussi distinguer les expressions de religiosité selon les groupes sociaux : marins des flottes de guerre, gens du grand commerce, pêcheurs ici. En ouvrant ce genre d’enquête, on pourra aussi mesurer l’intérêt qu’il y aurait à reprendre l’analyse des comportements religieux dans leur dimension socio-économique. Après tout, l’existence probable d’une « religion des marins » devrait amener un jour aussi à se demander s’il y a une religion des paysans, une religion des artisans etc.
Christophe Chandezon, Université Paul-Valéry Montpellier III
[1]. A. Fenet, « Les voyages en mer dans le monde grec et romain », ThesCRA 6, 2011, p. 405‑414.
[2]. D. Wachsmuth, Πόμπιμος ὁ δαίμων. Untersuchungen zu den antiken Sakralhandlungen bei Seereisen, Berlin 1967. Il s’agit d’une thèse soutenue à Berlin en 1967. Très complète, mais aussi très descriptive, elle demeurera néanmoins utile, non seulement par l’ampleur avec laquelle les sources écrites ont été dépouillées, mais aussi parce qu’elle aborde des sujets qui n’entrent pas dans les perspectives de l’ouvrage d’AF, comme la mantique liée au voyage en mer.
[3]. Le livre de M. Romero Recio, Cultos Maritimos y Religiosidad de Navegantes en el Mundo Griego Antiguo, Oxford 2000, assez bref (VI+214 p.) aborde cependant certaines questions que pose AF dans ses deux derniers chapitres, par exemple sur les dédicaces d’ancres dans les sanctuaires ; il comporte aussi des synthèses absentes du livre d’AF, comme sur les sacrifices (p. 94-105).
[4]. Par exemple dès la p. 9, avec le renvoi à des travaux sur la religion des marins dans l’Europe moderne ; p. 457-460, à propos des consécrations d’ancres dans l’Orient ancien, ce qui permet de remettre la pratique des Grecs dans un contexte plus large.
[5]. Article de M. Detienne, « Le navire d’Athéna », RHR 178, 1970, p. 133-177.
[6]. AF identifie l’αἴθυια au cormoran p. 39 (sur le lien entre Athéna et cet oiseau, voir d’abord p. 61‑63). C’est en effet l’identification la plus assurée. Il peut s’agir du cormoran huppé, Phalacrocorax aristotelis, ou du grand cormoran, Phalacrocorax carbo, constamment mentionné dans les textes pour ses plongeons (cf. Odyssée, V, 352-353). En dernier lieu, voir W. G. Arnott, Birds in the Ancient World from A to Z, Londres-New York 2007, p. 7-8.
[7]. Sur cette thématique, ajouter l’article récent de Fr. de Polignac, « Détroits, isthmes, passages : paysages “sous le joug” de Poséidon », Kernos 30 2017, p. 67-83.
[8]. Elle se réclame, p. 12, de ce qu’elle appelle une « archéologie traditionnelle », expression étrange mais qui fait peut-être référence à la non prise en compte systématique de données comme celles de l’archéozoologie, mais il est vrai qu’elle est encore peu développée pour les restes fauniques marins dans les régions de la Méditerranée qui intéressent AF.
[9]. On trouve des errements communs comme le pléonasme « voire même » (p. 120 et 515) ou « suite à » (p. 107).
[10]. Arsinoè II et Cléopâtre VII apparaissent cependant à d’autres endroits du développement sur Artémis.