< Retour

Le présent ouvrage ne surprendra pas les métriciens déjà lecteurs de L. Ceccarelli : il s’inscrit en effet, pour ce qui est de la méthode, dans la suite du livre (en deux volumes) sur l’hexamètre latin[1], aujourd’hui un classique, mais reprend aussi, développe et modifie le contenu de plusieurs gros articles sur le distique élégiaque publiés à partir de 2012[2]. C’est la seconde partie de l’ouvrage qui, de ce point de vue, peut paraître comme la plus neuve.

L’ouvrage est composé de deux grandes parties, la première a trait au distique élégiaque dans la poésie classique et impériale, la seconde porte sur ce même mètre dans l’Antiquité tardive, les deux poètes bornant le corpus étant respectivement Catulle et Venance Fortunat. Les deux parties sont presque parfaitement symétriques avec six chapitres chacune, seule la seconde partie bénéficie d’une introduction qui lui est propre.

Dans l’introduction générale (p. 11‑22), L. Ceccarelli présente les fondements théoriques de son enquête, représentative d’une métrique « clinique » et, ce faisant, revendique des objectifs qui le font s’écarter des autres ouvrages classiques sur le distique, comme ceux de M. Platnauer[3] et J. Luque Moreno[4]. De fait l’étude repose essentiellement sur l’analyse des pieds et de leurs combinaisons, les schémas métriques, qu’ils soient considérés individuellement ou par séries, ce dernier paramètre constituant un point particulièrement intéressant de ce travail. Les autres paramètres retenus sont les intermots (on pourra regretter que soient mis sur le même plan césures et diérèses, ou des phénomènes d’inégale importance dans l’hexamètre latin comme la diérèse au pied 4 et la coupe au trochée quatrième), d’autres encore relèvent de la métrique verbale comme l’organisation de la clausule de l’hexamètre et du pentamètre, la structure verbale du second hémistiche du pentamètre ou les mots iambiques devant la diérèse du pentamètre. Enfin est prise en compte l’élision dans les deux vers du distique, sans que soit étudiée précisément la nature des voyelles mises en contact. Les deux derniers chapitres de chaque partie, nécessaires et bienvenus notamment pour ee qui concerne la comparaison de l’hexamètre kata stichon et de l’hexamètre élégiaque, auraient pu être inversés, les chapitres conclusifs gardant ainsi toute leur force.

Dans la suite de l’introduction, L. Ceccarelli justifie la délimitation de son corpus (17500 distiques environ pour la période classique, 9000 pour l’Antiquité tardive), avec, dans chaque période, deux auteurs qui écrasent, par la masse de leur production, les autres poètes, Ovide et Venance Fortunat, ce qui n’est pas sans poser des problèmes sur le plan statistique, comme le remarque à juste titre l’auteur. C’est pour cette raison en effet, et surtout pour fournir une méthode statistique irréprochable qu’il corrige des données statistiques qui pourraient paraître un peu trop brutes en recourant notamment au test de Pearson ou aux coefficients de Yule et de Spearman[5], ce qui lui permet d’affiner les comparaisons entre poètes.

Après les pages de texte qui occupent à peu près les 250 premières pages du volume, dans lesquelles on intègre la bibliographie (p. 231‑247), le reste de l’ouvrage correspond à plus d’une centaine de tableaux, très clairs, qui traduisent en chiffres les dépouillements manuels opérés par l’auteur. Le nombre de ces tableaux ainsi que l’appareil statistique sur lequel ils reposent pourraient sans doute effrayer le lecteur, même spécialiste, mais on doit heureusement constater qu’il n’en est rien, car, et c’est un des principaux mérites de l’ouvrage, toutes les données numériques se retrouvent commentées, au fil des chapitres, de manière très claire, sans qu’il soit absolument nécessaire de se reporter systématiquement aux tableaux. En outre, les principaux faits qui traduisent l’évolution du distique dans ses deux composantes (hexamètre et pentamètre) apparaissent non moins clairement dans les conclusions des différents chapitres, et surtout dans les chapitres 5 de la première partie et 7 de la seconde, dans lesquels le lecteur pressé ou non spécialiste pourra trouver d’excellentes synthèses. De ce point de vue, les chapitres plus spécifiquement dédiés à la comparaison de l’hexamètre élégiaque et de l’hexamètre kata stichon constituent eux aussi de très bonnes synthèses.

Le lecteur spécialiste de métrique trouvera donc dans l’ouvrage de L. Ceccarelli un guide sûr pour dépasser ce que ce dernier appelle lui‑même « le style métrique » des poètes utilisateurs du distique élégiaque. De fait les paramètres utilisés ne suffisent pas à rendre compte de la diversité de tous les genres (élégie, épigramme notamment), a fortiori de tous les textes recourant au distique élégiaque. Les phénomènes sonores, les figures rhétoriques, les structures syntaxiques caractéristiques de l’élégie comme l’épanadiplose ou encore la double hyperbate sont évidemment d’autres paramètres, pour n’en citer que quelques-uns, à prendre en compte pour lier davantage encore mètre et sens. L. Ceccarelli cède d’ailleurs parfois à la tentation de cette métrique plus largement stylistique (par exemple p. 205‑206). Dans tous les cas, le livre de L. Ceccarelli est une invitation à ce type de métrique, et à reprendre dans d’autres ouvrages à venir certaines des lignes de force de l’histoire du distique élégiaque telle que nous la donne à voir l’auteur, comme l’influence d’Ovide sur le distique de l’Antiquité tardive, ou encore, à la période classique, les places et rôles de Catulle et de Tibulle dans l’évolution du distique, avant qu’il ne revête les caractéristiques de la norme ovidienne et ne devienne le modèle des poètes tardifs (à des degrés différents selon les poètes). Il est cependant impossible de détailler, dans le cadre de ce compte rendu, tous les faits qui jalonnent cette histoire, mais reconnaissons que L. Ceccarelli en est le fidèle chroniqueur, sans doute avec plus de réussite encore que dans son précédent ouvrage. Ajoutons pour finir que la présentation de l’ouvrage est très soignée, et que les coquilles ou erreurs sont très rares (p. 61 ; p. 237 deux coquilles et p. 245, trois coquilles sur une référence au même ouvrage allemand).

 

Antoine Foucher, Université de Caen Normandie, UMR 6273 – Centre Michel de Boüard Craham

Publié dans le fascicule 1 tome 124, 2022, p. 289-290

 

[1]. Contributi per la storia dell’ esametro latino, Rome 2008.

[2]. Notamment « L’evoluzione del distico elegiaco fra Catullo e Ovidio » dans R. Cristofoli, C. Santini, F. Santucci, Properzio fra tradizione e innovazione. Atti del convegno internazionale (Assisi‑Spello, 21-23 maggio 2010), Assisi 2012, p. 47-97 ; « Note sul distico delle Heroides. Contributo alla discussione sull’ autenticità », MD 74, 2014, p. 26-68. Notons que dans ces articles L. Ceccarelli justifiait l’importance d’une étude par œuvre et par livre ou partie d’œuvres, méthode à laquelle il renonce dans le présent ouvrage.

[3]. Latin Elegiac Verse. A Study of the Metrical Usages of Tibullus, Propertius and Ovid, Cambridge 1951.

[4]. El dístico elegiaco. Lecciones de métrica latina, Madrid 1994.

[5]. Sur tout cela, voir Ch. Muller, Initiation aux méthodes de la statistique linguistique, Paris 1973.