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Dans son ouvrage Les pratiques funéraires d’époque géométrique à Érétrie. Espace des vivants, demeure des morts, B. Blandin offre au lecteur une synthèse particulièrement attendue concernant l’archéologie funéraire de l’une des principales cités d’Eubée. Issu de la thèse de doctorat de l’auteur, ce travail soigné et parfaitement bien documenté offre un point de vue renouvelé sur une documentation qui, si on omet l’ouvrage de Cl. Bérard L’heroôn à la porte de l’Ouest, Erétria III, 1970, demeurait particulièrement dispersée (l’A. recense vingt‑deux fouilles plus ou moins étendues) et obscure. C’est tout le mérite de l’A. de s’être attaqué à ce dossier du funéraire
géométrique érétrien.
L’ouvrage est constitué par deux volumes, l’un de texte (183 p), l’autre du catalogue et de planches (352 p.).
Le premier volume rassemble la synthèse proprement dite. Après une courte introduction exposant les objectifs de l’étude et un utile rappel sur l’historiographie du site, le chapitre I présente d’abord le cadre géomorphologique et topographique d’érétrie au premier âge du fer. L’A. fait le point sur les analyses des variations du trait de côte, le rôle des cours d’eau saisonniers et les axes de communication tels que l’on peut les comprendre pour une époque qui ignore les routes pavées et l’organisation urbaine rectiligne. Viennent ensuite quatre chapitres (chap.II-V) consacrés aux trouvailles archéologiques. On trouvera au chapitre II l’étude de l’architecture funéraire, à savoir les marqueurs de tombes (sémata) et les modes de traitement du corps : la crémation en fosse pour les adultes (plus de vingt-trois ; le chiffre total reste incertain compte tenu des doutes sur le nombre de sépultures de la zone de l’Hygeionomeion), et l’inhumation (une vingtaine de tombes), généralement des enchytrismes d’enfants. Le chapitre III concerne le mobilier accompagnant, essentiellement des vases à boire ou à verser, des bijoux et des armes. Le chapitre IV IV traite du bestiaire, c’est-à-dire les animaux tués et enterrés avec ou à proximité des défunts. Mis à part les restes d’un squelette de cheval (caractère funéraire douteux), ce bestiaire se compose essentiellement de caprins adultes. Il convient de compléter les indications de ce chapitre avec celles apportées par celui consacré aux analyses archéozoologiques du second volume. Enfin le chapitre V (Le rituel) expose rapidement les conclusions de l’auteur concernant les gestes autour du mort, prothesis, ekphora, etc… Les deux chapitres suivants (VI et VII) sont consacrés à l’interprétation historique. Ce premier volume est en général bien équilibré, à l’exception du chap.IV qui ne fait que 4 pages !
Le second volume, dédié au catalogue des trouvailles, s’organise par zone de découverte, avec à chaque fois le souci de remettre les tombes en contexte chronologique et topographique, ne cachant pas les limites parfois importantes de la documentation dues aux conditions de fouilles. Les plans et les planches d’illustration des découvertes sont impeccables, l’A. utilisant toute la documentation disponible, y compris des pages d’anciens carnets de fouille lorsque cela s’avère nécessaire. Il faut également créditer l’A. de l’adjonction de deux chapitres traitant des analyses ostéologiques et archéozoologiques, ce qui n’est pas si fréquent dans ce type de publication même encore aujourd’hui. On y apprend par exemple que la sépulture 6 de la nécropole de la Porte Ouest, la fameuse tombe du « Prince » d’Érétrie, est aussi celle dont le volume osseux post crématoire est le plus important (651gr.), ce qui indique sans doute le soin apporté au rituel funéraire de ce personnage marquant à plus d’un titre.
L’écriture est directe, sans fioriture. L’édition est parfaite (il ne manque dans la bibliographie que la référence à Grévin 2004, p.40 n.200). La structure des chapitres et paragraphes du volume I est cependant un peu répétitive et conduit l’A. à hacher quelque peu sa démonstration, ce qui la rend parfois difficile à suivre. En particulier, le dernier paragraphe du chapitre VII, consacré à la « naissance de la cité d’Érétrie », est très elliptique, et si l’A. expose clairement les différentes hypothèses en question dans le chapitre précédent, le lecteur ne retient pas vraiment quelle position elle adopte en définitive sur ce point précis.
C’est sans doute sur ces chapitres historiques que les analyses de l’A. donneront le plus matière à débat. La perspective chronologique adoptée par l’A. (étudier les tombes en fonction des différentes phases) est indubitablement la meilleure, et l’affinement de cette chronologie permet de nombreuses mises au points salutaires. Ainsi, l’un des apports majeurs du travail de B. Blandin est de montrer que la nécropole méridionale (zone de l’Hygeionomeion) n’est pas « la nécropole du peuple » comme cela est souvent avancé. Mais on peut rester en partie sur sa faim lorsque l’A. s’en tient à des remarques d’ordre général, notamment sur la question de la représentativité sociale de son échantillon de tombes. Par exemple, si toutes les tombes sont incluses dans la discussion, il faut reconnaître que celle-ci tourne notablement autour des sépultures les mieux connues, à savoir celles de la nécropole de la Porte Ouest. Sans surprise, l’étude de cette société érétrienne géométrique est en fait surtout l’étude de son élite puisque les couches subalternes sont très peu représentées dans les données que l’A. a à sa disposition. Cette structure funéraire apparemment homogène (l’A. parle même p.167 de « l’émergence d’un système plus égalitaire » après l’héroïsation du « Prince » de la tombe 6) conduit l’A. à plaider pour l’existence d’une organisation funéraire par ‘maisonnée’ (oikos), imprégnée de culture épique et pratiquant une saine émulation (p.149‑151). On aurait aimé voir l’A. approfondir ces hypothèses plutôt que de suivre une volonté d’exhaustivité conduisant nécessairement à aborder de manière peut-être un peu superficielle certains problèmes. Retenons surtout que, grâce au travail de B. Blandin, cette discussion sur la nature et les dynamiques de la société érétrienne des hautes époques peut partir de bases solides et complètes. Au total, si, ici ou là, les points de critique ou de désaccord peuvent survenir, en particulier quant à certaines propositions d’interprétation historique des données exposées, le travail proposé représente une synthèse incontournable sur la question des pratiques funéraires d’Érétrie à l’époque géométrique, et il est à souhaiter qu’un travail similaire voie le jour à propos d’Érétrie archaïque.

Olivier Mariaud