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Les Guides archéologiques de l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) proposent depuis 1991 des monographies conçues par les spécialistes des sites traités (Kition, Ougarit,…), à destination des chercheurs, mais aussi des visiteurs avertis et exigeants. Ils constituent de véritables synthèses scientifiques qui dressent un état de la question archéologique. Ce sixième opus de la série n’est pas un guide archéologique au sens propre du terme car il ne présente pas la visite d’un site ou d’une région mais, comme l’indique son titre, un choix de documents épigraphiques qui couvrent tout le territoire de la Syrie actuelle : cette précision géographique a son importance puisque le programme des Inscriptions Grecques et Latines de Syrie (IGLS) – dans lequel s’inscrit ce petit livre – englobe la « Syrie » au sens antique du terme, c’est‑à‑dire, outre le territoire de la République Arabe Syrienne, ceux de la République Libanaise et du Royaume Hachémite de Jordanie. Peut‑être aurait-il fallu que cela soit précisé dans le titre. Le projet des IGLS remonte à 1905, date à laquelle le P. Jalabert décida de reprendre le corpus de W.-H. Waddington (Inscriptions grecques et latines de la Syrie, Paris, 1870), qui rassemblait toutes les inscriptions grecques et latines alors connues dans la région. Cinq volumes parurent entre 1929 et 1960 ; aujourd’hui vieillis, ils sont en cours de refonte. Le programme, élargi à la Jordanie dans les années 80 et aujourd’hui piloté par le laboratoire HiSoMA (UMR 5189, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon), est en pleine relance : le volume XI (Mont Hermon, Syrie / Liban) est paru récemment ; le volume XXI 5, fasc. 1 (Nord-Est de la Jordanie) et le volume XIII, fasc. 2 (Bostra – supplément – et la plaine de la Nuqrah) sont actuellement sous presse. D’autres volumes sont annoncés prochainement : IGLS XV (Hauran) ; IGLS XVII (Palmyre). Enfin, un volume de catalogue des inscriptions grecques et latines du Musée national de Beyrouth est actuellement en préparation et devrait paraître prochainement (BAAL supplément, Beyrouth).
Mais revenons à ce guide : la préface de M.-F. Boussac et l’introduction des éditeurs (JBY et PLG) permettent de situer l’ouvrage par rapport à la collection des IGLS, dont les volumes régionaux sont destinés avant tout aux spécialistes du domaine : ce Choix pourra certes leur servir d’appui ponctuel, mais il vise clairement un public élargi, chercheurs travaillant dans d’autres régions, étudiants et touristes férus d’histoire ; il leur offre une vue plus claire des différents aspects de l’épigraphie et, de manière plus générale, de la culture syrienne. Les sources littéraires sur le Proche-Orient antique ne sont pas en effet très nombreuses et les inscriptions sont souvent les seuls documents écrits qui permettent d’en reconstituer l’histoire. Même si la plupart des textes retenus appartiennent aux périodes romaine et protobyzantine, la fourchette chronologique couverte par l’ouvrage est assez large, du IVe av. J.-C. au XIe après. Ces textes sont essentiellement grecs et latins, avec une majorité écrasante du grec : langue officielle des royaumes séleucide et lagide, puis de nombreuses cités et localités syriennes sous l’Empire romain, le grec était parlé par une grande partie de la population. Sous l’Empire romain, on compte tout de même des inscriptions en latin, utilisé essentiellement par les soldats et les fonctionnaires provinciaux et que l’on retrouve ici notamment dans les bornes routières (n° 29 à 33). À l’époque protobyzantine (IVe-VIIe siècle), les inscriptions grecques sont encore très nombreuses et se généralisent jusque dans les villages, alors que le latin tend à disparaître. L’usage du grec se poursuit à l’époque omeyyade et au début de l’époque abbasside, en particulier sur les mosaïques (n° 26, 48, 51, 52 et 53). Enfin, quelques inscriptions appartiennent à l’époque de la « reconquête byzantine » des Xe et XIe siècles (n° 20 et 64). D’autres langues, sémitiques principalement, étaient parlées et écrites, dont l’araméen sous différents dialectes qui apparaît ici à l’occasion d’inscriptions bilingues grec-palmyrénien (n° 4, 5, 37, 32 et 55, ces deux dernières étant en trois langues, avec un texte en latin).
Il convient de saluer le tri fort appréciable que les auteurs ont effectué dans un corpus riche de plusieurs milliers de documents. Comme ils le soulignent eux-mêmes (p. 15), ce Choix n’est pas représentatif de façon mécanique, sinon le guide se composerait essentiellement d’épitaphes qui constituent, en Syrie comme ailleurs dans l’Antiquité, la grande majorité des textes connus. Les inscriptions (64 au total) ont donc été choisies en fonction de leur implication sociale, politique, économique et religieuse. Chaque thème retenu donne lieu à un chapitre, qui réunit quelques textes : la vie publique, les empereurs, gouverneurs et cités (chapitre I I) ; l’armée et la défense (chapitre II II) ; les fortifications et bâtiments publics (chapitre III) ; la vie rurale et les campagnes (chapitre IV) ; les routes (chapitre V V) ; les cultes, le paganisme (chapitre VI) – c’est la section la mieux représentée avec 14 textes – ; le christianisme, les constructions (chapitre VII) et enfin les tombeaux (chapitre VIII). Au sein de chaque chapitre, les inscriptions sont présentées selon un ordre chronologique avec un système de numérotation simple.
On retrouve ainsi des documents fondamentaux et anciennement connus, comme le Tarif de Palmyre, texte bilingue gréco-palmyrénien qui fixe les modalités de paiement de la douane de la cité de Palmyre (n° 4) ; ou encore la grande inscription de Baetocécé / Hosn Soleiman, qui rappelle à l’entrée du téménos les privilèges reçus à l’époque hellénistique par le sanctuaire (n° 34). Pour ces deux longs textes, les auteurs ont retenu le parti de publier de larges extraits, invitant de la sorte le lecteur qui voudra aller plus loin dans l’étude du document à avoir recours à une édition complète, signalée bien entendu dans la bibliographie. À côté de ces textes « phares » sont proposés des documents peu diffusés (n° 30, 35, 55) et plus intimistes, comme l’épitaphe de Stercoria, Gauloise née à Rouen et épouse d’un officier, qui mourut dans le Hauran, à l’autre bout de l’Empire (n° 61) ; mais également des textes récemment découverts et publiés (n° 17, 23, 33, 51, 53), voire inédits (n° 31, 63, 64). Chaque inscription est introduite en quelques lignes où sont fournies des indications sur le contexte archéologique et le support ; suivent une bibliographie choisie avec les références les plus importantes et une proposition de datation, quand cela a été possible. Le texte épigraphique et sa traduction sont accompagnés d’une photographie de l’inscription, ce qui donne une bonne idée de la variété possible des supports (autel, stèle, parement de mur, linteau de porte, mosaïque, etc…), photographie à laquelle est parfois joint un fac-similé. Enfin, vient un commentaire qui, tout en étant débarrassé des notes infrapaginales, reste assez développé et pointu : les auteurs gardent toujours à l’esprit que le lecteur, extérieur aux problématiques syriennes, a besoin que le document soit replacé dans son contexte socio-historique et géographique. On appréciera justement la présence d’illustrations variées qui permettent de se faire une idée des lieux de provenance des textes : photographies ou relevés de monuments, vues aériennes de sites et plans de ville avec indication des lieux de découvertes des inscriptions qui sont, en outre, renvoyées par leurs numéros à une carte générale de la Syrie (p. 8) et à une chronologie (p. 19-21).
Si l’on rajoute à tout ce qui vient d’être dit des annexes bien pratiques sur les systèmes d’écriture et les systèmes chronologiques (p. 16‑18), un index des provenances (p. 215) et une bibliographie qui reprend en fin d’ouvrage les références indiquées pour chaque texte (p. 218‑223), nul doute que ce Choix d’inscriptions, aisé et agréable à parcourir, trouvera son large public tout en témoignant de façon très sérieuse de la vitalité des recherches épigraphiques actuelles en Syrie.

Ingrid Périssé-Valéro